Perturbateurs endocriniens : tout comprendre avec Pascal Vaudin

Le sujet des perturbateurs endocriniens est si vaste, si intéressant, si important, que nous consacrerons une série d’articles sur la thématique. Car chacune et chacun doit savoir. Nous le ferons avec la parole éclairée de Pascal Vaudin, enseignant-chercheur.
Pour commencer nous avons demandé à Pascal Vaudin, en marge de la conférence organisée par le Comité Départemental de la Protection de la Nature et de l’Environnement de Loir-et-Cher (CDPNE) à l’IUT de Blois, de nous expliquer ce que sont les perturbateurs endocriniens un peu pédagogiquement. « Ce sont des molécules principalement fabriquées par l’homme », nous explique le chercheur et maître de Conférences à l’Université de Tours. « Elles ont des structures physico-chimiques très similaires à certaines de nos hormones naturelles. Elles sont si proches que si ces produits chimiques pénètrent dans le corps humain, ils peuvent remplacer le message de nos hormones et perturber ainsi notre physiologie. Il est bien connu que les hormones jouent un rôle essentiel dans ce que l’on appelle l’homéostasie, c’est-à-dire le bon fonctionnement de notre organisme. »
« Le vrai problème, c’est que ces perturbateurs envoient des informations erronées dans notre corps. C’est un peu comme si c’était un mauvais messager, une fausse information, ou même s’ils empêchaient la bonne information de circuler », poursuit l’expert. « Par exemple, les perturbateurs endocriniens les plus connus sont ceux qui perturbent les messages des hormones sexuelles, comme les œstrogènes et la testostérone. Cela peut entraîner une baisse de la qualité des gamètes (les cellules reproductrices) et des malformations du tractus génital. Chez les garçons, cela peut se manifester par la cryptorchidie, où un testicule reste en position abdominale, ou l’hypospadias, où l’urètre se forme de manière incorrecte et l’urine ne sort pas par le méat (l’ouverture) du gland, mais par en dessous du pénis. Ces problèmes ne sont pas rares du tout. »
« Cela ne concerne pas uniquement la sexualité, car pendant la formation de l’embryon, la différenciation et le développement de ces organes dépendent fortement des hormones sexuelles, et thyroïdiennes. Donc, si ces hormones sont perturbées, cela peut entraîner des malformations de ces organes, nous dit Pascal Vaudin. Chez les adultes, ces perturbateurs endocriniens peuvent avoir des effets similaires. Par exemple, certaines petites filles exposées in utero au Diéthylstilbestrol (ou le Distilbène en France qui n’existe plus) peuvent développer des malformations utérines qui affectent leur fertilité, l’implantation de l’embryon et la progression de la grossesse, rendant ces dernières très compliquées. »
Transmettre l’information aux femmes enceintes semble urgentissime. « C’est pourquoi j’ai accepté immédiatement lorsque des professionnels de la santé, notamment des sages-femmes, m’ont sollicité pour intervenir. D’autres actions similaires ont également été entreprises, nous répond l’enseignant-chercheur. A l’université, où je donne principalement des cours au niveau du master en biologie de la reproduction, les effectifs sont limités, avec seulement 16 étudiants en master. Il y a quelques années, j’ai encouragé ces étudiants à former une association dans le but de communiquer avec le grand public, en particulier avec un public cible concernant les perturbateurs alimentaires. Chaque année, je leur confie un projet. Il y a deux ans, ils ont été chargés de sensibiliser les étudiants de l’université de Tours, qui sont les futurs parents. Sensibiliser ces jeunes publics est essentiel, car ils sont plus réceptifs à la communication de leurs pairs. En revanche, la communication est moins efficace lorsqu’elle émane d’adultes, car les jeunes maîtrisent mieux les codes et les réseaux sociaux, ce qui facilite la transmission du message. Pendant cette semaine de sensibilisation, nous avons distribué des bracelets en silicone à 100 personnes. Ces bracelets permettaient de mesurer leur exposition aux phtalates et au bisphénol. C’était une manière de montrer à tous que nous sommes tous exposés à ces produits, une sorte de réveil collectif pour sensibiliser davantage les gens. En démontrant que tout le monde est exposé, nous pensions que cela constituerait un bon point de départ pour notre campagne de sensibilisation. »
Les conséquences de l’exposition prénatale
Une étude menée par une équipe de recherche du Barcelona Institute for Global Health (ISGlobal) met en lumière les conséquences alarmantes de l’exposition prénatale à des produits chimiques environnementaux sur la croissance des enfants. Cette recherche, publiée dans la revue Environmental Health Perspectives, met en évidence les effets prononcés de cette exposition sur les trajectoires de l’indice de masse corporelle (IMC) des enfants, suscitant une préoccupation accrue quant aux dangers des perturbateurs endocriniens in utero et au cours des premières années de vie.
L’étude a porté sur une gamme variée de composés chimiques présents dans notre alimentation quotidienne et nos produits de consommation, tels que les plastiques, les produits de soins personnels et les pesticides. Parmi les substances étudiées figuraient les polluants organiques persistants (POP), les substances perfluoroalkylées (PFAS), les biphényles polychlorés (PCB), les phtalates, ainsi que les phénols, dont font partie les parabènes et le bisphénol A.
Les chercheurs ont analysé les données provenant de 1.911 couples mère-enfant participant à la cohorte de naissance INMA en Espagne. Ils ont mesuré les concentrations de ces produits chimiques dans les échantillons d’urine et de sang prélevés sur les femmes enceintes, puis ont suivi l’évolution de l’IMC des enfants au fil du temps. Les résultats de l’étude révèlent des conclusions inquiétantes : L’exposition prénatale à des POP spécifiques, tels que l’hexachlorobenzène (HCB) et le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE), ainsi qu’à certains PFAS, peut entraîner des modifications significatives de la trajectoire de l’IMC d’un enfant. Ces altérations se caractérisent soit par une taille de naissance inférieure suivie d’un gain d’IMC accéléré, soit par une taille de naissance plus élevée avec un gain d’IMC accéléré.
De plus, les chercheurs se sont penchés sur les effets de l’exposition à plusieurs produits chimiques combinés. Ils ont constaté que l’exposition à un « mélange » de perturbateurs endocriniens est associée à un risque accru d’augmentation accélérée de l’IMC, avec le HCB, le DDE et les PCB étant les principaux contributeurs à cet effet.
Une étude connexe menée par le même institut a examiné les possibles effets des phtalates sur le développement cérébral, en particulier les mesures volumétriques du cerveau. Les résultats ont révélé une association entre l’exposition aux phtalates pendant la grossesse et des mesures volumétriques plus petites dans certaines parties du cerveau, ainsi qu’un QI plus faible chez les enfants. Les enfants dont les mères ont été plus exposées à certains phtalates pendant la grossesse ont également présenté une diminution du volume de matière grise à l’âge de 10 ans. De plus, l’exposition maternelle aux plastiques pendant la grossesse a été associée à un QI plus faible chez l’enfant à l’âge de 14 ans.
Ces nouvelles découvertes mettent en évidence l’impact significatif des expositions chimiques en début de vie sur les modèles de croissance de l’enfance, avec des répercussions à long terme sur la santé. Comprendre ces relations est crucial pour justifier et développer des interventions visant à protéger les mères et les enfants de ces expositions, contribuant ainsi à la prévention de l’obésité infantile et de ses conséquences sur la santé.
Le sujet des perturbateurs endocriniens est important. C’est pourquoi nous poursuivrons demain la sensibilisation au sujet.