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Le numéro 23 des Cahiers de l’École de Blois explore les paysages partagés

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Dans son 23e numéro, la revue annuelle de l’École de la nature et du paysage de Blois (INSA Centre-Val de Loire) s’empare de la notion de « paysages partagés ». Au fil de 144 pages, entre récits d’élèves, enquêtes de terrain, essais critiques, photographies et contributions artistiques, les Cahiers font entendre une voix collective, exigeante, ancrée dans les tensions sociales, écologiques et politiques de notre temps. Ce dossier de fond, nourri de documents, de paroles et de travaux, tisse un portrait rigoureux d’une revue unique en France.


Une revue à l’écoute du monde

L’histoire des Cahiers de l’École de Blois est indissociable de leur ambition originelle : proposer un objet éditorial à la croisee de plusieurs champs — pédagogique, artistique, scientifique — sans jamais se cantonner à une fonction unique. Comme le rappelle Olivier Gaudin, enseignant à l’École et responsable de l’édition : « Jean-Christophe Bailly, qui était enseignant ici, mais qui était d’abord et surtout un écrivain et un éditeur de métier, a eu cette idée de ne pas faire une revue ni académique, ni professionnelle, ni strictement pédagogique, mais touchant un peu à tout cela. »

Chaque numéro articule ainsi différentes formes : travaux d’étudiants, contributions d’artistes, réflexions d’enseignants, documents de terrain, essais à portée critique ou poétique. Le n°23, paru en juin 2025 aux Éditions de la Villette, interroge la notion de paysages partagés, à partir d’expériences menées de la Bosnie à la Guadeloupe, de l’Alsace aux Alpes, du Clunisois à la Loire.

« Partagé », le paysage l’est au sens fort : il engage des cohabitations, des conflits, des regards multiples. Il est le lieu où se croisent des vivants, des usages, des droits. Il n’est jamais une propriété neutre. « Le paysage est toujours le paysage de quelqu’un », écrit Olivier Gaudin dans son texte introductif. Ce qui signifie que toute représentation, tout projet, tout regard, est situé.

23e cahier de Blois

Les Cahiers de l’Ecole de Blois sont à la fois le miroir et le moteur d’une certaine idée de la formation. À Blois, les étudiants choisissent eux-mêmes leur sujet de diplôme, avec un site et une question à explorer. Ce travail de longue haleine, ancré dans le réel, constitue le cœur de chaque numéro. Les quatre diplômes présentés dans ce numéro abordent chacun, à leur manière, une facette du partage : mémoires territoriales, justice environnementale, pratiques agricoles ou transformations urbaines. « Le paysage, ce n’est pas que le rural. Il y a des sujets très urbains, et une grande variété d’échelles : certains travaillent sur 60 000 hectares ! », souligne Olivier Gaudin.

Christophe Le Toquin, photographe et enseignant, insiste sur la portée politique du regard : « Nos étudiants sont souvent en avance sur nous. Ils anticipent des questions qu’on n’avait pas encore envisagées comme paysagères. Ils sont déjà dans une dynamique d’action collective, à différentes échelles. »

La notion de « paysage partagé » renvoie aussi au droit : propriété foncière, accès aux ressources, politiques d’aménagement. Une juriste comme Sarah Vanuxem, qui a contribué au n°19 des Cahiers (lire ici), y introduisait une critique des fondements modernes de la propriété privée. « La propriété telle qu’on la connaît, avec des barbelés autour de son jardin, c’est très récent. Elle date de la Révolution française, qui disait : liberté, égalité, propriété. La fraternité, c’est 1848″, rappelle Olivier Gaudin.

Un numéro ancré dans le présent

Paysages partagés n’est pas un numéro hors sol. Il résonne avec les grands débats contemporains : crise climatique, écologie politique, justice sociale, anthropocène. Mais sans simplification ni dogme. Le paysage y est pensé comme une interface entre milieux, entre espèces, entre temporalités. « Le vivant, ça peut être un virus, une pollution, une maladie. Il faut se méfier de l’idée d’un grand V qui serait en face de l’humain. Il y a des vivants, des groupes sociaux, des conditions multiples », insiste Olivier Gaudin.

