Les futurs professionnels de santé du Loir-et-Cher sont déjà parmi vos proches !
AgendaCultureDécouvrirVie locale

À Blois, la langue en révolte : Babi Badalov à la Fondation du doute

À la Fondation du doute, toute exposition se construit comme un espace de frottement, de déplacement. Du 7 février au 17 mai 2026, l’institution blésoise va accueillir Babi Badalov pour Make Riot not War, une exposition qui engage la langue non comme un outil de communication stabilisé, mais comme un territoire instable, traversé par l’histoire, l’exil et les rapports de pouvoir. D’emblée, Gilles Rion, directeur de la Fondation du doute, prévient : « On sera moins sur du message clair. »

Ce refus de la clarté comme injonction n’est pas un retrait. Il est un positionnement. Là où d’autres artistes travaillent la phrase, Babi Badalov travaille la faille. Il ne s’agit pas d’écrire dans une langue, mais de circuler entre les langues, dans ce que Gilles Rion nomme une « interlangue », autrement dit, « la manière avec laquelle on peut glisser d’une langue à une autre pour provoquer des sens nouveaux qui n’allaient pas de soi dans les structures linguistiques. »

Babi Badalov (c) Janarbek Amankulov 2019
Portrait de Babi Badalov, 2019 © Babi Badalov, Paris – Photo : Janarbek Amankulov

Glissements, bifurcations, désobéissance linguistique

Les œuvres de Babi Badalov procèdent par déplacement. Avec lui, « refugees will come » et “réfugiés bienvenus” se tutoient. Dans ce décalage, la langue cesse d’être un instrument normatif. Elle devient un espace de friction. Pour Gilles Rion, ce glissement permet de « sortir de l’autoritarisme des langues » et d’ouvrir la voie à « de nouvelles significations ». Une démarche qui porte une charge politique assumée : « Évidemment, ce sont des choses qui vont contester la structure finie d’une langue. » La poésie de Badalov est « faussement absurde », précisément parce qu’elle travaille des questions « cruciales quant aux droits humains, aux systèmes de domination, aux migrations ou à la liberté d’expression », comme l’explique Julie Crenn, commissaire de l’exposition.

Une poétique née de l’exil

Né en 1959 à Lerik, en Azerbaïdjan, Babi Badalov a traversé les frontières autant que les langues. Russie, Royaume-Uni, retour forcé, puis asile politique en France en 2011 : son parcours biographique irrigue profondément son travail. « C’est un artiste qui parle plus de cinq langues », rappelle Gilles Rion, précisant qu’il s’agit aussi de langues « très locales ou régionales », loin des langues hégémoniques. Mais cette pluralité n’est jamais synonyme de maîtrise totale. Et c’est là que le travail commence. « Ces connaissances des langues sont toujours parcellaires, mais c’est à partir de cette connaissance parcellaire qu’il y a des glissements poétiques. »

L’insécurité linguistique devient un moteur créatif. Les mots bifurquent, se fragmentent, se contaminent. Le sens n’est jamais donné : il se reconstruit dans la relation entre l’œuvre et celui ou celle qui la regarde. « La signification est construite aussi par la personne qui lit. »

Fluxus, Dada, punk : une généalogie active

À la Fondation du doute, le travail de Badalov trouve un contexte particulièrement cohérent. L’exposition revendique sa filiation avec Fluxus, tout en assumant une généalogie plus large, qui va « aussi bien vers le mouvement Dada que vers les contre-cultures underground ».

Pour Gilles Rion, Badalov est un artiste profondément contemporain, mais aussi un héritier : « Il est chargé consciemment et inconsciemment d’un passé artistique qui remonte à Fluxus et même à Dada. » Cette lignée, avec lui, se réactive. Par l’usage du mot écrit, par la dimension ludique — jamais gratuite — du détournement, par une esthétique qui convoque le punk, le fanzine, le DIY. « Oui, il y a une dimension ludique dans la manière avec laquelle il se permet de travestir la langue. C’est complètement Fluxus. » Les t-shirts, tote bags ou cartes postales qu’il produit ne relèvent pas du produit dérivé. Ils prolongent une tradition initiée par Ben : « Ce n’était pas rendre l’art populaire, mais rendre l’art contemporain accessible. »

Une exposition pensée dans et pour l’espace

Make Riot not War se déploiera sous plusieurs formes. Un grand collage mural, réalisé in situ à partir d’objets, d’affiches, de papiers peints et de t-shirts trouvés, occupera le mur du fond sur près de neuf mètres. « Le collage sera original, il sera créé ici sur place. Il va passer dix jours dessus. »

Un rideau monumental, recto verso, longera la façade vitrée. À l’intérieur, une scénographie en entonnoir guidera le regard vers le mur principal. Des livres d’artistes — « très contre-culture, fanzine » — dialogueront avec des collages suspendus.

Langue, pouvoir et durabilité

En travaillant les rapports de domination inscrits dans la langue, Babi Badalov interroge les structures mêmes du pouvoir. « La langue est forcément une relation politique entre quelqu’un qui parle et quelqu’un qui écoute. » Attaquer la langue, c’est attaquer l’outil du débat. Écrire un même mot dans plusieurs langues n’est jamais neutre : « Écrire “anarchie” en russe n’a pas la même consonance politique que l’écrire en français ou en anglais. »

Anarchi, Babi Badalov, 2020
Babi Badalov, anarchi, 2020, peinture sur tissu, 178 x 146cm – Courtoisie de l’artiste et de la Galerie Poggi, Paris

Déplier la réflexion : rencontres et Interlude

L’exposition fera une incursion dans le festival Génération Climat #5, à la Halle aux grains, du 14 au 23 janvier 2026. « On n’est pas directement dans une question climatique, mais dans une question de durabilité de nos sociétés », observe Gilles Rion.

L’exposition sera accompagnée d’un programme de rencontres. Une discussion avec la sociolinguiste Julie Abbou permettra de penser la langue comme « terrain de lutte », en établissant des parallèles directs avec les œuvres exposées.

En parallèle, la Fondation du doute inaugurera le deuxième cycle du dispositif Interlude avec la présentation de Words (1962) d’Allan Kaprow, réinventé en 2008 à Gênes. Un environnement participatif qui prolonge la réflexion sur le mot, l’écriture et la circulation du sens.

Semer le doute, encore

Pour Gilles Rion, la mission de la Fondation reste inchangée : « Ne jamais cesser de poser des questions et inviter à douter absolument de toute chose, y compris de nous-mêmes. » Et surtout, remettre en cause une séparation héritée de la modernité : « La distinction entre les beaux-arts et la vie quotidienne. »

Make Riot not War s’inscrit pleinement dans cette ligne. Une exposition manifeste qui ouvre des brèches, qui cherche à faire de la langue un lieu de trouble — et, peut-être, de réinvention.

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page