Le vitrail, art d’une renaissance pour Martine Gautier

Il y a des vies qui se dessinent patiemment, en lignes successives, comme des fragments de verre coloré assemblés un à un. Celle de Martine Gautier est de celles-là. Originaire du Loir-et-Cher, née à Romorantin, elle n’imaginait pas, après une carrière éclectique et des études très éloignées du domaine artistique, que le vitrail deviendrait son horizon. Et pourtant, à l’aube de la soixantaine, c’est bien dans la lumière filtrée par le plomb et le verre qu’elle a trouvé sa voie. « J’ai toujours travaillé avec un stylo. Aujourd’hui, c’est un coupe-verre que j’ai dans les mains. » La formule dit bien la bascule qui s’opère en 2022.
La révélation
Cette bascule ne survient pas par hasard, mais à la faveur d’une soirée de cinéma. Le film s’appelle Compagnons, avec Najaa Bensaid, Agnès Jaoui et Pio Marmaï. On y suit une jeune graffeuse à qui un architecte propose de transformer son travail en vitrail. Il agit sur Martine Gautier comme un choc. « Quand j’ai vu ce graffiti transformé en vitrail, ça a été… C’est inexplicable. Très émotionnel. Une vraie révélation. J’ai su immédiatement que je voulais faire ça. » Elle sort de la salle avec la certitude qu’une nouvelle vie commence. Elle le dit sans détour : « J’avais reçu ce message. »
Avancer malgré les obstacles
Restait à se former. À plus de cinquante ans, les portes ne s’ouvrent pas facilement. « Heureusement qu’il existe les Greta », sourit-elle. Au Greta de Chartres, l’entretien d’entrée ne demande pas de prérequis, seulement d’être créatif. Martine Gautier présente alors ses propres petites créations : des tableaux réalisés avec des boutons. La formatrice y décèle déjà une cohérence des couleurs et un sens artistique. Elle est admise. Neuf mois pour acquérir les bases. « C’était trop court, reconnaît-elle. Mais de toute façon, les vitraillistes disent tous qu’ils apprennent encore chaque jour, même après quarante ans d’expérience. » En juin 2023, elle obtient son CAP Vitrailliste.
Diplômée, Martine Gautier imagine reprendre un atelier en Bretagne, aux côtés d’un vitrailliste confirmé. Elle y travaille quelque temps, découvre ses techniques, ses astuces. Mais les finances, la maladie, puis les contraintes logistiques mettent fin au projet. « Ça a été galère. Mais j’ai malgré tout appris, et ces apprentissages, chacun les complète à sa manière au fil des années. » Alors, plutôt que de renoncer, elle décide de rester dans le Loir-et-Cher et d’installer son atelier à domicile.
À l’été 2025, elle franchit une nouvelle étape : vendre ses créations. On les trouve désormais à la boutique Blois Capitale, 16 rue Emile Laurens.

L’art du vitrail traditionnel
Le vitrail, surtout dans sa version traditionnelle, n’est pas un art sans contraintes. Il suppose un équipement lourd, et surtout des précautions sanitaires. Martine Gautier le sait. « Je travaille fenêtre ouverte, avec blouse, gants, masque. Il faut se laver tous les jours, éviter toute contamination. La plombémie est reconnue maladie professionnelle, donc une prise de sang annuelle permet de surveiller les taux. » Elle reste vigilante.
Martine Gautier pratique la méthode traditionnelle : plomb et étain, peinture sur verre, restauration. Comment naissent ses créations ? « Je pars d’une couleur et je construis autour. C’est de l’intuition, de l’inspiration. Les vitraux sont bien dessinés en amont, mais je ne réalise pas le coloriage préalable : je préfère construire ma composition directement autour de la couleur que j’ai choisie. »

Tiffany et vitrail au plomb
Notre artisane d’art distingue avec précision la technique Tiffany, inventée aux États-Unis au XIXᵉ siècle, qui consiste à entourer les verres d’une bande de cuivre avant de souder à l’étain. « Alors que le vitrail traditionnel utilise des baguettes de plomb profilées dans lesquelles on insère les pièces de verre, soudées à l’étain. » Elle choisit la voie traditionnelle. Elle détaille encore les nuances : plomb dur, demi-dur, mou, demi-mou, selon les alliages. « Moi je travaille avec du demi-mou, plus malléable. Le dur se retrouve surtout dans les grands édifices religieux, où il faut plus de solidité. »
Suspensions et rêve de vitraux d’architecture
Pour se faire connaître, elle réalise des suspensions : des pièces accrochées à la lumière, qui laissent filtrer leurs couleurs. Mais l’ambition est claire : habiller portes et fenêtres, créer de véritables ensembles architecturaux. « Les suspensions, ce sont mes cartes de visite. Elles pourraient devenir de vrais vitraux, sur une fenêtre ou une porte. »
Une artiste ouverte aux collaborations
De ce film qui a tout déclenché, Martine Gautier a retenu aussi la notion de collaboration. Graffiti et vitrail, deux mondes apparemment éloignés, qui dialoguent. « J’adorerais collaborer avec d’autres artistes, faire des mélanges de styles. Ce serait un nouveau challenge. Déjà, entreprendre cette formation à l’aube de 60 ans, c’était un challenge. Alors imaginer un projet commun avec des graffeurs, ce serait formidable. »
Un métier pour la vie
Aujourd’hui, elle poursuit son chemin, consciente que ce métier ne se quitte pas. Ses stages d’immersion le lui ont montré : « J’ai rencontré un jeune vitrailliste, et un ancien qui travaillait encore à un âge avancé. Quand on est pris par cette passion, on ne lâche pas. » Le parcours de Martine Gautier dit quelque chose de plus large : que les chemins professionnels ne sont jamais figés, que la révélation peut surgir tard, au détour d’une salle obscure. Dans la lumière des vitraux qu’elle compose aujourd’hui, se reflète l’évidence d’une vocation trouvée contre toute attente.
Et pour celles et ceux qui souhaitent une pièce unique, Martine Gautier le précise : elle travaille aussi sur commande et sur mesure, afin que chaque création devienne une œuvre intime, pensée pour un lieu, une personne, une lumière.


