Des clients satisfaits, des salariés valorisés : le double pari d’Eurêka

Depuis plus de trente ans, l’association Eurêka, basée à Blois, s’efforce de remettre sur le chemin de l’emploi des personnes en difficulté, en leur proposant des missions professionnelles concrètes. Structure d’Insertion par l’Activité Économique (SIAE) agréée par l’État, elle intervient sur le Loir-et-Cher avec un éventail de services aussi bien destinés aux particuliers qu’aux collectivités et aux entreprises. Aux commandes de cette structure depuis le 1er janvier 2025, Karine Delhuvenne vient du monde du soin. Elle incarne aujourd’hui, avec engagement et humilité, la continuité des valeurs d’Eurêka : solidarité, entraide, égalité et respect.
Une transition décidée de l’intérieur
Quand l’ancien directeur a annoncé son départ, les membres du conseil d’administration se sont posé une question fondamentale : fallait-il recruter à l’extérieur, au risque de perdre l’esprit Eurêka, ou confier l’avenir de la structure à une personne qui en connaissait déjà les rouages ? Présente au conseil d’administration depuis 2017, Karine Delhuvenne, infirmière de formation, a accepté le défi. « Je ne viens pas du tout de ce secteur, mais j’avais déjà cette fibre sociale, notamment à travers mon poste de responsable du pôle aide aux aidants au CIAS de Blois », confie-t-elle. Le tournant s’est opéré après la crise sanitaire.
Une mission sociale avant tout
Le cœur du travail d’Eurêka consiste à accompagner des personnes très éloignées de l’emploi, souvent sans diplôme, sans véhicule, parfois isolées, marquées par des parcours de vie heurtés. Ce sont des bénéficiaires du RSA, des primo-arrivants, des mères seules, des personnes ayant traversé des périodes de maladie ou de dépression. Pour toutes ces personnes, Eurêka est un sas de transition, un tremplin vers l’emploi pérenne.
L’association propose des missions ponctuelles ou récurrentes, dans les domaines de l’entretien d’espaces verts, du ménage, du repassage, du petit bricolage, de la peinture ou du désencombrement. Pour les entreprises, collectivités et établissements publics (Agglopolys, Ville de Blois, CCAS, centres hospitaliers, etc.), Eurêka répond à des appels d’offres ou met du personnel à disposition.
En 2024, près de 250 salariés en insertion ont été employés, pour environ 300 personnes accompagnées. « Nous recevons chaque mois entre 15 et 20 candidatures via la Plateforme de l’inclusion. Nous en retenons une partie, en fonction des profils et de leur disponibilité réelle », explique Karine Delhuvenne.
Des freins à lever, des victoires à construire
Les freins à l’emploi sont multiples : manque de mobilité, de confiance, de repères, problèmes de santé ou de surendettement. Pour y faire face, Eurêka met en œuvre un accompagnement social individualisé, grâce à une équipe composée de deux conseillers en insertion professionnelle (CIP), deux alternants, trois chefs d’équipe, un responsable de secteur, deux agents de mise à disposition à Blois et d’autres antennes à Contres et Romorantin. « On travaille aussi sur le budget. Beaucoup ont des abonnements téléphoniques de 70 euros, alors qu’il existe des forfaits à 9 euros. Il y a parfois des saisies sur salaire. L’objectif est de rétablir un équilibre de vie », poursuit la directrice. Ce soutien s’étend jusqu’à des aspects plus intimes. Sans parler de psychologie, l’écoute est constante. « Certains salariés arrivent avec leur histoire, leur charge émotionnelle. On ne les reçoit pas juste pour leur mission : on les accueille, on les soutient. Ce n’est pas du maternage, mais ça y ressemble parfois. »
Travailler avec eux, et pas seulement pour eux
La démarche d’Eurêka est profondément éthique : « On ne propose pas une mission à quelqu’un si on n’est pas capable de la faire soi-même. » Karine Delhuvenne l’a prouvé récemment en participant à une opération de nettoyage difficile, dans un appartement où une personne avait été retrouvée décédée depuis plusieurs semaines. « J’ai passé la journée avec eux. Nettoyer le sang, ce n’est pas agréable. Mais je ne pouvais pas demander à un salarié d’y aller si moi-même je refusais de le faire. »
Ce respect des personnes est le socle d’une relation de confiance qui, à terme, porte ses fruits. Ainsi, des salariés timides, mutiques à leur arrivée, finissent par s’affirmer. Des profils fragiles reprennent une activité. Des vocations se révèlent. « On a un salarié à qui j’ai demandé : ‘Sur quelle mission vous sentez-vous bien ?’ Il m’a répondu : ‘Pas le rendement. Moi, c’est le transport.’ Le lendemain, un laboratoire avait besoin d’un chauffeur pour transporter des poches de sang. Il a été embauché en CDD. Et peut-être que cela débouchera sur un CDI. »
Qualité du service et exigences professionnelles
Contrairement à une idée reçue, insertion ne signifie pas travail au rabais. Eurêka impose une charte du salarié, et une posture professionnelle. Des chefs d’équipe accompagnent les premières missions, s’assurent que les salariés ont bien compris les consignes, qu’ils portent les équipements de sécurité, et interviennent même comme chauffeurs pour les personnes non véhiculées. La satisfaction des clients particuliers est prise au sérieux. « On a un taux de satisfaction de 85 à 90 %. Les nouveaux clients reviennent souvent. »
Sur le plan pratique, la politique tarifaire a été revue : 23 euros de l’heure pour les particuliers, 30 euros avec fourniture de matériel. Le dispositif de crédit d’impôt en temps réel a été mis en place. Et l’association dispose désormais de 10 véhicules, permettant de lever en partie les obstacles liés à la mobilité.

Des ambitions pour l’avenir
Les professionnels restent un socle solide. Plusieurs contrats sont signés jusqu’en 2027. Mais l’objectif est clair : développer le secteur des particuliers, pour enrichir le panel de missions, proposer plus de diversité aux salariés, et renforcer l’effet tremplin vers l’emploi durable. Chaque année, environ 40 personnes accèdent à un emploi stable grâce à leur passage chez Eurêka. Et d’autres partent en formation, notamment dans les espaces verts. Aux yeux de Karine Delhuvenne, le sens de l’engagement ne se mesure pas en tableaux Excel. « Moi, je m’appuie sur le social. » Et c’est peut-être ce qui fait la force d’Eurêka, encore aujourd’hui.