Le numéro rend aussi compte du changement de paradigme dans la manière de faire projet : « Il y a 30 ans, un projet de paysage était un produit fini, sur une parcelle. Aujourd’hui, c’est un processus, un ensemble d’interactions, une temporalité élargie« , explique Christophe Le Toquin. Le rapport aux images a aussi changé : « Aujourd’hui, l’image est polymorphe. Ce n’est plus seulement la photo ou la peinture. C’est un outil de projet, de communication, de narration. »

Une revue d’école, une école ouverte

Derrière les Cahiers, il y a une école. Et une ambition : former des paysagistes capables de réinventer leur métier. « Ce n’est pas encore la vraie vie professionnelle, mais on les y prépare », dit Christophe Le Toquin. L’école fonctionne avec des enseignants majoritairement extérieurs, praticiens actifs du paysage, de l’urbanisme, de l’hydrologie ou de l’image. « Les élèves font presque dix mois de stage sur cinq ans. Ils sont confrontés à la diversité des pratiques, des attentes, des outils », précise Olivier Gaudin.

Des dunes calcinées du Pilat à la station de Tignes menacée par le réchauffement, en passant par les terres empoisonnées de Guadeloupe ou les interstices urbains de Bordeaux, le 23e Cahier de l’Ecole de Blois explore des territoires bouleversés, à travers les projets de fin d’étude de ses diplômés. Il y est question de résilience, de communs, de mémoire, et surtout d’un art d’anticiper en tissant des liens.

« Le paysage, ce n’est jamais une table rase »

Derrière sa couverture épurée et son format resserré, le 23e numéro des Cahiers de l’école de Blois cache une ambition tenace : documenter les mondes qui viennent. Non pas à la manière des prospectivistes ou des experts du futur, mais à travers les gestes concrets de jeunes paysagistes, qui apprennent à faire avec : avec les sols, les vivants, les conflits, les mémoires, et surtout avec les autres.

« Ce sont des projets qui impliquent de faire ensemble, de faire avec », résume Olivier Gaudin, responsable éditorial du Cahier. Quatre projets de diplôme ont en commun d’explorer des situations bouleversées, souvent conflictuelles, où le paysage devient à la fois support, ressource, et médiateur.

Dune du Pilat : réapprendre à vivre avec l’incendie

Cas d’étude : la forêt usagère de la dune du Pilat, ravagée par le feu le 12 juillet 2022. Trois ans presque jour pour jour après l’incendie, Antonin Renard, étudiant à l’école de Blois, imagine une réponse paysagère fondée non sur la reconstruction mais sur la « résurgence ». À l’aide d’un plan-guide, il dessine un réseau d’actions coordonnées, lentes, phasées dans le temps, qui vise à faire renaître une forêt plus vivante, mais aussi plus résistante. « Comme souvent chez les paysagistes, il ne s’agit pas de faire table rase. Le paysage garde la mémoire de ce qui était là. ». La forêt usagère est ici envisagée comme un bien commun vivant : pas de propriété privée, mais des usages partagés, transmis depuis l’Ancien Régime. Une forme de coopération territoriale ancestrale, remise en lumière par le geste du projet.

Guadeloupe : réparer les sols, soigner les corps

Valentine Bonnefond a choisi un territoire empoisonné : le sud de la Guadeloupe, contaminé au chlordécone. Invisible à l’œil nu, cette pollution affecte les terres agricoles et les corps. Son projet articule dessin spatial, écologie, soin et mémoire : comment circuler dans une bananeraie ? Comment réinventer l’espace public dans un paysage blessé ?

Inspirée par la tradition orale du jardin créole, elle s’appuie aussi sur les savoirs des écologues. La phytoremédiation — usage de plantes pour dépolluer — est explorée comme l’une des voies techniques. Mais au-delà de la dépollution, le projet est pédagogique. « Nos étudiants travaillent aussi à faire comprendre pourquoi c’est pollué, et comment agir », explique Olivier Gaudin. On ne peut pas aborder la question de la banane en Guadeloupe sans parler du colonialisme et de l’agro-industrie. Le projet devient donc logiquement un révélateur des paradoxes géopolitiques : lois européennes appliquées à un territoire tropical, décisions prises depuis Paris pour un paysage à des milliers de kilomètres. Le paysagiste ne prétend pas tout résoudre, mais il rend visible l’entrelacs de ces complexités.

