ELAU — affiches féministes, mots en lutte et risographie engagée
À compter de ce week-end (sous le signe du FUCK 2025), ELAU expose à Blois Capitale – 16 rue Emile Laurens – une série d’affiches féministes en risographie. Pensées comme des multiples destinés à circuler, être affichés, offerts, discutés, ces œuvres mêlent typographie, couleurs franches — parfois fluo — et champs lexicaux volontairement précis. À travers le mot, l’image et l’impression, ELAU interroge frontalement la transmission du patriarcat, les rôles assignés aux femmes et la manière dont les imaginaires se construisent, dès le plus jeune âge.
Blois Capitale : Comment est née cette série d’affiches féministes en risographie ?
ELAU : J’ai toujours aimé les multiples et les techniques d’impression. J’ai beaucoup pratiqué la gravure à l’eau-forte, je m’intéresse aux diverses techniques d’impression photographiques et je fais de la sérigraphie depuis quelques années. La risographie, qui se développe ces dernières années, m’a intéressée pour ses rendus de couleurs, avec entre autres des couleurs fluo que l’on peut imprimer sur de petites quantités. Découvrant cette technique au moment où je travaille sur les enjeux féministes, j’ai lié les deux avec ces affiches.
Blois Capitale : Ce projet a-t-il été pensé comme un ensemble dès le départ ?
ELAU : Oui, et il y en aura d’autres. Je travaille très souvent de manière sérielle.
Blois Capitale : Vous souvenez-vous de la première image ou du premier mot qui a déclenché cette série ?
ELAU : Le mot comme matière première.
Blois Capitale : Dans votre travail, comment les mots deviennent-ils image ?
ELAU : Souvent, les deux fonctionnent ensemble, en parallèle. J’ai l’idée, je sais ce que je veux dire, et l’assemblage mots-images se construit petit à petit, d’abord dans ma tête et ensuite sur l’ordinateur. Quand je commence à travailler sur l’ordinateur, j’ai un brouillon dans la tête que je pose sur la page et que j’affine ensuite.

Blois Capitale : Certains textes ressemblent à des slogans, mais semblent volontairement résister à la simplification. Pourquoi ?
ELAU : C’est tout à fait mon objectif. Je trouve les slogans souvent trop simplistes. La question du patriarcat est un sujet sociétal complexe, qui nous concerne toutes et tous et nécessite de changer nos imaginaires. J’ai d’ailleurs observé les pancartes et slogans féministes ces derniers temps : je les trouve variés, les textes sont assez longs, et j’y vois la volonté d’un discours réaliste, faisant place à la complexité du sujet.
Blois Capitale : Comment travaillez-vous le rythme, les ruptures ou les superpositions du texte ?
ELAU : C’est un travail de recherche graphique. J’ai souvent une idée de départ, et ensuite il y a beaucoup de brouillons et de tests. Comme j’imprime en risographie, j’ai une forte contrainte de couleur : je dispose de sept couleurs dans l’atelier où j’imprime à Tours, et pour des raisons techniques je travaille surtout en bichromie. Il faut aussi que j’anticipe le rendu avec les couleurs fluo, que je ne peux pas voir sur l’ordinateur.
Blois Capitale : Écrivez-vous d’abord pour vous-même ou déjà en pensant au public ?
ELAU : Ça vient toujours d’un désir personnel, et c’est conçu pour les autres. C’est une forme de dialogue et d’échange.

Blois Capitale : Dans les affiches autour du patriarcat, vous utilisez un vocabulaire médical très précis. Pourquoi ce champ lexical ?
ELAU : Quand je parle d’« inoculation » du patriarcat dès le plus jeune âge, c’est un constat. Par exemple, quand j’écris « le masculin l’emporte sur le féminin », je me rapporte à la règle de grammaire que l’on a toutes et tous apprise, et que l’on continue d’enseigner aux enfants. Une société ne peut pas prétendre chercher à sortir du patriarcat et continuer d’enseigner ce genre de règle. Tous les jours, dans toutes les écoles de France, nos enfants apprennent que le masculin l’emporte sur le féminin et se le répètent comme un mantra pour ne pas faire de faute d’orthographe. C’est délétère et inutile, sauf à vouloir conserver le système patriarcal. Alors oui, c’est peut-être aussi une provocation, ou plutôt une envie qu’on arrête de se mentir.
Blois Capitale : L’humour, parfois très sombre, est-il un outil nécessaire dans ce travail ?
ELAU : Oui. L’humour est très pratique pour amener de la légèreté sur ce sujet. Avec l’humour, le message passe mieux, et la subtilité aussi.
Blois Capitale : Quelle place la colère occupe-t-elle dans votre processus de création ?
ELAU : La colère peut être un moteur, mais elle ne fonctionne pas seule. Elle ne fonctionne qu’avec le désir, la joie de vivre.
Blois Capitale : Pourquoi avoir choisi la risographie pour cette série ?
ELAU : La risographie est une technique semi-artisanale. Dans une série, il y a toujours des variantes : le grain du papier, la charge d’encre de la cartouche. Les encres en ton direct et leur mélange donnent de beaux rendus qu’il faut apprendre à maîtriser — et parfois des ratés très agaçants aussi. Mais cela donne une vraie qualité de couleur et de texture aux impressions.
Blois Capitale : Ces affiches sont pensées pour circuler. Quelle importance accordez-vous à cette diffusion ?
ELAU : C’est sans doute une des raisons pour lesquelles j’apprécie le multiple : il facilite le partage, la circulation, l’échange d’idées. J’y vois quelque chose de démocratique.
Blois Capitale : Que signifie pour vous leur présence dans un lieu hybride comme Blois Capitale ?
ELAU : Je trouve intéressant que Blois Capitale accueille des propositions diverses et fasse une place à la réflexion en mélangeant les genres. Le caractère engagé de ces affiches ne leur ouvre pas toutes les portes ; il est donc important que des lieux comme celui-ci existent.
Blois Capitale : Une œuvre féministe doit-elle déranger ?
ELAU : Ça peut paraître étonnant, mais je m’étonne toujours que le sujet dérange. Il s’agit simplement de mettre fin à un système injuste qui disqualifie la moitié de la population. Tout le monde devrait s’en réjouir. L’expérience m’a pourtant montré de multiples résistances. Je travaille davantage pour montrer des possibles et changer nos perceptions que pour déranger.
Blois Capitale : Comment cette série s’inscrit-elle dans votre parcours artistique ?
ELAU : La question féministe a toujours été un des fils rouges de mon travail. En 2023, j’ai réalisé Après l’ombre, un projet sur l’invisibilisation des femmes artistes du passé au sein de trois châteaux du Loir-et-Cher gérés par le Centre des monuments nationaux. Les affiches que je présente aujourd’hui s’inscrivent dans la continuité de ce travail.
Blois Capitale : À qui souhaiteriez-vous que ces affiches s’adressent en priorité ?
ELAU : J’aimerais qu’elles encouragent ou consolident les femmes — et toutes les personnes amies de l’égalité réelle entre femmes et hommes — dans leur volonté de changer le monde et d’affirmer leur puissant désir d’égalité.
Blois Capitale : Qu’aimeriez-vous qu’il reste après le premier regard ?
ELAU : Un doute, une pensée, un sourire.

