Hors Lits Blois#4 : le spectacle toujours plus vivant dans les maisons

Deux soirs durant, les 24 et 25 septembre 2025, Blois s’est à nouveau transformée en théâtre sans scène ni coulisses. C’était la quatrième édition d’Hors Lits, cette expérience née en 2005 à Montpellier, sous l’impulsion du chorégraphe Leonardo Montecchia, et qui essaime depuis vingt ans dans de nombreuses villes. À Blois, ce sont Marie et Dani qui portent la dynamique. Ils ont découvert le concept à Marseille, l’ont accueilli dans leur salon, l’ont expérimenté comme artistes et spectateurs, avant de le transplanter dans la ville où ils vivent depuis quatre ans. Leur fidélité au principe est entière : pas de subvention, pas de billetterie, pas d’administration, mais une charte, un réseau, une exigence, et surtout une conviction — que l’art peut se vivre au plus près, dans l’espace d’une maison, au contact direct des spectateurs.
Des maisons comme foyers scéniques
À Blois, le principe reste le même : quatre propositions artistiques d’une durée de 20 minutes, réparties dans quatre foyers, que les spectateurs rejoignent à pied. Le choix des maisons s’est peu à peu déplacé du cercle des proches vers une ouverture plus large. « Au début, c’était nos amis, nos familles, les amis des amis. Maintenant, ce sont des spectateurs qui, après une édition, proposent leur salon, leur salle à manger », explique Marie. Le bouche-à-oreille fonctionne à double sens : il amène de nouveaux spectateurs et de nouveaux hôtes. « On a des fidèles qui reviennent, mais aussi des têtes nouvelles. Les anciens ramènent les nouveaux. Petit à petit, ça s’ouvre. »
Ainsi, Julien et sa colocation ont accueilli cette année une partie de Saltimbanques, le spectacle d’Audrey Lange et Bruno Bianchi. Pour lui, cela allait de soi : « On est quatre à vivre ici et ça correspond à notre esprit. On avait déjà organisé des concerts, invité des artistes. Alors accueillir Hors Lits s’est fait naturellement. » Sa maison partagée, née d’une volonté d’entraide, d’écologie et de respect mutuel, est devenue le temps d’une soirée un théâtre imaginaire. Vingt-cinq spectateurs s’y sont assis, réunis par la proximité et le spectacle.

Avec Saltimbanques, la scénographie fut naturellement renversée. Les spectateurs sont devenus dépositaires d’objets, chaque geste les plaçant dans la ronde. Audrey Lange, tour à tour femme à barbe ou dompteur de puces, passait d’un personnage à l’autre comme on passe d’un rêve à un autre. Bruno Bianchi, chapeau haut-de-forme vissé sur la tête, lui répondait par un univers sonore bricolé, sans jamais commenter, respirant simplement avec elle. Le spectacle est né d’un poème de Josette Pédelaborde, La Frontière et la Destinée, qui évoquait le vertige d’un funambule. De cet échange épistolaire entre l’autrice et la comédienne, une galerie de figures est née : artistes oubliés, saltimbanques hybrides, créatures de foire. Chaque spectateur recevait un fragment, un objet, devenait dépositaire d’un récit évocatoire. Ici, dans le salon de Julien, cette proximité a pris toute sa force.
À quelques pas, un autre salon accueillait un extrait de Voyage en parachute, un spectacle proposé par Çağla Usta et Thierry Thurmel, avec leur revue littéraire Brèches. Inspiré du grand poème Altazor de Vicente Huidobro, ce projet invite les spectateurs à une immersion sensorielle inédite, explorant un langage théâtral peu commun, loin des codes traditionnels.

Dans la maison de Fabienne, on trouvait Maurice Douda. Magicien permanent de la Maison de la Magie de Blois, il a accepté de jouer son personnage d’arnaqueur dans le cadre intime d’Hors Lits. « J’ai croisé Marie et Dani au Salon des Magiciens. Quand elle a vu ma magie et ma mise en scène, elle m’a proposé. J’ai aimé le concept », raconte-t-il.

Pour lui, la magie est moins une prouesse qu’un vecteur d’émotion : « Le tour n’est pas une fin en soi, il est un vecteur de communication. » Sa fascination pour la tricherie est ancienne : adolescent, il a découvert le bonneteau dans la rue et s’est passionné pour cet art qui croise celui de l’illusion. Son spectacle Le Tricheur s’inspire de l’histoire vraie de Richard Marcus, joueur qui a gagné cinq millions de dollars en arnaquant les casinos du monde entier avant de se reconvertir en conseiller technique. Lui-même a-t-il été tenté d’arnaquer ? « Un magicien, c’est un tricheur honnête ; et un tricheur, un magicien qui a mal tourné », répond Maurice Douda avec malice. Jouer cette matière dans un salon, au milieu des spectateurs, lui permet de recréer une complicité immédiate. « Les émotions passent encore plus fort. »

Avec Anna Martinelli et Mahamat Fofana, acrodanse en salon
Le duo formé par Anna Martinelli et Mahamat Fofana a proposé une pièce courte mais intense de danse, une performance de dix minutes créée en mai dernier en quatre jours. Elle est danseuse circassienne, lui capoeiriste devenu acrobate. Leur rencontre à Paris, dans le monde du cirque, a immédiatement donné envie d’un travail commun. « On voulait une forme simple, courte, jouable partout, sans lourdeur de production », expliquent-ils.
Dans le salon blésois, il a fallu déplacer une table, composer avec les lampadaires suspendus. « Les contraintes créent la liberté », dit Mahamat Fofana. Leur danse s’est écrite avec l’espace, attentive à chaque obstacle, chaque limite, qui devenait ressource artistique. Un incident technique — l’absence de musique — a transformé la représentation. Le souffle des danseurs, le rythme des corps, ont suffi à créer une pulsation. « C’était intéressant de tester ça, et ça a marché », souligne Anna Martinelli. La danseuse de la Côte basque avait rencontré Marie en donnant des ateliers de danse dans sa classe, lors d’un partenariat avec la Halle aux Grains. De cette expérience scolaire est née une amitié, puis l’envie de prolonger la collaboration. « On a toujours dit que quand ça matchait avec un ou une artiste, on donnait carte blanche », dit Marie.

Le réseau et l’avenir
Cette diversité de formes — théâtre, magie, danse — correspond à ce que recherchent les organisateurs : « On aime que dans une même soirée, les disciplines soient différentes, que l’affiche soit éclectique », explique Marie. Et désormais, Hors Lits Blois attire aussi les propositions : « Nous sommes fiers de dire que maintenant, les artistes nous contactent. Le fait d’avoir déjà joué à Hors Lits devient une sorte de gage : ça prouve que le format fonctionne dans une maison. » Deux fois par an, au printemps et à l’automne, des portes s’ouvrent, des tables se poussent, des tapis se tendent. Les maisons deviennent scène, loge, refuge. Tout y est léger, fragile, éphémère. Et pourtant, dans ces instants partagés, se tissent des liens durables, des présences, des traces.
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