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Bien avant nos arches actuelles, l’étrange destin de nos ponts de Blois

Aujourd’hui je vous emmène découvrir nos anciens ponts chargés d’histoire(s).

Le faubourg de Vienne souvent qualifié d’île par divers historiens qui s’opposent sur le sujet aurait été habité il y a 8.000 ans, soit 6.000 ans avant notre ère, par des chasseurs-cueilleurs. Puis il devient le lieu d’habitat sous le nom d’Insula Evenna* (île de Vienne) du peuple gaulois des Carnutes (IVe siècle avant notre ère). Établis jusqu’au Ier siècle avant notre ère au lieudit La Croupille sur une motille située entre la Loire et le Cosson les Carnutes abandonnent finalement cette première agglomération au profit d’un bourg qui s’installe face au nouveau Bourgmoyen de la rive droite.

Le pont antique

Entre le Ie et le IIe siècle un premier pont dit “gallo-romain” est construit pour faciliter les échanges entre les deux rives. Il relie deux villages indépendants : sur la rive droite Castrum (camp romain) Blesense (Blesensis) et sur la rive gauche Vienna. Constitué de 315 pieux répartis sur 115 m de long son tracé est assez aisément restituable : il aboutit rive droite face à l’ancienne halle Louis XII (actuelle Maison de la BD) juste à l’est de la rue des Jacobins et retombe rive gauche face à la Rue Munier. Les pieux forment neuf nuages répartis de manière hétérogène. Leur datation au carbone 14 détermine une période probable entre 5 av. J.-C. et 135 ap. J.-C. Les données dendrochronologiques** acquises depuis 2003 sur le pont antique font désormais apparaître plusieurs phases de travaux : une possible construction dans la première moitié du Ier siècle de notre ère et des réparations attestées jusque dans la première moitié du IIIe siècle.

Un duit de l’époque ou beaucoup plus tardif ?

Cet ouvrage de franchissement est constitué de différents îlots de pieux et pierres alignés en diagonale et alternés de passages inondés. Sa ligne oblique part du déversoir de la Bouillie vers le centre de notre pont actuel. Il se poursuit de l’autre côté vers le débouché de l’égout de Vienne. On retrouve aussi sa trace dans une pièce d’archives de la Chambre des comptes des comtes de Blois : une dépense pour le renforcer ou le réparer à l’aide de 500 fagots et de pierres. Curieusement c’est le meunier du bourg de Saint-Victor qui en est chargé !

Les travaux sur l’ouvrage du haut Moyen Âge mis au jour en 2017 une possible pile de pont ont concerné l’intérieur du caisson en bois charpenté. Les datations par le radiocarbone effectuées sur trois madriers et deux pieux verticaux sont comprises entre le milieu du VIIe siècle et le troisième quart du VIIIe.

Un nouveau caisson en bois charpenté a été découvert au nord. Bien que fortement dégradé l’ensemble paraît de même facture que l’ouvrage précédent du haut Moyen-âge. Ce caisson inédit forme la base d’une pile d’un nouveau pont édifié vers le milieu du XIe siècle, peut-être le premier état du pont médiéval sur son axe définitif.

D’une rive à l’autre la vie de la cité médiévale

La première mention de l’ouvrage date de 1089. Elle figure dans un document dans lequel le comte de Blois Étienne confirme à l’abbaye de Pontlevoy la possession de deux moulins situés près ou sur le pont de Blois : « duos molendinos ad pontem Ligeris ».

Un premier pont du XIe siècle

S’agissant en fait d’une confirmation d’un don fait par son père Thibaud on peut en conclure que le pont existe au moins depuis 1078. En 2003, l’INRAP a confirmé par datation au radiocarbone que les chênes utilisés pour les fondations de cette structure datent d’entre 998 et 1159. Rappelons aussi que Eudes de Blois est à l’initiative de l’édification du pont de Tours entre 1033 et 1037.

La position du pont médiéval en face de la rue principale (en amont du pont antique) n’est sans doute pas anodine. Elle pourrait manifester la volonté du pouvoir comtal de reprendre en main les revenus des activités liées à cet aménagement d’importance considérable pour la ville. Très tôt les comtes de Blois ont compris l’importance que représente ce pont d’où la présence d’une tour-porte à l’entrée de la ville instaurant ainsi un impôt de péage à tout nouvel devant passer par la cité comme à tout bateau transitant sur le fleuve. Il s’agit alors de l’unique pont sur la Loire sur quelques dizaines de kilomètres ce qui explique pourquoi autant d’activités y sont concentrées.

