Amin Maalouf : « Il y a un vrai déficit d’universalité »

Amin Maalouf présentait ce samedi 7 octobre dans l’hémicycle de la Halle aux grains son dernier livre « Le Labyrinthe des égarés », chez Grasset (448 pages, 23€). Devenu depuis quelques jours secrétaire perpétuel de l’Académie Française, l’écrivain franco-libanais était interrogé par Olivier Pascal-Mousselard, grand reporter au journal Télérama.
Encore à Beyrouth la veille, Amin Maalouf a témoigné de son inquiétude sur la situation explosive en cours à Gaza, en lien avec sa conviction que le monde entrait dans une ère nouvelle que certains appellent nouvelle guerre froide. Dans son ouvrage, Amin Maalouf s’est concentré sur l’histoire des pays qui ont remis en cause la suprématie de l’occident (URSS, Japon, États-Unis, Chine), notant qu’aucun autre modèle durable et reproductible n’en est ressorti. Il fait le constat que le camp anti-occidental n’est plus celui de la révolution mais au contraire du retour vers un ordre antérieur, comme le montre la guerre menée par les russes en Ukraine.
Avec aisance, Amin Maalouf traverse l’histoire et la géographie, démontrant que la genèse des faits se retrouve à la lumière de l’histoire géopolitique. À l’écouter, les fils se tissent entre les pays et les époques, donnant naissance à une vision globale.
Ainsi, lorsqu’en 1905, le Japon entre en conflit avec la Russie, il porte ce message que les peuples « de couleur » peuvent battre « les blancs ». Cela le conduira en 1919 à demander l’égalité des races lors de la rédaction de la charte de la future Société des Nations. Toutefois, la proposition sera rejetée, se heurtant au racisme du président américain Woodrow Wilson et apparaissant difficilement compatible avec les puissances coloniales européennes.
En 1917, c’est à la Russie de défier l’occident et ses colonies non pour des raisons raciales mais pour des raisons sociales : l’inégalité de classe est au cœur de chaque puissance libérale. La contestation du modèle occidental est telle que, dans les années 70, Amin Maalouf se rappelle qu’on avait l’impression que le modèle communiste était en passe de l’emporter à l’échelle mondiale.
Et cette ère nouvelle, qui tire ses sources du passé, augure de lendemains difficiles. Il y a la remilitarisation du Japon, qui ne l’inquiète guère, la Russie embourbée dans les problèmes de succession de l’URSS, les États-Unis avec un système politique bloqué à un an des élections et ce choix « effrayant » qui s’annonce entre les deux candidats, l’Europe qui, après le Brexit, connaît la guerre en Ukraine sans parler de l’Afrique à feu et à sang ou du monde arabo-musulman. Dans ce contexte, l’humanité pourra-t-elle faire face au péril climatique?
Amin Maalouf constate que depuis la guerre froide, les débats idéologiques ont disparu pour laisser la place à des déclarations identitaires. Et de conclure : « Il y a un vrai déficit d’universalité ».