Politique

Maître Cariou: « Il n’y a aucune possibilité de régularisation dans ce département »

À l’occasion de la table ronde organisée à Blois pour la Journée internationale des migrants, Maître Sandrine Cariou, avocate exercée dans le droit des étrangers, a pris la parole pour témoigner de son expérience face à un système juridique qu’elle décrit comme de plus en plus restrictif. À travers des exemples concrets et des réflexions personnelles, elle a exposé les réalités souvent méconnues.

Un domaine juridique en perpétuel mouvement

Maître Cariou a d’abord tenu à rappeler la complexité et l’instabilité du droit des étrangers en France : « Je dois dire que je ne suis spécialiste de rien du tout, parce que le droit des étrangers, il faut réussir à suivre… Depuis 1945, on compte 118 lois. Et rien que ces 30 dernières années, il y en a eu une vingtaine, soit une tous les 18 mois. À peine a-t-on compris une loi qu’une nouvelle arrive. »

Cette instabilité législative, couplée à des pratiques administratives parfois erratiques, complique considérablement le travail des avocats et des administrations : « Je n’ai pas encore totalement digéré la loi qui entre en application en janvier 2024. Ce qui est « rassurant », c’est que la préfecture ne l’a pas digérée non plus. Parfois, ils font des erreurs. Et le tribunal administratif, derrière, se trompe aussi, parce qu’il interprète mal la loi. »

Une politique de plus en plus hostile aux étrangers

Selon Maître Sandrine Cariou, la situation des étrangers en France s’est considérablement dégradée au cours des deux dernières décennies : « Depuis 20 ans, tout est fait pour que l’étranger n’ait pas de titre de séjour. On les pousse à rester dans la clandestinité. Ils ne sont pas renvoyés dans leur pays, mais on leur enlève tout : pas de titre de séjour, pas le droit de refaire une demande, rien. » Elle décrit des situations où les étrangers sont littéralement « mis à la rue » : « Ils n’ont plus accès aux hébergements d’urgence, que ce soit par l’État ou le conseil départemental. Les lois deviennent de plus en plus strictes. Ces gens se battent comme ils peuvent, mais ils doivent affronter des lois extrêmement complexes et restrictives. »

Un département particulièrement intransigeant

Maître Cariou a pointé du doigt la politique menée dans le Loir-et-Cher, où le préfet en poste depuis un peu plus d’un an applique une ligne particulièrement dure : « Il n’y a aucune possibilité de régularisation dans ce département. Quel que soit le motif ou la qualité du dossier, le préfet dit systématiquement non. »

Elle illustre ces propos avec plusieurs cas concrets. Celui d’un agent de service hospitalier (ASH), en France depuis 12 ans et employé dans une maison de retraite depuis deux ans et demi, qui a vu sa demande de titre de séjour refusée. Elle a reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et a perdu son emploi. Autre exemple, ce ressortissant turc, pacsé avec une Française depuis 2018, qui a également essuyé un refus accompagné d’une OQTF, malgré la stabilité de sa relation et son intégration.

Même dans des situations où la direction du travail donne un avis favorable pour des métiers en tension, comme la restauration, le préfet exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser. « Vous avez un employeur qui fait toutes les démarches pour embaucher un salarié. La direction du travail valide, car c’est un métier en tension. Et malgré tout, le préfet dit non. »

Une lueur d’espoir dans les tribunaux

Face à ces refus systématiques, l’avocate souligne l’importance des recours devant le tribunal administratif : « Heureusement, en France, on a encore des juridictions. J’ai saisi le tribunal administratif 120 fois cette année pour contester les décisions de la préfecture. Mes chances de succès y sont meilleures, même si elles restent faibles. »

Elle insiste sur le rôle des conventions internationales, souvent ignorées par les préfets, mais que les tribunaux peuvent imposer : la Convention de New York sur les droits de l’enfant, qui garantit l’accès au logement, à la santé et à l’éducation pour les enfants ; la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit à la vie privée et familiale. Dans certains cas, ces conventions permettent de renverser les décisions préfectorales : « J’ai eu le cas d’une mère de famille guinéenne, en France depuis 12 ans avec ses cinq enfants. Le préfet voulait la renvoyer, arguant qu’un des enfants, de nationalité espagnole, pouvait aller vivre en Espagne. Le tribunal a annulé la décision, jugeant qu’elle était contraire à la Convention de New York. »

Le cas des mineurs isolés étrangers

Un autre volet de son activité concerne les mineurs isolés étrangers, souvent laissés sans protection. Ces jeunes, arrivant sans papiers ni preuves d’âge, sont évalués par le conseil départemental pour déterminer s’ils sont mineurs ou non. Mais cette évaluation est problématique, selon Maître Cariou : « C’est le conseil départemental, qui doit financer leur prise en charge, qui décide s’ils sont mineurs. Il y a un conflit d’intérêts évident. Les critères sont subjectifs : la taille, la manière de parler… Certains jeunes sont déclarés majeurs et se retrouvent à la rue, sans droits. »

Lorsque cela arrive, elle saisit le juge des enfants pour contester ces décisions : « En France, on est censé prendre en charge les mineurs. Mais même devant le juge des enfants, les recours aboutissent rarement. »

Un engagement épuisant mais nécessaire

Maître Cariou plaide pour une mobilisation collective afin de rappeler aux préfets leurs obligations légales et éthiques : « Les préfets agissent comme s’ils avaient pour mission d’être anti-migrants. C’est inadmissible. Mais les tribunaux commencent à en avoir assez de devoir corriger leurs refus systématiques. J’ai espoir qu’un jour, les choses s’équilibrent. » Malgré les échecs et les obstacles, son combat pour les droits des étrangers reste intact : « Tant qu’il y aura des lois et des juridictions pour défendre les droits fondamentaux, je continuerai à me battre. »

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR