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Rémi Luglia : « Recréer un espace de liberté pour permettre à la nature de s’adapter »

Depuis le mois d’avril c’est « l’année du castor » dans le cadre de sa réintroduction dans la Loire il y a 50 ans, à Blois. En marge d’un événement organisé par le CDPNE, nous avons pu nous entretenir avec Rémi Luglia, historien et naturaliste, président de la Société nationale de protection de la nature (SNPN) et chevalier de l’ordre national du Mérite​.

Blois Capitale : Pouvez-vous faire un point sur la situation du castor aujourd’hui ?

Rémi Luglia : Actuellement, en France, il y a environ 25.000 castors, tandis que dans toute l’Europe, nous sommes à environ 1.200.000. Le castor n’a pas encore regagné tous ses territoires, donc c’est une population en croissance. C’est vraiment une bonne nouvelle pour la nature en général, mais aussi pour les humains car les castors rendent des services considérables à l’ensemble de la biodiversité. Le castor reste une espèce fragile car il n’a pas encore achevé sa recolonisation ; les populations ne sont pas encore très denses et sont très sensibles aux activités humaines comme les routes et les ponts, qui fragmentent les populations et les rendent vulnérables. Chaque année, un certain nombre de castors, notamment des jeunes quittant leur famille pour fonder un nouveau foyer, sont tués sur les routes.

Blois Capitale : Certaines personnes proposent de rouvrir la chasse aux castors ?

Rémi Luglia : Cette idée est dangereuse et plutôt absurde car elle ne prend pas en compte tous les effets bénéfiques apportés par cet animal aux écosystèmes. Il est important de soutenir ces espèces qui effectuent gratuitement un travail remarquable, bénéfique aux humains, aux agriculteurs, et aux sociétés en matière d’épuration des eaux, de régulation des crues et des températures élevées. La chasse, si elle était réintroduite, serait motivée par une forme de peur du sauvage, une réticence à coexister avec une nature qui agit librement. Nous sommes loin d’être menacés par les castors. Cependant, certaines personnes ne supportent pas l’idée qu’une espèce puisse gêner les projets humains. Un castor peut construire des barrages dans des petits cours d’eau ou abattre certains arbres, ce qui est insignifiant en termes de masse mais reste trop pour certains. Au lieu de cela, il serait plus judicieux de tenter une cohabitation qui permettrait une relation apaisée entre les humains et les castors, en leur laissant un peu de place et en admirant le travail qu’ils sont capables de faire spontanément. Cela pourrait créer une relation bénéfique entre humains et nature. Certains humains sont réfractaires à cette idée et préféreraient simplement utiliser un fusil pour supprimer ce qui les dérange.

Blois Capitale : Que pensez-vous du réensauvagement en général ?

Rémi Luglia : Je trouve que c’est une dynamique intéressante. Cela ne signifie pas que toute l’espace devienne un rayon sauvage expulsant les humains, mais plutôt que nous laissons une petite partie de notre environnement suivre son cours naturel sans intervention humaine. Cela permet à la faune et à la flore de prospérer, ce qui coûte très peu aux humains et offre de grands bénéfices.

Blois Capitale : D’autres espèces pourraient bénéficier de mesures similaires à celles appliquées au castor En 1974 ?

Rémi Luglia : En théorie, oui, il y a des possibilités pour d’autres espèces, même si des obstacles existent. Prenons l’exemple du castor et du courant de la Creuse. Il y a le grand barrage d’Éguzon que le castor ne peut franchir seul. Si nous voulons que le castor revienne dans tout le bassin de la Creuse, il faudrait théoriquement le réintroduire. Il y a aussi d’autres espèces qui ont disparu de nos territoires parce qu’elles ont été exterminées, et d’autres qui sont en très mauvais état. Les réintroductions sont encore pratiquées aujourd’hui avec des espèces souvent rares et exceptionnellement menacées, comme certains grands vautours ou rapaces. Cependant, ces opérations sont beaucoup moins fréquentes et plus complexes que dans les années 70. Aujourd’hui, tout est très réglementé et les scientifiques ne sont pas toujours d’accord sur l’opportunité de ces réintroductions, en raison des implications génétiques et autres questions qui peuvent se poser. Les procédures sont donc plus encadrées et mesurées, avec des études préalables plus approfondies. Avec le changement climatique, nous nous posons tous la question de savoir si une espèce réintroduite dans un territoire sera toujours adaptée à cet endroit dans 50 ans. Les choses évoluent rapidement et c’est un sujet sur lequel la science n’a pas toujours des réponses claires.

Blois Capitale : Devons-nous anticiper et planifier, ou laisser la nature se débrouiller seule ?

Rémi Luglia : Il est préférable de laisser la nature tranquille pour lui permettre de s’adapter par elle-même aux changements créés par les humains. Pour cela, il est crucial que la nature ait de l’espace et la liberté de s’adapter. La nature a prouvé sa capacité à s’adapter et à évoluer au fil des milliards d’années sur Terre, bien avant l’arrivée des humains. Actuellement, la pression que nous exerçons sur la nature peut entraver sa capacité à exprimer ses capacités adaptatives et évolutives. Nous devons recréer un espace de liberté pour permettre à la nature de s’adapter spontanément aux changements. Personnellement, je suis réservé quant à notre capacité, en tant qu’humains, de prévoir ce que sera notre environnement dans 50 ans ou plus. Les choses évoluent très rapidement et il y a beaucoup d’incertitudes. Sincèrement, même en tant que scientifique, je suis incapable de dire avec certitude si une espèce sera adaptée à un lieu donné dans 50 ans. Pour moi, c’est vraiment de la spéculation.

Blois Capitale : Que faire des espèces exotiques envahissantes ?

Rémi Luglia : D’abord, il faut préciser que ces espèces n’ont rien demandé ; c’est l’homme qui est allé les chercher autour de la planète, les a ramenées et relâchées, et maintenant nous constatons qu’elles posent problème. Je pense qu’il faut d’abord revoir notre manière, en tant qu’humains, de vouloir toujours modifier l’harmonie du globe. Il est vraiment important que nous, les humains, arrêtions de déplacer ces espèces. La régulation de ces espèces exotiques envahissantes est compliquée, car elles arrivent dans un milieu qui n’a pas évolué avec elles et essaient de trouver une place pour survivre, créant ainsi un nouvel équilibre. On peut essayer d’éradiquer ces espèces, mais généralement, on n’y parvient pas. Actuellement, personne n’est capable de proposer une stratégie pour éradiquer le frelon asiatique ou le moustique tigre ; nous ne savons pas faire. Il va falloir apprendre à vivre avec ces espèces, ce qui ne signifie pas toujours de les tirer ou les tuer, mais peut-être aussi, pourquoi pas, en les piégeant un peu, etc., et trouver avec elles un mode de fonctionnement dans des écosystèmes qui vont forcément évoluer.


Le dernier livre de Rémi Luglia sur le castor s’intitule « Vivre en castor : Histoires de cohabitations et de réconciliation » publié en 2024 aux éditions Quæ. Ce livre explore l’histoire du castor d’Europe, autrefois considéré comme nuisible et presque éteint à la fin du XIXe siècle, et raconte son rétablissement grâce à des mesures de protection. Il aborde également les défis contemporains liés à la cohabitation avec cet animal dans des environnements anthropisés​.

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