« The West Monsters Show » : un spectacle imaginé à Quinière

À l’espace Quinière – Rosa-Parks, les tables sont couvertes de grands cartons. Des silhouettes y prennent forme, griffées de couleurs, tandis que les mains s’agitent, hésitent, reprennent. Ce n’est pas une classe, pas un atelier scolaire. C’est un chantier collectif. Un laboratoire d’imaginaire. Le point de départ d’un concert dessiné qui sera présenté le mercredi 19 novembre 2025, à la veille du festival bd BOUM, dans cette même structure.
Le projet s’appelle « The West Monsters Show », et il est porté par la Maison de la BD de Blois en partenariat avec l’espace Quinière – Rosa-Parks. Il s’inscrit dans une ambition clairement revendiquée : faire entrer la bande dessinée, l’illustration et la création visuelle dans les quartiers populaires, non comme une extension symbolique, mais comme un lieu de production artistique à part entière.
Une œuvre collective née du quartier
C’est Bruno Genini, directeur de la Maison de la BD et du festival bd BOUM, qui est à l’origine du projet. Mais pour lui donner corps, il s’est tourné vers l’équipe de l’espace Quinière – Rosa-Parks, où le projet a pris racine avec enthousiasme. « En fait, on a l’habitude, depuis trois ans maintenant, de monter des projets ensemble. Moi, j’adore ces propositions, parce que ça donne l’occasion à un groupe d’enfants, jusqu’alors, de s’investir sur une semaine », explique Sophie Delauné, directrice de l’espace.
Cette année, l’ambition monte d’un cran : deux semaines d’atelier en juillet (jusqu’à ce vendredi 25), deux autres en octobre, et une restitution en novembre, dans le cadre du festival. « Ce qui change aussi, c’est qu’on a un groupe intergénérationnel », poursuit-elle. « C’est notre grande fierté. Que bd BOUM vienne dans les quartiers, c’est quelque chose d’important. C’est dans notre volonté de faire en sorte que les habitants se sentent pleinement Blésois. »
Le projet se veut également représentatif de la diversité du quartier. « Cette volonté d’éclectisme, de faire en sorte que chacun se sente à sa place, c’est très fort ici. La thématique des monstres s’y prête bien. » Et si le projet a pris, c’est aussi grâce à l’engagement local. « On a la chance d’avoir une référente Enfance-Famille, Sonia Genini, qui a vraiment retroussé ses manches. Elle est allée à la rencontre des familles, des enfants, elle leur a donné envie. Et ça a marché. »
Monstres du monde entier
La thématique du monstre a été choisie cette année par La Maison de la BD. Pas pour faire peur. Mais pour offrir un espace d’exploration illimité, ouvert à l’imaginaire comme à l’intime. Claire Godard, illustratrice et scénariste, est chargée de la partie visuelle. « Le nom West Monsters, c’est une référence directe au quartier ouest de Blois. Mais très vite, on a élargi. Ici, c’est multiculturel, alors on a voulu partir sur les monstres du monde entier. »
Claire Godard a mené un travail de recherche iconographique : monstres africains, océaniens, asiatiques, européens, américains. Des planches d’images ont été imprimées en grand format, affichées dans la salle. Les participants ont choisi, réinterprété, dessiné. « Chacun a pu s’approprier une créature et lui redonner une vie. »

Mais ce n’est pas tout. En parallèle de ces modules visuels, un autre pan du projet se met en place : l’ambiance sonore.
Une écriture à plusieurs mains
C’est Paddy O’Turner qui en assure la direction. En octobre, il animera les séances de composition musicale et de bruitage. « On ne va pas simplement mettre une bande-son », précise Claire Godard. « Paddy travaille en MAO, mais aussi à partir des voix des participants, enregistrées, modifiées, pour créer des ambiances monstrueuses. » Chaque monstre a une petite histoire, un univers sonore propre. Et dans cette matière brute, Paddy ira puiser de quoi construire une partition polyphonique, composite et poétique.
Un vrai travail d’équipe, avec une progression scénarisée : « J’ai écrit une petite trame très simple », précise Claire Godard. « Et à partir de là, chacun a inventé, enrichi. Paddy y répondra avec des instruments du monde entier, pour refléter la diversité des monstres. Un mélange étrange, un peu bizarroïde parfois, mais c’est ce qui fait le charme. »
Le principe du concert dessiné
La restitution de novembre prendra la forme d’un spectacle visuel et sonore en direct. Sur scène, les participants dessineront sous une caméra bande-titre : un dispositif posé au-dessus de la table à dessin, qui filme en temps réel le tracé des pastels sur fond noir. Le dessin s’affiche en direct sur un grand écran. Pendant ce temps, la musique — enregistrée ou jouée partiellement en live — accompagne le geste. C’est la définition même du concert dessiné. « Il y en a de plus en plus », commente Claire Godard. « Mais ici, ce n’est pas juste une performance d’artiste. Ce sont les habitant·e·s eux-mêmes qui dessinent, qui s’expriment, qui montent sur scène. Et nous, on est là pour les guider, pour encadrer. »
Un atelier structurant et valorisant
Derrière la légèreté apparente de l’univers monstrueux, le projet poursuit des objectifs concrets, dans le cadre de la Politique de la Ville. Il s’agit d’ouvrir un espace où chacun peut s’exprimer librement, tout en intégrant des règles de groupe, de rythme, de construction. « Ce sont des ateliers structurants, mais aussi valorisants », souligne Sophie Delauné. « On veut que chacun y trouve sa place, quelle que soit son origine, son âge, son parcours. »
L’implication des familles est recherchée et encouragée. « C’est multigénérationnel », se réjouit Claire Godard. « Il y a des enfants, des ados, des parents, des grands-parents. Une grand-mère est même venue avec sa petite-fille. » Un brassage rare, qu’elle juge particulièrement riche. « Il y a des histoires personnelles fortes. On rame un peu au début… et puis, finalement, ça donne des choses super. »
Pour Claire, ce projet a aussi une dimension utile. « Je travaille beaucoup toute seule. Comme beaucoup d’auteurs, on est dans nos bulles, un peu autocentrés. Là, je rentre chez moi contente, impatiente de les retrouver le lendemain. » Elle ne compte plus les projets qu’elle a menés grâce à la Maison de la BD : dans les écoles, avec des adultes en réinsertion, dans les quartiers, ou même pour une illustration dans le Blois Mag. « C’est une ressource intarissable pour les artistes locaux. Je dis toujours oui à bd BOUM. Je n’ai jamais dit non. » Et demain ? Peut-être que ces monstres réapparaîtront ailleurs. Dans ses projets personnels. « J’ai fait un livre l’an dernier sur un chevalier et un dragon. Je pensais jamais dessiner un dragon de ma vie. Et puis… voilà. Les monstres, c’est un sujet qui ouvre tous les imaginaires. »
Et après l’été ?
La première session s’est achevée ce 25 juillet. Vient désormais le temps de la pause estivale, puis la deuxième session pendant les vacances de la Toussaint, avec les répétitions et l’élaboration scénique. Ce long entre-deux est à la fois un risque — celui de décrocher — et un défi. Mais une chose est sûre : le 19 novembre, les crayons et les voix s’uniront, sur scène, pour donner vie aux monstres du quartier ouest !