Ernest Afriyié : « J’ai toujours combiné conte et rugby dans ma pratique éducative et artistique »

Ernest Afriyié est un éducateur spécialisé et conteur passionné, souvent qualifié d’édu-conteur, qui intègre le conte au cœur de son travail éducatif et artistique. Initié aux contes par sa grand-mère maternelle, Ernest utilise cette forme narrative pour établir un lien entre l’introspection et le partage, le rêve et la réalité. Nous l’avons rencontré au « Rendez-vous des Jeux » à Blois avant son spectacle « Une vie dans la mêlée – contes, rugby et récits de vie », en compagnie de son metteur en scène, un autre conteur, Guy Prunier.
Blois Capitale : Pourriez-vous nous parler un peu de ce concept « d’édu-conteur » ?
Ernest Afriyié : J’ai travaillé une quinzaine d’années comme éducateur spécialisé avec des jeunes dans des instituts spécialisés, et j’ai toujours utilisé le rugby comme média, en raison des valeurs qu’il véhicule. Parallèlement, le conte est aussi un média que j’utilise pour véhiculer de nombreux messages. Donc, j’ai toujours combiné conte et rugby dans ma pratique éducative et artistique. Lors de ma rencontre avec Guy Prunier (qui signe la mise en scène, ndlr), j’avais besoin d’un regard à la fois interne et externe pour créer une complicité, car dans le rugby, j’apprécie beaucoup les duos formés soit par la paire de centres, les numéros 12 et 13, soit par la charnière, 9 et 10. Ainsi, Guy est mon numéro 10 et moi, je suis le numéro 9. Ensemble, nous avons imaginé ce spectacle autour d’une vie de la mêlée, qui raconte mon parcours personnel, mon arrivée en France, et mon amour pour le rugby. Les contes évoquent aussi des souvenirs familiaux. Et puis, le rugby, et enfin, la vie tout simplement.
Blois Capitale : Vous évoquez des valeurs liées au rugby ?
Ernest Afriyié : Je parle de la notion de faire la passe. Cela signifie que des personnes se positionnent dans votre parcours de vie et vous introduisent à la littérature, aux arts, au sport, à des univers qui sont, entre guillemets, éloignés de votre monde de base. Cela vous transforme en quelqu’un capable de naviguer dans différents terrains, et cela vous permet de vous immerger dans la mêlée de la vie. J’ai rencontré des enseignants, des professeurs, mais aussi la littérature. Des auteurs tels que La Bruyère… qui était assez éloigné du quartier où je vivais ! Pourtant, ses préceptes, ses petits messages, ses morales subtiles ont parfois influencé mon quotidien. Et pourtant, il y une distance entre Jean de La Bruyère et Ernest Afriyié. Mais grâce à la littérature, grâce avec Émile Zola, Frantz Fanon, ou Aimé Césaire, on traverse des épreuves. C’est un peu similaire au match de rugby, où on se parle en permanence, les coéquipiers qui vous encouragent, qui vous motivent avec des mots de soutien. C’est un jeu permanent… mais il y a la nécessité d’avoir des personnes qui vous passent le ballon, qui vous initient et qui vous font confiance. Moi, j’ai bénéficié de cela.
Blois Capitale : Peut-on comprendre votre spectacle si on n’est pas initié au rugby ?
Ernest Afriyié : Le duo avec Guy est justement intéressant en cela. Il m’a dit, ‘Moi, les contes je connais, mais le rugby, je ne connais pas.’ Et c’est via sa position de néophyte, qu’au fur et à mesure, nous avons choisi d’expliciter les mots, de donner du sens, et surtout de donner du corps, du mouvement et des histoires qui permettent à chacun, qu’il soit expert ou non, de comprendre le vocabulaire et le jeu.
Blois Capitale : Vous avez une formation d’acteur pour jouer ainsi ?
Ernest Afriyié : J’ai reçu une formation de conteur par ma grand-mère, qui m’a initié aux contes. J’ai une formation de conteur grâce à des personnes de référence, comme Guy Prunier, dont j’apprécie le travail. Les rencontres artistiques avec des personnes comme Thierno Diallo et d’autres ‘me font la passe’ et m’ont aidé à devenir le conteur que je suis maintenant, depuis une petite quinzaine d’années.
Blois Capitale : Votre grand-mère se produisait devant des publics ?
Ernest Afriyié : Elle se produisait au marché (sourire) et c’était bien parce que soit les gens s’arrêtaient soit ils ne s’arrêtaient pas, c’était une vraie formation. Mais dans l’espace familial, il y avait toujours quelque chose autour de la transmission, du partage pour de vrai. Et puis, glisser des petits préceptes pour pouvoir supporter la vie. Elle nous invitait à regarder les papillons, en disant que leur vie est éphémère et qu’ils profitent de chaque instant avec passion. C’est ainsi que nous essayons de vivre, à 100 %.
Blois Capitale : Est-ce difficile de parler des valeurs du rugby dans une actualité sombre pour l’équipe de France ?
Ernest Afriyié : Le rugby n’est pas dépositaire des actes des uns et des autres. Nous sommes tous initiés aux règles, et ensuite nous sommes confrontés à la question du libre arbitre. Moi, en tant qu’éducateur, j’ai beaucoup travaillé avec les jeunes sur cette question du libre arbitre : l’un n’engage pas tout et tout n’engage pas l’un. En l’espèce, certains joueurs, magnifiques sur le terrain, ont eu des attitudes inadmissibles et répréhensibles d’un point de vue légal, et ils vont devoir assumer, mais ils ne représentent pas tout le rugby. Il y a des personnages très obscurs que l’on rencontre sur un terrain de rugby, un peu comme dans la vie, mais il y a aussi des gens qui vous éclairent pour longtemps.
Blois Capitale : Qu’est-ce qui vous a attiré dans le rugby ?
Ernest Afriyié : Dans notre sport, on dit parfois que certains ‘puent le rugby’, ça veut dire qu’ils incarnent le rugby, et c’est ce ballon qui vous choisit. Moi, je n’ai jamais vraiment aimé le ballon rond, je préfère ce ballon un peu ovale… imprévisible.
Blois Capitale : Vous avez créé le Collectif Ananssé en 2020 ?
Ernest Afriyié : On y trouve aussi l’esprit du rugby. C’est dire que bien que nous puissions faire de belles choses seuls, c’est super quand nous faisons des choses de manière collective. Ananssé, c’est le nom d’une araignée qui se trouvait dans beaucoup de contes que me racontait ma grand-mère, et donc l’idée c’est de rendre hommage. Et puis, l’idée était vraiment d’avoir plein d’artistes avec qui travailler, Sadoo pour la musique, Robbas pour la musique, Marine et Fiona pour tout ce qui est illustration et accompagnement artistique autour des dessins… Voilà, on a Corinne qui s’occupe de tout le volet administratif, et puis, dès qu’on a des besoins, on va solliciter des amis, des frères, des sœurs, des oncles, des cousins, des artistes qui viennent. Et là, je suis allé chercher Tonton Guy pour qu’il vienne me donner un coup de main.
Blois Capitale : Le collectif, c’est quelque chose qui est très important pour vous. Trouvez-vous qu’il y a un manque de sens collectif dans la société ?
Ernest Afriyié : Notre société parle beaucoup du collectif… et je le dis modestement, il y a le discours et les actes. Il faut qu’on reste sur les actes collectifs, parce que les discours, voilà… Et au rugby, et même dans ma position d’éducateur, il y a beaucoup de discours, mais après, il y a ces actes collectifs qui doivent vivre.
Blois Capitale : Les Jeux Olympiques débutent. Cela représente quoi à vos yeux ?
Ernest Afriyié : C’est la rêverie ! Pour moi, c’est la finale du 100 mètres d’athlétisme, où il y a toujours du suspense, le défi de réussir en 10 secondes ce que des années d’entraînement préparent. Les Jeux Olympiques, c’est ça, cette phrase de Pierre de Coubertin qui dit que l’essentiel est de participer, dans une société très concurrentielle. Il faut souligner que tout cela, ce sont des jeux, d’ailleurs on dit Jeux Olympiques. Donc il faut que ça reste du jeu, comme les contes, comme le rugby.

Blois Capitale : Pouvez-vous nous parler de la mise en scène ?
Guy Prunier : C’est davantage un regard et un accompagnement qu’une mise en scène, comme on l’entend au théâtre, où le metteur en scène est à l’initiative du projet et il y a des interprètes qui permettent de réaliser son projet. En conte, c’est celui qui est sur scène qui est le porteur du projet. Dans ce cas précis, son vécu, avec le rugby. Moi, je serais bien incapable d’en parler ! (rires) Je me suis vite rendu compte que j’avais une carrure qui me portait plutôt vers des sports d’esquive, ou être dans le public, bien qu’Ernest m’ait expliqué que le rugby, c’était aussi l’esquive, mais quand même… Donc, ce n’est pas moi qui apporte le fond. Je suis parfois dans le rôle du naïf. Celui qui ne connait pas bien le rugby. Le conte, nous baignons dans cet univers depuis notre naissance, entourés d’imaginaires, d’histoires, de références. On joue à une réalité qui serait différente, et je pense que la culture, c’est le jeu augmenté des adultes, c’est jouer à une autre réalité. Parfois, c’est juste pour s’apaiser, et parfois, jouer avec cette autre idée peut nous donner des pistes pour modifier la vraie réalité. Donc, c’est aussi pour ça que la culture est divertissement, mais pas seulement.
Blois Capitale : Ce qui est important c’est la morale de l’histoire ?
Guy Prunier : Il y a la morale, mais souvent, ce qui arrive à la fin, c’est une sorte de ritournelle pour clore l’histoire. Parfois, la vraie morale se glisse à l’intérieur de l’histoire.