CinémaCultureEntretiens

Stéphane Brizé : « Je n’ai aucune complaisance envers moi-même »

Mercredi soir, les Blésoises et Blésois ont eu la possibilité de voir en avant-première, au cinéma Les Lobis, le film « Hors Saison » (sortie nationale le 20 mars 2024) avec Guillaume Canet et Alba Rohrwacher, de Stéphane Brizé, avec une rencontre du réalisateur. En marge de ce rendez-vous avec le public, nous avons pu nous entretenir avec le cinéaste.

Blois Capitale : Dans ce film il y a la peur de l’échec. « Hors Saison » est un film magnifique. Comment sait-on qu’on a réussi son film ? A-t-on un feeling ?

Stéphane Brizé : Ce n’est pas évident, c’est quand quelqu’un nous le dit après. Il se trouve que tout le monde ne pense pas forcément la même chose au même moment, donc il y a toujours cette incertitude. En tout cas, il faut essayer de croiser la route du maximum de gens qui vont aimer le film. Je pense souvent aux films qui pourraient être considérés comme objectivement ratés, ceux que tout le monde critique. Je me dis quand même que le réalisateur a mis tout son cœur dans le projet, pensant certainement qu’il était réussi. À quel moment peut-on dire qu’un film est objectivement bon ? C’est compliqué. Il y avait un film de Burton sur Ed Wood, qui faisait les pires films du cinéma, mais lui, il mettait tout son cœur dans ses projets, avec l’idée de faire quelque chose de très bien. La notion de qualité est de toute façon très subjective.

J’essaye de suivre mon instinct et de ne pas être complaisant avec moi-même. Je suis le premier spectateur à m’ennuyer devant mon travail. Lorsque je suis en tournage ou en montage, je suis très sévère avec moi-même. Je regarde les images comme si je ne les avais pas tournées, sans aucun attachement, mais avec un intérêt pour le projet global. Je suis très pragmatique. Parfois, il faut changer le montage parce que quelque chose ne fonctionne pas.

Je m’accorde peut-être pas un talent, mais une qualité : je n’ai aucune complaisance envers moi-même. Avant de trouver quelque chose intéressant, je passe par de nombreuses étapes où je ne trouve pas ça intéressant. Je travaille la matière, je la polis, je la sculpte, je la construis pour la rendre intéressante. Cela reste, de toute façon, une question de point de vue.

Sur le tournage, il y a d’abord l’idée, qui peut être une émotion. Sur le plateau, je me demande si cela me fait rire ou pleurer immédiatement, parce que j’avais imaginé cette scène avant. Il faut que la mise en scène et le jeu des acteurs déclenchent cette émotion. Si cela fonctionne et que je ris plusieurs fois en voyant les images au montage, je peux avoir confiance dans l’effet, même si avec le temps, cela ne me fait plus rire.

J’ai aussi cette chose étonnante qui m’étonne moi-même : mon cerveau se « reset » à chaque fois que je remets une scène à zéro. Je ne me lasse pas car je suis toujours en « reset ». Cela ne veut pas dire que je vais systématiquement rire à toutes les blagues ou pleurer à tous les moments tristes, mais je peux dire objectivement là où ça ne fonctionne pas, où il y a une longueur, où il faut couper une scène, etc. Monter, cela se fait sur un petit écran, et après des semaines, vous pouvez vous lasser émotionnellement. Mais quand vous voyez le film sur grand écran pour la première fois, vous ressentez une autre émotion, ce qui rassure sur les choix faits.

Blois Capitale : Comment sait-on que l’on tient la version finale ?

Stéphane Brizé : C’est un peu mystérieux, comme quand un sculpteur ou un peintre pense que son œuvre est finie. Pour moi, c’est une sensation physique, une certitude que l’œuvre est terminée. Je passe en revue tous les points de montage et je décide où ne pas couper. J’ai l’impression que c’est rond, que l’image que j’ai en tête est complète. C’est une forme de synesthésie, de transformer une émotion en forme.

Blois Capitale : Les personnages, malgré le fait qu’ils n’ont pas à se plaindre et que tout semble aller bien socialement, sont en réalité pleins de désillusions…

Stéphane Brizé : Mathieu n’a pas de souffrance sociale à proprement parler, mais sa peine, ses questionnements, ses réflexions et ses doutes sont profonds et méritent le respect. J’ai trouvé intéressant et essentiel d’aborder ces thèmes, aussi avec humour, avec ce personnage qui n’a aucun problème d’argent, pour montrer que finalement, tout ce qu’il peut acheter ne lui apporte rien de concret.

Blois Capitale : Et donc avec parfois des pointes d’humour…

Stéphane Brizé : C’était important de le faire de manière humoristique, car mes personnages dans les films précédents avaient généralement plus de fragilités sociales. Je ne pouvais pas traiter ce sujet de la même manière. Bien sûr, il n’y a aucun mépris pour sa peine, mais c’est plutôt la manière de vouloir soigner sa peine qui est questionnée, comme l’idée de dépenser beaucoup d’argent pour des bains moussants luxueux, ce qui est agréable mais illusoire si l’on pense que cela va nous faire aller mieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR