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Une vie en compositions : la peinture comme langage chez GB de Zsitvaÿ

Dans l’atelier de GB de Zsitvaÿ, les objets dont disposés pour ne plus faire partie du temps présent, abandonnés par des présences invisibles. Ses toiles, qualifiées de « vies silencieuses » par certains critiques, révèlent une tension entre la mémoire des gestes et l’évanescence du temps. Derrière cette apparente immobilité, c’est tout un monde de vibrations et d’énergies qui se déploie. C’est cet univers qu’il est possible de connaitre jusqu’au 1er mars 2025 à la Galerie d’art Wilson, à Blois.

GB de Zsitvaÿ Après repas

D’origine hongroise, GB de Zsitvaÿ n’était pas destinée à la peinture. Elle grandit à Budapest, dans une famille où la musique règne en maître. Son père, compositeur et pianiste, occupe une place centrale dans cet univers artistique dominé par les sons. Clarinettiste à ses débuts, elle se détourne pourtant rapidement de cette voie, consciente que la famille comptait déjà assez de musiciens. « Mon père possédait la musique, c’était son territoire. Ma mère me disait qu’il y avait suffisamment de musiciens dans la famille. » Sa tante et son oncle faisaient partie d’un orchestre renommé, attaché à l’héritage de Franz Liszt. Ce cadre lui donne à la fois un ancrage dans l’art et une nécessité d’émancipation.

Le dessin devient son espace intime, son refuge. À l’école primaire, ses professeurs remarquent son talent et l’encouragent. « Le dessin était mon château fort. » Pourtant, c’est un tout autre chemin qu’elle choisit d’abord. Son ambition la pousse alors vers la diplomatie. Arrivée en France en 1998, elle est déjà en troisième année en sciences économiques et économie internationale lorsqu’elle rencontre son futur mari. Sa trajectoire bascule peu à peu, au rythme des ajustements imposés par les déplacements professionnels de son époux et la construction de leur famille. L’art, en arrière-plan, continue de l’habiter.

La peinture, qu’elle pratiquait discrètement, prend une place plus affirmée lorsqu’elle intègre en 2012 l’Académie de Port-Royal, où elle étudie jusqu’en 2017. L’apprentissage y est exigeant, ancré dans une tradition de rigueur. « Dina Pickard, l’une de mes chefs d’atelier, m’a dit que j’avais beaucoup de dons mais que le chemin serait long. » Ses efforts portent leurs fruits : en 2015, elle remporte le Grand Prix de peinture de l’Académie de Port-Royal, une distinction qui lui ouvre les portes de grandes institutions artistiques françaises. Grâce à ce prix, elle expose à Art Capital au Grand Palais et est admise au Salon d’Automne et à la Fondation Taylor.

Son travail s’ancre dans une approche singulière de la nature morte, qu’elle transforme en véritable mise en scène vivante. Chaque tableau est d’abord composé dans l’espace réel avant d’être transposé sur la toile. Elle assemble les objets, organise leur présence dans un équilibre, puis laisse la peinture en révéler la charge émotionnelle. « Toutes les scènes que vous voyez sur mes toiles ont existé. »

Ses compositions ne se contentent pas de restituer un instant figé. Elles sont traversées par une présence latente, presque spectrale. L’humain est perceptible sans être représenté. Les instruments de musique posés sur une chaise semblent attendre les musiciens. Une nappe en désordre témoigne d’un repas récemment interrompu. Comme si les protagonistes venaient tout juste de quitter la pièce. Ses toiles portent la trace de ceux qui les ont habitées. Entre absence et présence.

Cette dualité se retrouve dans son rapport au monde. GB de Zsitvaÿ oscille entre un besoin de solitude et une intense sociabilité. Comme elle le confie, tantôt elle organise de vastes repas où elle cuisine pour vingt convives, tantôt elle s’isole complètement pour se recentrer. Ce mouvement entre retrait et partage structure son œuvre. La densité de ses compositions reflète cette richesse intérieure, où chaque détail a son importance. Rien n’est purement décoratif : tout dialogue, tout interroge.

Dans notre entretien, elle évoque son amour des couleurs, qui occupent une place primordiale dans sa peinture comme dans son quotidien. « Je m’habille toujours en couleurs. Elles donnent de l’énergie, elles font vibrer. » Ainsi, ses œuvres ne sont jamais statiques, elles dégagent une force vive. Un tableau de GB de Zsitvaÿ ne se livre pas en une seule fois : il faut s’y attarder, y revenir, déceler les jeux de transparence et les détails dissimulés. Cette approche témoigne de sa personnalité, faite de contrastes et de nuances.

In fine, l’art est aussi devenu pour elle un outil diplomatique, la reliant à son pays d’origine et aux artistes qu’elle admire. À travers l’association qu’elle a fondée, elle organise des échanges entre créateurs hongrois et français, favorisant la circulation des œuvres et des idées. Cet engagement résonne avec son premier projet de vie, celui de la diplomatie. Finalement, c’est par la peinture qu’elle tisse ces liens entre les cultures, entre les sensibilités, entre l’intime et l’universel.

Dans cette trajectoire où chaque étape semble guidée par une nécessité intérieure, GB de Zsitvaÿ n’a jamais vraiment eu le choix de s’éloigner de l’art. À chaque tentative de bifurcation, une opportunité artistique est venue la rattraper. Elle dit aujourd’hui ne plus douter. « Chaque fois que je pensais changer, une nouvelle exposition s’offrait à moi. » Son destin est scellé dans la peinture, une peinture qui, à travers la vibration des couleurs et la présence invisible des absents, réconcilie les énergies contraires pour mieux saisir ce qui fait la trame mouvante de l’existence.

l'amour qui s'éprouve

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