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Claude Gruffat veut « démontrer qu’il existe d’autres solutions »

Ce samedi 24 février, à Blois, en compagnie de François Thiollet (lire ici), autre député européen écologiste de Loir-et-Cher, Claude Gruffat s’est attaché à poser des thèmes pour apporter des propositions. Membre de quatre commissions distinctes (Commission des affaires économiques et monétaires, Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, Commission de l’agriculture et du développement rural, et Sous-commission des affaires fiscales), l’élu vert a beaucoup d’informations qu’il souhaite faire remonter au public.

La question agricole

A commencer par l’agriculture, un sujet majeur actuellement. Et en particulier la Politique Agricole Commune (PAC) « qui est presque constamment révisée ». En effet, la PAC pour la période 2023-2027 est déjà en application, et la Commission européenne commence à réfléchir à la prochaine PAC pour 2027-2032. Le budget de la future PAC sera déterminé à la fin de l’année 2025, une fois que le cadre financier pluriannuel 2028-2034 sera approuvé par le Conseil européen. La réforme de la PAC post-2027 tiendra compte du bilan de la PAC actuelle, de la situation économique et géopolitique de l’Union européenne, ainsi que des propositions qui remonteront à Bruxelles​​.

« Il faut revisiter la trajectoire de la PAC, elle a été initiée dans les années 60 en France, et visait initialement à l’autonomie et à la souveraineté alimentaires, rappelle Claude Gruffat. Cela a très bien fonctionné pour tout le monde. Tellement bien qu’à partir des années 80, on avait des excédents au point d’avoir « des montagnes de beurre et des rivières de lait d’Europe »... La mondialisation arrive et la PAC change d’organisation. On a évolué pour soutenir les marchés. Puis, avec la globalisation et le libéralisme on va encore plus loin : on part sur une idée de soutien à la surface. Cette évolution a conduit à un système où 70% des aides de la PAC sont basées sur la surface des terres, favorisant l’agrandissement des exploitations agricoles. L’agriculteur est toujours le petit d’un plus gros qui va le bouffer. Ce modèle a créé une disproportion dans le soutien financier, où 1% des agriculteurs français reçoivent 30% du budget de la PAC, et 20% en reçoivent 80%, laissant 80% des agriculteurs se partager les 20% restants. Cette situation a mené à des tensions économiques pour de nombreux agriculteurs, exacerbant les crises agricoles actuelles. Tant qu’il y aura ce modèle de PAC il y aura des crises. Comme aujourd’hui. Mais la FNSEA s’est empressée de saisir le conflit pour traiter d’autres sujets que le revenu. Il y a quand même des chiffres catastrophiques dans le monde agricole. Un tiers des paysans gagne moins de 350€ par mois (chiffre de la Mutualité Sociale Agricole en 2017, ndlr). Et ce n’est pas qu’en France. En outre, on a plus de 20% des agriculteurs qui sont en précarité alimentaire. Le dysfonctionnement est plus qu’inacceptable. »

« La FNSEA, ce qu’elle cherche à gagner actuellement c’est la fin de l’encadrement pour plus d’environnement, pour plus de santé publique, pour protéger la biodiversité, la qualité de l’eau, la qualité de l’air, juge l’élu écologiste. Pour moi, le sujet de l’eau va faire tomber les pesticides. Les citoyennes et citoyens ne vont pas accepter d’avoir une eau empoisonnée. C’est important de parler des lobbies. Les coopératives agricoles très puissantes sont toutes pilotées par la FNSEA. Et elles gagnent comment leur vie ? Pas en vendant du blé, mais des pesticides et des engrais. La vente des intrants. »

C’est pourquoi les écologistes proposent de changer radicalement de système, poursuit l’eurodéputé. Avec un soutien à la production à valeur ajoutée, la transformation et la relocalisation des productions agricoles, « pour mieux répondre aux besoins alimentaires des populations tout en préservant l’environnement ». Cette nouvelle orientation doit également considérer la toxicité croissante des pesticides, soulignant la nécessité de sortir du modèle actuel pour une agriculture durable qui nourrisse la population et protège l’environnement. « Le problème politique actuel réside dans l’incapacité des politiques à proposer des solutions efficaces et durables, et tout le monde va dans le mur, ajoute l’écologiste, notamment en matière de santé publique. »

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Filières locales

Les histoires de Biocoop et de Claude Gruffat sont liées, et marquées par un engagement profond pour le développement de la consommation bio et une agriculture durable. Remontons le temps. Claude Gruffat a rejoint une association de consommateurs bio à Blois, qui s’organisait pour acheter directement chez les producteurs bio de la région. En 1993, il a ouvert un magasin bio à Blois pour augmenter l’impact et rendre les produits bio plus accessibles. Un an plus tard, il a rejoint le réseau Biocoop, et s’est rapidement impliqué dans la gestion de la coopérative, devenant président en 2004​​. Claude Gruffat a également contribué à la structuration du secteur bio en France, notamment à travers le Cahier des Charges Biocoop qui définit des règles collectives sur le choix des produits, la gestion des entreprises et leur dimension sociale.

Logiquement, Claude Gruffat s’intéresse aux plans alimentaires territoriaux, « en rencontrant les acteurs pour voir comment les dynamiser et les étendre au-delà de la simple production, en intégrant la transformation et la logistique, essentielles pour distribuer les produits sur tout le territoire français », explique-t-il. « Mon Tour de France de la bio en 2023 m’a montré l’importance de ces initiatives et les succès qu’elles peuvent rencontrer lorsque les communes investissent, par exemple, dans des légumeries pour intégrer ces produits dans leur système de distribution. Je m’efforce de démontrer qu’il existe d’autres solutions, comme avec Biocoop et la construction de filières. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet et nous avons rencontré de nombreux succès. La notion de reterritorialisation est cruciale. La proximité reste un facteur important. En développant des filières locales, nous ramenons la production en France pour renforcer les circuits courts, minimiser les intermédiaires et renforcer la confiance des consommateurs. Cela nous permet de ne pas dépendre de produits importés de l’hémisphère sud, faisant ainsi un clin d’œil à la souveraineté alimentaire et à l’impact environnemental de notre consommation. Et je voudrais dire qu’une étude sortie fin 2023 disait que les paysans bio gagnaient entre 22 et 36% de plus qu’un agriculteur conventionnel. »

Une étude réalisée par l’INSEE a analysé la rentabilité de l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle. L’étude a inclus 1 800 fermes biologiques et 28 000 exploitations conventionnelles dans trois secteurs : le maraîchage, la viticulture et la production laitière. Les résultats ont montré que l’agriculture biologique est généralement plus rentable que le conventionnel. Les viticulteurs bio, par exemple, ont un chiffre d’affaires moyen supérieur de 46 % à celui des viticulteurs conventionnels. Les maraîchers bio, bien que générant moins de chiffre d’affaires, économisent sur les intrants de synthèse, ce qui améliore leur excédent brut d’exploitation (EBE). Pour la production laitière, les aides à l’agriculture bio contribuent également à un EBE supérieur. Globalement, la vente en circuit court est un facteur clé permettant aux agriculteurs bio de capturer davantage de la valeur finale du produit et d’améliorer leurs résultats économiques​​.

Dans le débat sur l’agriculture durable versus l’agriculture industrielle, certains affirment que seule la seconde option nourrira la planète. « Les surfaces cultivables en Europe représentent 12% dans le monde, rétorque Claude Gruffat. On a lancé un dogme il y a 50-60 ans qui dit qu’avec une agriculture industrielle on nourrira le monde. Qui peut le concevoir ? Cela ne tient pas la route ! L’agriculture européenne, fortement subventionnée, ne reflète pas un modèle viable à long terme. Des études, comme celle d’Olivier de Schutter mandatée par la FAO, montrent que seule l’agriculture biologique est capable de nourrir la population mondiale de manière durable et économiquement viable. La crise ukrainienne a mis en lumière des chiffres sur l’agriculture européenne, notamment la répartition des terres cultivables. 54% sont utilisées pour l’alimentation animale et 15% la production d’énergie, plutôt que pour nourrir les humains (19%). Repenser cette répartition est essentiel pour une transition vers une agriculture plus durable. » Réduire le consommation de viande apparait une nouvelle fois comme indispensable.

Une réforme fiscale

En ce qui concerne la fiscalité, le défi, selon Claude Gruffat, consiste à « redistribuer équitablement la richesse qui n’a jamais été aussi concentrée ». Un impératif à ses yeux car « les multinationales et les milliardaires, en particulier, ont vu leur richesse augmenter considérablement pendant la période du Covid, souvent sans payer leur juste part d’impôts, précise le député européen. Des propositions visent à introduire une taxation plus équitable des plus riches en Europe, potentiellement très lucrative. Et franchement, il y a des solutions douces. Une étude suggère qu’une taxe sur les 0,5 % les plus riches – après 3.6€M€ – pourrait générer des revenus significatifs. Par exemple, une taxe pas agressive de 1,7 % sur les patrimoines de plus de 3 millions d’euros pourrait générer un budget supplémentaire pour l’UE de 213 milliards d’euros, bien au-delà du budget annuel de fonctionnement de l’Europe de 145 milliards d’euros. Il est intéressant de noter que même parmi les personnes concernées, il existe un soutien pour une telle réforme fiscale. »

Depuis 2020, une portion significative des nouvelles richesses mondiales a été captée par les 1% les plus riches de la population. Selon un rapport d’Oxfam, cette élite a capturé 63% des richesses produites, ce qui est presque le double de ce que le reste de la population mondiale a reçu. Cette accumulation de richesse par une infime fraction de la population souligne l’augmentation des inégalités économiques au niveau mondial. Les milliardaires, par exemple, ont vu leur fortune augmenter de manière significative, gagnant 2,7 milliards de dollars par jour depuis 2020, grâce notamment aux interventions publiques durant la crise du coronavirus. Cette concentration de richesse est encore plus frappante lorsqu’on la compare avec la situation des personnes les plus précaires.

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