L’histoire d’une expression typiquement blésoise : « foi Boucard »
La langue est parsemée d’expressions pittoresques, certaines trouvant leurs racines dans des événements historiques tragiques. L’expression « foi Boucard », couramment et longtemps utilisée en Blésois pour désigner une parole trahie ou la mauvaise foi, est un vestige poignant de la seconde guerre de religion, un chapitre sanglant de l’histoire de France.
Le commencement de cette expression sombre nous ramène à février-mars 1568. Blois est alors une ville tiraillée par les conflits religieux de l’époque. La situation s’aggrave fin 1567, le parti protestant prend de l’ampleur à Chartres et Orléans, tandis que la Touraine devient le bastion des catholiques royaux.
Au cœur de cette effervescence se trouve le capitaine François de Boucard, un écuyer autrefois au service d’Henri II et gouverneur de Verdun, qui avait choisi le camp protestant dès les prémices des guerres de religion. Boucard, alors à la tête de l’artillerie de Condé, s’empare de Beaugency et, le 7 février 1568, assiège Blois.
Une armée protestante forte de 5000 hommes de pied et 4000 cavaliers, pour la plupart originaires de Gascogne et de Provence, sous la houlette du capitaine François de Boucard, débarque à Blois. Forts de leur victoire à Beaugency, ils sont équipés de deux pièces d’artillerie et passent par La Chaussée. Rapidement, ils prennent le Bourg Neuf et ouvrent une brèche à la Porte Chartraine. Cependant, la garnison blésoise refuse de capituler, comme on peut le lire dans « Dieu, le roi et l’oiseau: L’Histoire de France et la venue du Messie » de Jean-Marie Bourreau.
Les forces de Boucard, imperturbables, se dirigent alors vers la Porte Côté, redoublant d’intensité dans leurs tirs de canons. Face à cette puissance de feu, Blois est contrainte de parlementer. Au terme de négociations tendues, un accord est conclu : la ville se rendrait en échange de la sécurité de ses habitants, de ses biens, et la garantie pour la garnison de quitter la ville saine et sauve avec leurs armes et bagages.
Mais cette promesse, scellée par la « foi Boucard », s’avère être une cruelle supercherie. Boucard, loin de l’honneur que l’on pourrait attendre d’un chef militaire, viole les termes de la capitulation. Blois est sauvagement pillée, la garnison catholique est massacrée, les églises sont profanées, et les couvents dévalisés. Dans un acte d’une rare barbarie, les religieux sont jetés à la Loire, et les Cordeliers subissent un sort funeste, noyés dans un puits de leur propre demeure.
Le roi Charles IX, face à cette montée de violence, lance un appel au clergé de France pour financer la résistance contre les huguenots. Heureusement, une paix, bien que fragile, est finalement conclue le 23 mars 1569, c’est la paix de Longjumeau. Dans le sillage de ces événements, les derniers rois Valois trouvent refuge derrière les remparts du château de Blois. La région connaît alors une période de tranquillité relative où catholiques et protestants parviennent à cohabiter en harmonie relative.
La noblesse locale, proche de la couronne et de ses intérêts catholiques, joue un rôle déterminant dans le maintien de la paix. La majorité du peuple, conscient des bénéfices de cette alliance avec la noblesse, évite de s’éloigner de ses protecteurs. Si quelques bourgs, tels que Mer, Josnes, et Marchenoir, flirteront avec les idées protestantes, la majorité du diocèse restera fidèle à la foi catholique romaine.
Mais les stigmates de cette attaque sont profonds et durables. L’ambassadeur vénitien Lippomano, une décennie après ces événements, décrit Blois comme une ville ravagée, lit-on dans les archives départementales. Et même au début du XVIIe siècle, les travaux de reconstruction se poursuivent.
L’héritage le plus durable de cette période tumultueuse est sans doute l’expression « foi Boucard », qui perdurera en Blésois comme un rappel vivace de la trahison de Boucard et de ses troupes. Elle devient synonyme de duplicité, de paroles non tenues et de mauvaise foi.