D’une longueur d’environ 320 m il atteint alors 8 m de large non compris les parapets et la largeur moyenne de ses arches varie de 10 à 12 m. Il est entièrement construit en pierres de taille dure et en moellons assemblés par un mortier de chaux et sable. Également connu sous le nom de « pont Saint-Louis » on le situe à 70 m en aval de l’actuel pont Jacques-Gabriel. En 1995 l’interdiction des extractions de sable a fait baisser le niveau de la Loire et découvrir les fondations de la plupart de ses 19 piliers de pierre.

En face de la onzième pile le « duit » détourne le courant vers l’arche centrale plus large afin d’augmenter le tirant d’eau pour le passage des gabares; mais cet aménagement ne date peut-être que du XVIe siècle après la création d’une arche unique à l’emplacement des septième et huitième trop étroites pour la navigation.

Blois guide Sylvie Rey

Le pont possède son propre système défensif composé de trois ouvrages militaires : côté ville la porte Saint-Fiacre aux deux tiers de l’ouvrage la tour du pont et côté Vienne les tours commandant le faubourg. Le pont est fermé par une porte cantonnée de ces deux tours représentée uniquement sur la gravure de Belleforest probablement disparue dans le courant du XVIIe siècle. Aucun document ne permet d’en restituer la disposition. Il n’assure pas uniquement une fonction de passage : il constitue un pôle majeur de l’activité urbaine comme en témoignent les nombreuses constructions de bois ou de pierre établies sur les avant-becs et sur les parapets. Avec les éléments de fortification la chapelle Saint-Fiacre est l’une des plus importantes avec les maisons et boutiques (au nombre de 30), la boucherie et les moulins à blé suspendus sous les parapets flottant ou sur pilotis qui sont entraînés par des roues déplacées selon le niveau du fleuve. Du côté de Vienne le pont semble fermé par une porte cantonnée de deux tours représentée uniquement sur la gravure de Belleforest (1575). Probablement disparue dans le courant du XVIIe siècle aucun document ne permet d’en restituer la disposition.

500 objets essentiellement métalliques ont été trouvés durant la campagne de recherches de 2017-2018. Des chutes de cuir (non étudiées) ont aussi été prélevées juste à l’aval de la pile. En première analyse les cuirs révèlent a priori une activité artisanale des XIIe-XIIIe siècle alors que le reste des objets se rapporterait à une ou plusieurs activités du bas Moyen-âge ou de l’époque moderne.

Des recherches sur le pont de pierre médiéval ont été poursuivies et étendues sur plusieurs piles de l’ouvrage. Les résultats révèlent l’existence de travaux et de réaménagements peut-être à partir du XIe siècle et jusqu’à la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle. Dans l’environnement proche de certaines piles les pieux sont parfois nombreux et sans organisation parfaitement identifiable. Ces éléments épointés qui datent du XIIIe siècle en apparence éparpillés sont souvent munis d’un sabot en fer.

Ce pont de vingt arches qui porte boutiques, maisons, moulins, et la chapelle Saint-Fiacre est emporté dans la soirée du 5 février 1716 à 17 heures, lors d’une débâcle qui succède à une embâcle de près de deux mois. On passait alors à pied sec d’une rive à l’autre sur l’épaisse couche de glace depuis plus de 6 semaines. Treize de ses arches disparaissent dans les flots tumultueux chargés de blocs de glace mouvants ! C’en est fini du pont médiéval vieux de 600 ans impossible à reconstruire !

Ses piles méridionales ont été dégagées et volontairement arasées au XIXe siècle puisque gênantes pour la navigation. Ses piles septentrionales recouvertes d’éboulis sont quant à elles beaucoup moins discernables. Une arche de cet ancien pont subsiste sous l’actuel quai de la Saussaye en rive droite. Elle pourrait être datée du XIe siècle.

Aujourd’hui seules les fondations des piles visibles en période de basses eaux se devinent par une ligne de remous traversant tout le fleuve.

Sources : Blois insolite et secret – Jean-Paul Sauvage et Pascal Nourrisson Editions Sutton 2013 | La forme d’une ville – Annie Cosperec Imprimerie nationale 1994. Album Poitevin – Dessins de ponts fol. 36. (Bibliothèque municipale de Saumur Mss 21). | Didier Josset Blois (Loir-et-Cher). Lit de la Loire domaine public » [notice archéologique] Archéologie médiévale

  • *Evenna signifie rivière en ancien celte.
  • ** La dendrochronologie est une méthode scientifique permettant en particulier d’obtenir des datations de pièces de bois à l’année près en comptant et en analysant la morphologie des anneaux de croissance des arbres.

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