Blois « en guerre » : une suite avec de nouveaux éclairages

Blois, capitale annuelle de l’histoire par ses Rendez-vous, porte la sienne, est riche de la sienne. Des historiens poursuivent le travail afin de l’éclairer toujours mieux. Ainsi, l’ouvrage Blois « en guerre » (2ème partie), coécrit par Yves Boyer, Jean-Paul Sauvage et Rainer Pohl, vient de paraître. Il s’agit du second volet d’une série consacrée à la Seconde Guerre mondiale dans la ville de Blois et ses environs. Ce livre, publié dans le cadre des Cahiers des bibliothèques de Blois Agglopolys (n° 28), continue de documenter les événements marquants ayant touché la région, en particulier ici pendant l’Occupation allemande et la libération de la ville en 1944. Il aborde des aspects cruciaux souvent négligés ou interprétés de manière simplifiée dans l’historiographie traditionnelle.
Une approche purement historique
Ce second cahier, comme le précise la préface rédigée par Yves Boyer et Nathalie Bercet, reprend la trame du premier volume, qui se concentrait sur l’effondrement des forces franco-britanniques en 1940 et l’installation des troupes allemandes à Blois. Le premier volume s’intéressait également à la vie quotidienne sous l’Occupation. La série se veut donc une plongée approfondie dans cette période sombre de l’histoire locale, en s’appuyant sur des sources primaires et des témoignages pour donner une vision plus nuancée et exhaustive.
Le second volet, Blois « en guerre » (2ème partie), se concentre plus sur l’année 1944, une année clé marquée par la libération de Blois, parfois un peu idéalisée. En effet, le livre montre que Blois, comme d’autres villes françaises, n’a pas connu d’immenses combats pour sa libération, et que les destructions massives étaient antérieures. Et pour s’en convaincre, il faut replacer cette libération dans le cadre militaire plus large des opérations alliées sur le front européen. C’est ce que fait Yves Boyer, spécialiste des questions militaires et stratégiques, dans cette nouvelle publication.

Le rôle de la Résistance réévalué
Un des aspects majeurs abordés est la réévaluation – sans la minimiser – du rôle de la Résistance à Blois et dans le Loir-et-Cher. En expert, il affirme que, bien que la Résistance ait joué un rôle important, notamment en matière de renseignements et d’aide aux pilotes alliés abattus, elle n’a pas été l’élément décisif dans la libération de la ville. Cela contraste avec l’image largement diffusée après la guerre, où la Résistance est souvent perçue comme le principal acteur de la libération des villes françaises.
Les mouvements FFI (Forces françaises de l’intérieur) et FTP (Francs-tireurs et partisans) ont certes harcelé les troupes allemandes et organisé des sabotages, mais Yves Boyer rappelle que ce sont surtout les avancées des troupes alliées, en particulier américaines et britanniques, qui ont précipité la retraite des forces d’occupation. L’auteur met en lumière le fait que, bien que la ville n’ait pas été le théâtre de grandes batailles, la Résistance a contribué de manière précieuse en soutenant les opérations alliées par des actions de renseignement et des coups de main.
En outre, Yves Boyer souligne l’importance de reconnaître les sacrifices des forces alliées, en particulier les pilotes de la Royal Air Force, souvent oubliés dans les récits officiels. Surtout, il est essentiel de replacer la libération de Blois dans le cadre plus large des opérations alliées en Europe. C’est notamment l’encerclement des forces allemandes à la suite de la bataille de Normandie et les pressions exercées par les troupes américaines et britanniques qui ont provoqué la retraite des Allemands de la région.
Après le débarquement, la troisième armée américaine, celle de Patton, va se diriger vers la Loire et obliquer vers Troyes. En l’espace de deux mois, ils vont progresser jusqu’à Troyes, proche des frontières de l’Allemagne. Pendant cette chevauchée, les forces allemandes dans le sud de la France vont être complètement désorganisées, surtout après le débarquement en Provence. Hitler donne alors l’ordre aux unités allemandes de remonter vers le nord.