Bordeaux : les interstices de l’urbain

Lucie Goumain, troisième diplômée présentée, interroge le projet urbain. À Bordeaux, sur la rive droite, le quartier de Brazza est un symbole de planification néo-libérale. Déjà largement programmé, il reste des interstices — des marges, des espaces vacants — que la jeune paysagiste investit. Forte d’une formation d’urbaniste, elle adopte une approche fine du sol : observer, comprendre, proposer d’autres manières de faire dans les failles du plan. Là encore, le projet révèle une posture : « On ne vient pas avec des certitudes. On enquête, on rencontre, on compose avec les usages. »

Tous les étudiants de l’école choisissent eux-mêmes leur terrain de diplôme. Certains ont un site en tête dès la première année, lié à une histoire personnelle. D’autres le découvrent au fil du cursus, après un stage ou une rencontre. « Le diplôme dure un an. Il commence par un long travail d’enquête sur le terrain. »

Tignes : penser l’après-station

Le dernier projet proposé dans ce numéro mène en Savoie, à Tignes. Tandis que la station investit dans les hauteurs en vue des Jeux olympiques 2030, Manuel Witt prend une autre voie : il imagine l’après « quand il n’y aura plus de rentabilité ».

Son projet, intitulé De la station à la subsistance, trace les contours d’un avenir plus sobre, fondé sur l’agroforesterie, l’agropastoralisme, des usages partagés du territoire. « Ce n’est pas une utopie, mais une anticipation. Une vision plausible », insiste Olivier Gaudin. Le paysagiste, ici, joue son rôle de pédagogue : accompagner les habitants à repenser leur relation au territoire, y compris dans la perspective de l’effondrement d’une filière.

Du wise plutôt que du smart

Le paysagiste est-il la voie de la sagesse ? « On nous parle toujours de « smart », mais je préfère le « wise », comme y invite Sébastien Marot en citant un ouvrage de l’auteur américain Charles C. Mann », glisse Olivier Gaudin avec un sourire. Le paysagiste n’est ni savant ni technocrate. Il ne vend pas de solution miracle. Il propose des projets non surplombants, issus du terrain, nourris par l’écoute et le soin.

C’est aussi ce qui se joue dans le projet d’observatoire photographique participatif porté par l’école, en partenariat avec la Mission Val de Loire. Chaque année, un territoire est choisi. Les habitants reproduisent des photographies d’année en année, discutent des évolutions, adoptent un point de vue. « J’aime ce terme d’adoption. Adopter une photo, c’est s’engager à la refaire, à en prendre soin, comme on le ferait avec un être vivant. » Là encore, le paysage devient affaire de commun, de soin partagé.

Une fabrique collective

Le Cahier ne se limite pas aux diplômes. Il accueille aussi les contributions de trois enseignants : Antoine Maréchal, illustrateur, livre un texte splendide sur le dessin de projet (Une ligne pas si claire). Mathieu Lucas s’intéresse à l’air, à sa circulation, comme élément de projet. Frédéric Rossano raconte un atelier interdisciplinaire entre architectes, ingénieurs et paysagistes, en Alsace, sur le risque hydrologique. D’autres textes font résonner le paysage avec l’histoire, la mémoire ou la géopolitique : un poème de Frank Smith sur la jungle de Calais, une réflexion d’Aline Cateux sur la Bosnie, une mise en lumière du deuxième directeur du Bauhaus, ou encore un travail collectif sur l’Institut de l’environnement fondé après Mai 68.

« C’est un projet éditorial au long cours. On y travaille pendant huit mois », confie Olivier Gaudin. Le financement n’est pas assuré par l’enseignement supérieur, mais par Agglopolys et le ministère de la Transition écologique. « Tout le monde est rémunéré. Les diplômés, les contributeurs, les enseignants vacataires. » Tiré à 900 exemplaires, le Cahier est disponible en librairie et sera présenté aux Rendez-vous de l’Histoire ainsi qu’à la Fondation du Doute le 3 septembre. « On aime bien décloisonner », conclut Christophe Le Toquin.


Fiche technique :

  • Titre : Cahiers de l’École de Blois n°23 – Paysages partagés
  • Parution : juin 2025 – Disponible en librairie
  • Pages : 144 pages
  • Format : 180 x 240 mm
  • Prix : 20 €
  • Collection : Cahiers de l’École de Blois (fondée en 2003)
  • Éditeur : Éditions de la Villette
  • Site : www.cahiers-ecole-de-blois.fr

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