Quand la Halle aux grains et le Département font de la culture un ciment du territoire

Le rendez-vous avait lieu à la Halle aux grains, à Blois, en ce 16 septembre 2025. Il s’agissait de parler autant d’affiches que de constance, autant de programmation que de méthode. Autour de la table, Frédéric Maragnani, directeur de la Scène nationale de Blois, Philippe Gouet, président du Conseil départemental de Loir-et-Cher, Emmanuelle Dormoy, directrice de la culture, du patrimoine et des sports au Département, et Virginie Pougetoux, également présente à leurs côtés, donnaient corps à cette mise en lumière d’un partenariat. Tous incarnaient une coopération de longue date qui s’est affermie au fil des saisons.
« À chaque fois, ce qui marque le plus un travail de direction de lieux culturels, c’est la qualité des échanges que l’on peut trouver avec les collectivités, et la première collectivité, c’est la collectivité départementale », pose d’emblée Frédéric Maragnani. Depuis son arrivée à Blois, dit-il, « avec le Département, ça marche extrêmement bien ». Le décor est planté : une coopération active, assumée.

Philippe Gouet revendique l’ambition et l’effort qui la soutiennent. En 2025, le Loir-et-Cher fait partie des rares départements (quatre seulement) à avoir maintenu, voire légèrement remonté, son budget culture, « alors même qu’elle est souvent la première variable d’ajustement quand il faut serrer les comptes ». L’élu espère tenir la ligne en 2026, et justifie ce cap par une conviction simple : « La culture et le sport sont, à mon sens, les deux ciments de notre société. » L’orientation est claire : rendre la culture accessible à toutes et tous, aller vers les publics, conforter une présence artistique sur l’ensemble du territoire, en particulier là où l’offre est la plus rare.
De cette volonté est née « La Familia », scène itinérante dédiée à l’enfance et à la jeunesse, créée en 2023 et portée par la Scène nationale avec le soutien du Département. Le principe est connu mais ici poussé avec méthode : une programmation pluridisciplinaire de qualité, accessible et pensée avec les communes selon leurs usages, leurs associations, leurs habitudes culturelles. Grâce à un gradin mobile, La Familia investit salles, gymnases ou espaces publics, en rural comme en urbain, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour proposer des spectacles pour « petits et grands ». Ce travail repose sur une convention tripartite qui associe Département, communes et Scène nationale. « Au-delà du soutien financier, il y a une co-construction », insiste Frédéric Maragnani. Il dit ce que cela change concrètement : des portes qui s’ouvrent, une logistique partagée, une communication réellement assurée par les communes, des jauges mieux remplies et des projets portés « en connaissance de cause ». Emmanuelle Dormoy précise la logique : choisir des communes où d’autres actions départementales existent déjà, notamment en milieu scolaire, pour amplifier la présence culturelle et l’inscrire dans la durée. L’objectif n’est pas de multiplier des dates isolées, mais de mailler le territoire et d’installer des habitudes.
Cette politique s’accompagne d’une éducation artistique et culturelle assumée comme une mission commune. Des artistes interviennent sur le temps scolaire, des présentations, ateliers et rencontres sont organisés dans les écoles, collèges et lycées du département. « Il faut sensibiliser nos jeunes le plus tôt possible », rappelle Philippe Gouet, qui rappelle par ailleurs le dispositif Clap 41 : des projections de films, gratuitement mises en place avec les communes qui n’ont pas de cinéma à proximité. Là encore, il s’agit de créer des occasions de rencontre avec les œuvres, de faire que l’accès relève d’un réflexe ordinaire.
Au cœur de cette coopération, la Halle aux grains demeure une maison et un label, avec un cahier des charges qui impose la pluridisciplinarité : théâtre, musique, danse, cirque, marionnette, jeune public. Les Musicales 41 s’y sont installées comme un moment d’ouverture, en septembre, qui donne le ton d’une année. Pour la quatrième édition, la ligne reste celle d’une exigence accessible. Le vendredi 26 septembre, l’hémicycle blésois met à l’honneur la musique baroque : Amandine Beyer et l’ensemble Gli Incogniti reviennent à Bach, dans une interprétation « vibrante et audacieuse » qui invite à redécouvrir ce répertoire « dans ce qu’il a de plus vivant et exaltant ». La violoniste, formée à Paris puis à la Schola Cantorum de Bâle, conduit depuis des années un travail de précision et d’énergie avec ses musiciens ; la presse spécialisée, de Diapason à The Guardian, salue cette façon de faire entendre l’articulation, la couleur et la respiration des œuvres. Le samedi 27 septembre, place au jazz métissé : Renaud Garcia-Fons, contrebassiste virtuose, déploie « Luna de Seda », un voyage qui croise traditions ottomanes et flamenco moderne. Sa contrebasse à cinq cordes, instrument singulier qui élargit l’ambitus jusqu’aux territoires du violon et du violoncelle, donne à ce quartet l’ampleur d’un petit orchestre. Le dimanche 28 septembre, le Minotaure de Vendôme rouvre son rideau pour une retransmission en haute définition du ballet Don Quichotte de Rudolf Noureev, capté à l’Opéra national de Paris – Opéra Bastille lors des représentations des 30 mars et 2 avril 2024 ; une fête de la danse, gratuite, qui prolonge le week-end.
L’attention aux tarifs est assumée comme un levier de démocratisation. Le président du Département rappelle la fourchette de 12 à 24 euros à Blois, quand des plateaux comparables se négocient « entre 70 et 120 euros » dans les grandes salles parisiennes : l’écart, dit-il, est rendu possible par une « participation importante » du Conseil départemental, au même titre qu’il soutient d’autres festivals sur le territoire. La politique n’est pas de prestige mais de présence, avec des rendez-vous qui font revenir les publics et des dispositifs qui vont chercher ceux qui ne viendraient pas d’eux-mêmes.
Dans cette mécanique à plusieurs mains, chacun tient sa place. Frédéric Maragnani revendique une relation de confiance « fluide » où la Scène nationale organise et accompagne, tandis que le Département, initiateur des Musicales 41 « au lendemain de l’élection » de Philippe Gouet, assume ses choix artistiques : des artistes « de grande qualité », parfois « de renommée internationale ». « On est souvent en osmose », sourit-il, en saluant également le travail d’Emmanuelle Dormoy et des services culturels. À l’autre bout de la chaîne, le même président raconte ses tournées cantonales : sensibiliser les maires, particulièrement en milieu rural, pour que l’enjeu culturel reprenne sa place. « On a l’impression que les maires sont plus à l’écoute », note-t-il, convaincu que l’efficacité naît de ces relais au plus près des habitants.
La HAG, déjà, se projette plus loin. Début octobre, une réunion doit fixer les propositions jeune public de La Familia pour 2026-2027 ; l’itinérance de l’automne 2026 et du printemps 2027 est déjà en travail. En attendant, le premier spectacle jeune public annoncé dans le cadre de l’itinérance 25-26, Mon Petit Cœur imbécile, sera visible du 17 au 21 octobre à Montrichard, Chailles et Saint-Gervais-la-forêt, en appui sur les Tréteaux de France, centre dramatique national itinérant dirigé par Olivier Letellier.
Reste l’horizon budgétaire, que personne ne masque. « Tout dépendra des moyens alloués », concède Philippe Gouet, qui promet néanmoins de « faire un maximum » pour maintenir, en 2026, l’effort consenti. Entre prudence et détermination, la ligne est rappelée : l’accès aux œuvres relève d’un service rendu, pas d’un luxe accordé.