Face à Blois, sur la rive gauche, il ne reste que des forces allemandes de second ordre, des unités hétéroclites, sans véritable entraînement, dont certaines composées de jeunesses hitlériennes. Ces forces vont néanmoins tirer sur Blois, causant des victimes. « Par exemple, dans la maison que j’occupe, une personne a été tuée par une balle perdue en regardant par la fenêtre », confie Yves Boyer. Mais les Allemands quittent Blois autour du 2 ou 3 septembre, sans véritable combat.
« Les Américains vont revendiquer la libération de Blois, parfois de manière un peu excessive, mais il faut reconnaître que c’est grâce à l’action conjointe des forces américaines et britanniques que les Allemands ont été forcés de quitter Blois rapidement. Derrière tout cela, il y avait une logique militaire. C’est ce que j’ai voulu mettre en avant dans le premier volume, et dans le second, parce qu’on a trop souvent eu cette vision romantique de la libération, comme une épopée gaulliste et communiste, analyse l’expert. La libération de Blois s’inscrit dans une logique de guerre, comme ailleurs. »
L’été 1944
En termes de bombardements alliés, Blois fut relativement préservée en 1944 en comparaison avec les destructions subies en juin 1940, mais elle n’échappa pas aux attaques aériennes destinées à affaiblir les positions allemandes. Yves Boyer insiste sur le rôle méconnu de la Royal Air Force (RAF), dont les équipages ont pris de grands risques pour soutenir les forces au sol. Il évoque les missions dangereuses des Lysanders, petits avions utilisés pour exfiltrer des résistants ou des personnalités et les ramener en Angleterre. « Ce qui m’a frappé, c’est que les équipages de la Royal Air Force étaient très jeunes, la plupart âgés de 20 à 23 ans. Ce sont de jeunes hommes qui se sont sacrifiés pour la libération de la France », souligne l’ex-professeur à Polytechnique.
Yves Boyer met également en lumière l’importance du maquis, qui a recueilli des pilotes alliés abattus, et souligne la valeur stratégique des bombardements et des missions de sauvetage menées en coopération avec la Résistance.
La répression allemande et les rafles de 1942
Dans ce Blois « en guerre » (2ème partie), Jean-Paul Sauvage revient sur un épisode particulièrement sombre de l’Occupation : les rafles de juifs les 26 juin et 9-10 octobre 1942 (235 déportés dans le département dont 40 enfants). Il s’appuie sur des témoignages et des documents d’archives pour détailler les circonstances de ces rafles et les conséquences tragiques pour les personnes arrêtées. Il met également en avant la terreur que faisaient régner les forces d’occupation, notamment la Gestapo, dans la région. Ce chapitre rappelle à quel point l’Occupation allemande à Blois, comme les bombardements listés, ont laissé des traces profondes et durables dans la mémoire collective de la ville.

Le rôle du maire Henri Drussy sous l’Occupation
Un autre aspect crucial de l’ouvrage est dans le travail de recherche mené par Rainer Pohl, professeur installé à Blois, sur le rôle du maire, Henri Drussy, face aux autorités allemandes. Dans son chapitre intitulé Comment gérer une ville sous l’Occupation allemande ? Henri Drussy face à la Kommandantur, Rainer Pohl s’intéresse aux défis quotidiens auxquels l’édile était confronté, oscillant entre la nécessité de protéger ses concitoyens et la pression constante exercée par les autorités d’occupation.
En effet, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, Henri Drussy (1893-1944) s’est retrouvé à devoir composer avec des commandants allemands tout en essayant de maintenir l’ordre à Blois et de subvenir aux besoins de la population. Ses rapports avec la Kommandantur allemande sont détaillés dans ce chapitre. « Les archives municipales sont très riches. J’ai trouvé des documents extraordinaires, notamment les rapports journaliers du maire avec les différents commandants allemands, explique Rainer Pohl. Ces rapports, rédigés tous les deux jours environ, sont des petites notes, rarement plus longues qu’une page, mais très bien écrites, ce qui les rend faciles à comprendre et à lire. Ces documents révèlent les petites préoccupations quotidiennes de la ville : une école réquisitionnée, la gestion des élèves, des inondations à venir, etc. Ils témoignent des efforts du maire pour maintenir une bonne gestion de la ville tout en maintenant des relations diplomatiques avec les autorités militaires allemandes. »
Henri Drussy était un homme pragmatique, qui a dû jongler pour trouver un langage acceptable à la fois pour les autorités françaises et allemandes. Il ne parlait pas allemand, et la plupart des commandants allemands ne parlaient pas bien français. « Les traducteurs jouaient donc un rôle essentiel », observe Rainer Pohl.
On se dit, à la lecture du livre, que Henri Drussy est une figure complexe à aborder. Il se réclamait de Pétain, tout en ayant des liens avec la Résistance. Il a été arrêté deux fois par la « Police de sureté » allemande, la Gestapo de Blois. Le lendemain de sa 2e arrestation, on l’a transporté à Orléans où la Gestapo l’a interrogé et probablement torturé. En raison de son état de santé très fragile et en l’absence de preuves, grâce également au soutien du préfet Aucourt, il fut finalement libéré, mais à condition de démissionner.
« Je ne suis pas très à l’aise avec l’opposition simpliste entre la Résistance d’un côté et le régime de Vichy de l’autre, objecte Rainer Pohl qui souhaite prendre de la hauteur sur ces sujets. Pour les gens de l’époque, il s’agissait simplement de survivre et de gérer la vie quotidienne. Henri Drussy était respecté, pragmatique, et soutenu par une grande partie des Blésois, qui étaient, il faut le rappeler, majoritairement confiants envers Pétain. Cela permet de mieux comprendre certains comportements et décisions de cette période. Quant à savoir si Henri Drussy faisait réellement partie de la Résistance, il est difficile de l’affirmer avec certitude. Il connaissait tout le monde en ville, mais ses actions précises restent floues. À la fin, il a été arrêté pour avoir aidé à l’enlèvement d’Yvette Baumann, qui avait brièvement séjourné à Blois. Il avait notamment fourni de l’essence et des informations pour faciliter cet enlèvement. Mais cela ne fait pas nécessairement de lui un résistant. Henri Drussy a toujours fait des petits gestes pour aider ceux qui en avaient besoin. Avant même d’être maire, il s’occupait des anciens combattants et des victimes de guerre. On trouve dans les archives de nombreuses lettres de familles lui demandant de l’aide pour faire libérer un proche arrêté par les Allemands. Il intervenait toujours, parfois avec succès, parfois non. Ce qui ressort de ses actions, c’est qu’il était un homme au service de sa ville. Ses convictions personnelles restent plus difficiles à cerner, car il se protégeait en adoptant une stylistique impersonnelle dans ses rapports. Il ne s’exprimait jamais à la première personne.«
Henri Drussy est décédé en octobre 1944 d’une crise d’urémie. Il n’existe donc pas de témoignage rétrospectif de sa part. Mais il est avéré que tout au long de la guerre, il a cherché à maintenir une continuité dans la gestion de la ville, malgré les circonstances dramatiques.
Un ouvrage indispensable pour mieux comprendre
Blois « en guerre » (2ème partie) est un ouvrage riche en informations, documenté, qui apporte une nouvelle perspective sur la Seconde Guerre mondiale. Yves Boyer, Jean-Paul Sauvage et Rainer Pohl, grâce à leurs expertises respectives, offrent un regard nuancé et précis sur une période clé de l’histoire de Blois, et permettent de mieux comprendre les enjeux complexes auxquels la ville et ses habitants ont dû faire face.
Comme d’habitude, les Cahiers des Amis des Bibliothèques de Blois-Agglopolys (A.A.B.B.) sont en vente à l’entrée de la Bibliothèque Abbé Grégoire, à la librairie Labbé ; ils sont également au stand A.A.B.B. du Salon du Livre des Rendez-Vous de l’Histoire.