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Une société moins polarisée qu’elle n’en a l’air

À entendre les éclats de voix dans l’hémicycle, à lire les échanges sur les réseaux sociaux ou à suivre les plateaux des chaînes d’information en continu, une impression s’impose : celle d’une société française de plus en plus polarisée, traversée de fractures irréconciliables et d’affrontements permanents. Pourtant, lorsqu’on observe les opinions sur le temps long, notamment sur les grandes questions sociétales, le tableau est sensiblement différent.

Les enquêtes en sciences sociales montrent un mouvement de convergence des opinions sur des sujets qui furent, hier encore, parmi les plus clivants : le travail des femmes, l’avortement, le divorce, l’euthanasie, le mariage et l’adoption par des couples de même sexe. La société française, loin de se durcir uniformément, semble avoir progressivement déplacé son centre de gravité.

Ce décalage entre les perceptions et les données pose une question centrale : comment expliquer que neuf personnes sur dix aient aujourd’hui le sentiment que les débats publics sont devenus plus agressifs, alors même que les opinions apparaissent, sur de nombreux sujets, moins radicales qu’auparavant ?

Des opinions sociétales en convergence sur le long terme

Une société est dite polarisée selon trois dimensions : lorsque les convictions sont fortement divergentes, laissant peu de place aux positions intermédiaires ; lorsque l’expression des opinions devient véhémente et chargée de colère ; ou lorsque les inégalités de positions sociales se creusent. Les travaux du CRÉDOC, sur les deux premières dimensions, nous éclairent sur l’évolution des opinions sociétales sur près de quarante ans. Et les résultats sont sans équivoque. Sur le long terme, la tolérance progresse de manière quasi continue. En 2025, 77 % des Français se déclarent favorables au mariage entre personnes de même sexe et 67 % à la possibilité pour ces couples d’adopter un enfant. En 2007, ils n’étaient respectivement que 55 % et 40 %.

La même dynamique se retrouve dans les données de l’European Value Survey. En 1981, seuls 42 % des répondants jugeaient l’avortement justifié, 43 % le divorce et 40 % l’euthanasie. Quarante ans plus tard, ces proportions atteignent respectivement 67 %, 73 % et 70 %. L’évolution est non seulement profonde, mais elle s’est accélérée : il a fallu environ trente ans pour que l’adhésion à l’avortement passe de 40 % à 60 %, vingt-sept ans pour le divorce, vingt-et-un ans pour le travail des femmes, dix-huit ans pour l’euthanasie, et seulement douze ans pour l’adoption par des couples de même sexe.

Dans la plupart des cas, les opinions des générations les plus âgées, initialement plus réticentes, ont progressivement rejoint celles des plus jeunes. Le mariage entre personnes de même sexe, l’avortement, le divorce ou l’euthanasie illustrent cette lente mais constante convergence intergénérationnelle.

De nouveaux clivages

La France de 2025 n’est pas devenue une société consensuelle. De nouvelles controverses ont émergé, notamment autour de la gestation pour autrui (GPA) ou de l’introduction d’un genre « autre » sur les papiers d’identité. Sur ces sujets, l’opinion demeure divisée : 58 % des Français se déclarent favorables à la GPA, contre 42 % défavorables ; 44 % sont favorables à l’introduction d’un genre « autre », tandis que 56 % y sont opposés.

Mais un élément distingue ces clivages contemporains de ceux du passé : la radicalité des positions est moins marquée. En 2007, le mariage entre personnes de même sexe suscitait une polarisation extrême, avec 32 % de personnes « tout à fait d’accord » et 32 % « pas du tout d’accord ». En 2025, la gestation pour autrui ne génère que 19 % d’adhésion totale et 21 % de rejet total.

De même, si l’introduction d’un genre « autre » suscite une opposition franche chez environ un tiers des Français, ce rejet demeure inférieur à celui observé pour l’adoption par des couples de même sexe en 2007. Autrement dit, les controverses actuelles mobilisent moins d’opinions extrêmes que celles d’hier, à niveau de clivage comparable.

Une société perçue comme plus divisée

Ce constat contraste fortement avec le ressenti dominant. En 2019, une enquête de Destin Commun révélait que neuf Français sur dix jugeaient le débat public de plus en plus agressif. En 2023, le baromètre Edelman indiquait que 70 % des Français estimaient leur pays plus divisé que par le passé. Cette inquiétude n’est pas nouvelle : dès 2016, une enquête de la Fondation de Dublin pointait déjà une perception marquée des tensions entre groupes sociaux en France. Le CRÉDOC identifie trois dynamiques récentes susceptibles d’alimenter ce sentiment de polarisation.

Le retour de bâton, ou la logique du backlash

Depuis deux ans, un phénomène de « backlash », ou retour de bâton, est perceptible. Théorisée dès 1991 par Susan Faludi, cette notion désigne les résistances qui émergent après des avancées sociétales majeures. Dans les données récentes, ce backlash ne prend pas la forme d’une radicalisation massive, mais d’un affaiblissement des positions les plus favorables.

Ainsi, entre 2023 et 2025, la part des Français se déclarant « tout à fait d’accord » avec le mariage entre personnes de même sexe a reculé de dix points, passant de 53 % à 43 %. La proportion de personnes globalement favorables diminue légèrement, sans que la frange la plus réfractaire ne progresse significativement.

Ce mouvement est particulièrement marqué chez les jeunes hommes et les personnes peu diplômées. Sur les sujets plus récents, comme l’introduction d’un genre « autre » sur les papiers d’identité, le backlash apparaît encore plus net : la part des oppositions franches progresse, notamment chez les jeunes, hommes comme femmes.

La montée des émotions dans l’espace médiatique

Parallèlement, l’espace public s’est chargé d’une intensité émotionnelle croissante. L’analyse des chaînes d’information en continu depuis 2015 montre une augmentation globale du langage affectif de 10 %. Après un pic ponctuel lors de la crise des Gilets jaunes, cette tendance s’est installée durablement à partir de 2019.

Mais ce sont surtout les émotions négatives qui progressent. Les termes associés au bonheur reculent de 19 %, tandis que ceux liés à la tristesse, à la peur, au dégoût et surtout à la colère augmentent de 15 %. La colère, à elle seule, connaît une hausse spectaculaire de 37 % en dix ans. Qu’elles se contentent de refléter ou qu’elles amplifient ces affects, les chaînes d’information en continu participent à installer l’idée d’un débat public dominé par l’affrontement émotionnel, au détriment de l’argumentation rationnelle. Des évolutions comparables sont observées dans les discours parlementaires.

Une contestation numérique plus visible

Enfin, la transformation des formes d’engagement joue un rôle décisif. En 2024, 90 % des internautes français sont présents sur les réseaux sociaux, et les trois quarts les consultent quotidiennement. Or 64 % des Français estiment que les opinions les plus extrêmes y prennent trop de place, et près de la moitié considèrent qu’elles menacent le bon fonctionnement de la démocratie. Cette visibilité accrue se retrouve dans l’essor des pétitions en ligne. Entre 2017 et 2022, 704 pétitions ont été enregistrées sur le site de l’Assemblée nationale. Entre 2022 et 2024, elles étaient déjà 1.144.

La montée du registre émotionnel, conjuguée à la visibilité instantanée de la contestation numérique, interroge la capacité collective à organiser des débats structurés et durables. Le CRÉDOC invite à penser de nouveaux espaces de dialogue et de compromis, moins soumis à l’urgence émotionnelle, davantage ancrés dans le temps long et l’argumentation. Il souligne aussi l’importance des politiques de renforcement des liens sociaux. Les données montrent que la confiance envers autrui augmente avec la densité des réseaux de sociabilité : seules 21 % des personnes socialement isolées déclarent faire confiance aux autres, contre 42 % parmi celles disposant de plusieurs réseaux relationnels.

À l’heure où la société française se perçoit comme profondément divisée, les chiffres racontent une histoire plus nuancée : celle d’opinions qui, lentement, continuent de converger, tandis que les formes d’expression et de médiatisation invitent au conflit plutôt qu’aux échanges.

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