S'installer en Loir-et-Cher
1.2.3... Les informationsHistoireVie locale

854 ans après le bûcher, Blois rend justice à ses Juifs martyrisés

Ce dimanche 11 mai 2025, à 11 heures, un instant de mémoire a saisi l’angle de la rue des Juifs (côté rue des Papegaults), au cœur de la ville de Blois. Là, une plaque a été dévoilée pour rappeler un fait longtemps enfoui : le massacre d’une trentaine de juifs en 1171, brûlés vifs par ordre du comte Thibaut V. Car si la rue des Juifs conservait depuis des siècles la trace nominale de la présence médiévale d’une communauté dans la ville, nul ne pouvait jusqu’ici y lire l’histoire du premier massacre de Juifs en Europe occidentale fondé sur l’accusation de meurtre rituel.

La cérémonie encadrée policièrement a rassemblé une centaine de personnes, parmi lesquelles des élus locaux, des représentants des cultes, des membres de la communauté juive. Le maire de Blois, Marc Gricourt, a prononcé un discours dans lequel il a salué la mémoire des victimes tout en dénonçant la persistance contemporaine de l’antisémitisme : « Aujourd’hui, nous rendons justice à leur mémoire, et Blois reconnaît sa part d’ombre. Car il ne peut y avoir d’avenir sans mémoire, ni de réconciliation sans vérité. »

Marc Gricourt rue des Juifs

En effet, cette cérémonie s’inscrivait dans un moment de tension historique, alors que les actes antisémites se sont multipliés en France — 1 570 en 2024 contre 436 deux ans plus tôt — et que l’actualité internationale ravive des amalgames délétères. Marc Gricourt a tenu à le souligner sans ambiguïté : « Être juif en France, ce n’est pas être complice du gouvernement israélien actuel. Pas plus qu’être musulman n’est être complice du Hamas. »

rue des Juifs

Quand la rumeur tue : le pogrom de Blois et ses répercussions

Le souvenir a été renforcé par les mots de Paul Lévy, président du consistoire israélite du Centre-Ouest, qui a retracé avec précision le contexte et les répercussions du massacre de 1171. Il ne s’agissait pas, pour lui, de convoquer une mémoire abstraite, mais de restituer scrupuleusement les faits, les causes et les conséquences. Car la singularité tragique de Blois réside précisément dans le fait que ce fut, selon ses termes, « le premier procès pour crime rituel instruit en Europe occidentale, conclu à la culpabilité des Juifs, bien qu’aucun enfant chrétien n’ait été porté disparu ».

Tout commence dans la ville basse, à l’endroit même où se tient aujourd’hui la rue des Juifs, alors quartier d’habitation libre, à proximité immédiate de la synagogue. À cette époque — la seconde moitié du XIIe siècle — les Juifs vivent sans ségrégation résidentielle, dans une coexistence souvent pacifique avec les chrétiens. Pourtant, ce 26 mai 1171, sur ordre du comte Thibaut V, une trentaine d’entre eux sont livrés aux flammes, victimes d’une rumeur meurtrière.

rue des Juifs

Le professeur Lévy a précisé les causes immédiates de la tragédie. Un valet du comte, dont le cheval s’était enfui après un incident banal avec un cavalier juif, aurait inventé, pour couvrir sa faute, qu’il avait vu ce dernier jeter le corps d’un enfant dans la Loire. L’affaire enfla. Une dame juive nommée Polcelina — selon les versions, amante du comte ou simple créancière — fut désignée comme l’élément central d’un récit de haine nourri par la jalousie et les tensions à la cour, notamment avec la puissante comtesse Alix de France (1150-1198).

À partir de ce seul témoignage, un procès fut instruit. Deux membres de la communauté tentèrent de négocier, mais la venue à Blois d’un chanoine augustinien, anonyme mais influent, contribua à radicaliser les esprits. Le comte voulut faire la démonstration de son autorité : la sentence tomba. On rassembla une trentaine de Juifs, probablement les figures religieuses de la communauté, ainsi que des femmes et des enfants. Polcelina elle-même fut livrée au bûcher. Le supplice eut lieu de l’autre côté de la Loire.

Le président du consistoire a longuement rappelé que la présence juive en France, bien antérieure à la constitution du royaume, s’était toujours trouvée en équilibre fragile entre tolérance et persécution. Tour à tour protégés par les souverains ou les seigneurs locaux, parfois aussi par l’Église, les Juifs virent progressivement leurs droits restreints, notamment l’interdiction de posséder des terres, les contraignant à des activités liées au prêt et au commerce — ce qui servira longtemps de ressort aux stéréotypes les plus virulents.

Ce massacre de Blois marqua un tournant : « Le premier à être ordonné par une autorité civile, orchestré par un procès, dans un contexte où la haine trouvait ses justifications dans des légendes déjà ancrées dans l’imaginaire populaire », a insisté Paul Lévy. Il évoqua l’effet de précédent de cette mise à mort : elle fut relayée par quatre lettres, expédiées d’Orléans, de Paris, de Troyes et par un rabbin. En réaction, de nombreuses communautés juives instaurèrent un jeûne le 26 mai — ou le 26 avril selon le calendrier hébraïque — qui fut observé pendant des siècles.

Le massacre eut également une résonance à l’échelle de l’Europe. L’empereur Frédéric II, confronté à des accusations similaires au XIIIe siècle, fit publier une bulle en 1236 pour laver les Juifs de ces calomnies. Une commission fut même mandatée, concluant que ces accusations étaient sans fondement. Mais la bulle resta lettre morte. Dix ans plus tard, le Saint-Siège dut lui aussi intervenir — en vain. L’accusation de meurtre rituel continua d’alimenter les persécutions. En France, à peine onze ans après le drame de Blois, le roi Philippe Auguste expulsa les Juifs du royaume. Pour Paul Lévy, « ce fut le prolongement logique de la mécanique enclenchée ici même ». Il a conclu son intervention en évoquant les survivants du pogrom, qui se réfugièrent à Orléans et Montrichard, laissant à Blois cette trace indicible, longtemps tue. Aujourd’hui, elle s’écrit à un angle de rue.

Paul Lévy, président du Consistoire israélite du Centre-Ouest
Paul Lévy, président du Consistoire israélite du Centre-Ouest

« Cette plaque n’est pas là pour nous faire un cours d’histoire »

Lorsque le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, s’est exprimé à Blois ce dimanche matin, ce fut dans un souffle long, dense, intense. Il n’a pas lu un discours : il a parlé. S’adressant tour à tour au maire, au préfet, au vicaire général, aux représentants de la communauté juive, aux élus et aux anonymes présents, il a articulé l’histoire, la mémoire, la foi et la République dans une prise de parole sans détour ni posture.

Revenant au sens du drame de 1171, il a déclaré : « L’antisémitisme, vous savez ce que c’est ? Je le dis avec mes mots : c’est la haine de soi. Un juif, c’est quelqu’un qui est le même que vous, mais qui vous dit : “Je suis différent.” » Et d’évoquer la « pulsion d’uniformité » dans nos sociétés, qui étouffe la différence.

Le Grand Rabbin a dénoncé les antisémitismes du quotidien, les atteintes à l’enfance, l’indifférence comme pire des maux. Il a rappelé les mots d’Elie Wiesel : « L’inverse de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence. »

« Cette plaque n’est pas là pour nous faire un cours d’histoire, a-t-il lancé. Elle est là pour nous dire : comment allez-vous mettre vos pas dans ce qu’on dit dans l’histoire ? » Face à une société qu’il décrit comme « mélancolique », repliée, désabusée, Haïm Korsia s’est adressé à tous : « En mettant juste cette plaque-là, on va redonner de l’espérance à la société. Malgré cela, on peut vivre ensemble, vivre ici. Le soir se trouve sur ce mur, le matin, c’est vous qui l’incarnez. »

Haïm Korsia
Haïm Korsia

Le préfet du Loir-et-Cher, Xavier Pelletier, a salué une République forte de sa capacité à faire mémoire, non pour figer l’histoire mais pour en tirer une exigence collective. En appelant les jeunes à étudier les fractures du passé, il a mis en garde contre les rumeurs et les replis individuels, ces « ennemis silencieux de la démocratie ». « Ce moment, a-t-il conclu, dit quelque chose de la puissance d’une conscience partagée. »

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR