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Les échos littéraires d'Annie HuetLittératureVie locale

Le bien est surnaturel : ce que Claire Berest a vu dans le procès des viols de Mazan

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Mardi, Claire Berest était de retour à Blois, à l’Hôtel de Ville, invitée par Annie Huet dans le cadre de ses rendez-vous littéraires. Déjà venue à trois reprises, l’autrice poursuit avec la ville un dialogue discret mais fidèle, nourri de littérature, de pensée et d’engagement. Cette fois, elle y présentait La chair des autres (Albin Michel), un ouvrage traversé par un fait judiciaire majeur : le procès dit « des violeurs de Mazan », où une cinquantaine d’hommes ont été jugés pour viols. Durant la rencontre, dans une salle attentive, Claire Berest a évoqué sans pathos ni détour ce qui l’a conduite à écrire ce texte, ce qu’elle y a découvert, et ce que cette affaire a révélé, non seulement sur les limites de la loi, des moyens accordés, mais aussi sur le courage et le vertige du mal.

Mardi, Claire Berest était de retour à Blois, à l’Hôtel de Ville, invitée par Annie Huet
Mardi, Claire Berest était de retour à Blois, à l’Hôtel de Ville, invitée par Annie Huet.

Un récit sans fiction, une littérature éprouvée

Dans la salle des mariages de l’Hôtel de Ville, Claire Berest a raconté un basculement. Elle ne voulait pas écrire ce livre. Rien ne l’y prédestinait. « J’ai écrit ce livre par devoir, pas par envie. » Elle le dit posément, sans pathos. Au cœur de l’affaire : une femme, Gisèle Pelicot. C’est à partir d’elle, et autour d’elle, que tout s’est construit. L’auteure insiste sur le fait que le livre s’est écrit sous une contrainte morale : « Je ne pouvais pas trahir cette parole-là. » Gisèle Pelicot a parlé à deux reprises à la barre. Deux moments que l’écrivaine évoque comme des instants de bascule dans le procès. Elle se souvient d’une salle tendue, d’un silence total. « Elle a dit : “Je suis un champ de ruines. Je ne sais pas si ma vie suffira à me reconstruire.” » Claire Berest est restée saisie par la puissance de cette phrase, par ce qu’elle contenait de désespoir mais aussi de verticalité. Gisèle était debout.

Ce que Claire Berest a voulu explorer, à travers l’écriture mais aussi à travers sa présence physique dans la salle d’audience, c’est la tension entre le droit et la justice, entre la loi et les faits, entre les mots que l’on peut dire et ceux que l’on doit entendre. Elle a détaillé le fonctionnement juridique autour de la définition du viol. Et l’insuffisance — ou non — de la loi française actuelle. « Dans le Code pénal, le mot “consentement” n’apparaît pas dans la définition matérielle du viol », rappelle-t-elle. Pour autant, elle ne milite pas dans une posture simpliste. « Il ne faut pas penser que mettre ce mot dans la loi serait une baguette magique. » L’écrivaine, journaliste dans le cadre du procès Pelicot, a résumé les deux éléments requis pour qu’un viol soit caractérisé en droit : l’élément matériel (tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte, menace ou surprise) et l’élément d’intentionnalité. C’est sur ce dernier point que le procès s’est joué. « Les trois quarts des accusés ont reconnu les faits, mais pas l’intentionnalité. » Et c’est là que le débat juridique devient vertigineux : avoir eu conscience de l’acte, et de l’absence de consentement de la victime, au moment même où l’acte a été commis. « L’intentionnalité n’est pas la préméditation », insiste-t-elle. Et cela rend la justice difficile.

Consentement : le débat n’est pas clos

« J’étais, moi aussi, pour que le mot consentement entre dans la loi », confie-t-elle. Mais elle a découvert que nombre de féministes y sont opposées. Et elle comprend leurs arguments. Parce que placer le consentement au cœur du texte de loi pourrait, paradoxalement, recentrer l’enquête judiciaire sur le comportement de la victime. « On lui poserait mille questions pour déterminer si elle avait consenti ou non. Et c’est elle qui se retrouverait au centre du procès, alors que c’est l’auteur des faits qui doit y être. »

Elle souligne que ces débats traversent l’échiquier politique de façon transpartisane. « Il n’y a pas d’idéologie dans ces positions, mais des peurs, des expériences, des projections. » Pour elle, les juges ont déjà de nombreux outils à disposition. Ce qui rend les affaires complexes, ce ne sont pas tant les manques de la loi que la singularité de chaque situation, la nécessité de reconstituer des trajectoires de vie, des instants intimes et flous, et de dire ce qui s’est passé — ou non — dans un pavillon, à une heure précise. Et les moyens.

Gisèle Pelicot, ou la lumière fragile du bien

Mais ce qui a le plus touché Claire Berest, c’est cette femme, Gisèle Pelicot, « une toute petite femme en robe rouge », qui a pris la parole devant la cour, et dont la voix a retourné la salle. Elle dit : « Je veux que les gens puissent se dire : Madame Pelicot l’a fait, alors je pourrai le faire. » Elle dit aussi que son mari — son agresseur — a été l’amour de sa vie. Un homme extraordinaire. Et elle le pense vraiment. Elle le dit vraiment. Claire Berest n’élude pas cette complexité : « Elle nous montrait que les vérités ne sont jamais linéaires. »

Et c’est là que le livre La chair des autres prend sa dimension philosophique, voire métaphysique. Pour Claire Berest, l’écriture a permis de comprendre que, depuis l’enfance, en explorant le mal, le malheur, la monstruosité, c’est peut-être autre chose qu’elle cherchait. « J’ai compris que ce que je cherchais, c’était le bien. » Et que le bien, dit-elle, « est surnaturel ». Le mal, lui, ne l’est pas.

Claire Berest

C’est cette lumière qui rend l’écriture possible. Et que peut-être, à travers une salle d’audience, un livre, une parole reçue, une parole tenue, quelque chose peut se transmettre. Non pas pour réparer, mais pour faire tenir debout malgré le champ de ruines.

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