Les futurs professionnels de santé du Loir-et-Cher sont déjà parmi vos proches !
PortraitsVie locale

Danses avec les fleurs : comme une manière d’habiter le monde

Il y a des boutiques où l’on regarde, où l’on choisit, où l’on prend. Ici, on entre d’abord pour respirer. A « Danses avec les fleurs », face à la Place Louis XII à Blois, quelque chose se calme. La vitrine attire sans attirer. Elle laisse voir juste assez : un arrangement végétal suspendu, la silhouette ronde d’un kokedama, des graines séchées, des feuilles disposées avec une précision douce. Sur la façade, l’enseigne est gravée sur un morceau de bois clair, presque brut, comme un fragment d’écorce gardé dans son état naturel. Rien n’est crié. Tout est adressé.

Danses avec les fleurs

À l’intérieur, la lumière n’est pas un éclairage : c’est une présence. Elle enveloppe sans illuminer. On la suit comme on suit une respiration. Les végétaux ne sont pas alignés, classés, ordonnés selon les règles du commerce. Ils habitent l’espace. Ils le composent. Ils le racontent. « Je ne suis jamais stressée ici », dit Keltoum. Le lieu n’est pas un décor : c’est une géographie intérieure.

Sur les étagères, les plantes ne sont pas posées, elles se tiennent. Certaines sont suspendues dans des sphères de mousse : ce sont les kokedamas, ces petites planètes végétales venues du Japon. Dans les cadres circulaires ou rectangulaires, le végétal stabilisé se maintient dans un état étrange, ni vivant ni figé, comme une mémoire de plante qui continue à être plante sans avoir besoin d’eau ni de lumière. Sur la table, des objets détournés — vieux livres, réveils anciens, cafetières retrouvées — accueillent de nouvelles pousses. Rien ici n’est jeune, neuf, instantané. Tout est transformé, reconduit, prolongé.

kokedamas

L’origine — une rencontre avec le vivant

Avant d’être fleuriste, Keltoum a étudié la biologie. « J’ai toujours été intéressée par l’interaction de la plante avec l’être humain », dit-elle. « Par ses bienfaits, par ce qu’elle change dans l’air, dans la respiration, dans l’espace. » Mais au-delà de l’amélioration de l’oxygène ou de la dépollution intérieure, ce qui la retient, ce sont les vertus symboliques, les messages anciens attachés au végétal. Elle montre une Crassula ovata, l’arbre de jade. « On dit qu’elle apporte l’abondance. Est-ce culturel ? Est-ce réel ? Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que partout, des gens viennent la chercher pour ça. Même des touristes étrangers. » Puis elle sourit. « Et moi aussi, j’y suis attachée. Je me rends compte que les plantes vers lesquelles je vais sont toujours celles qui me ressemblent, qui me parlent, même avant que je sache ce qu’elles symbolisent. »

Danses avec les fleurs

Elle raconte son premier contact avec l’horticulture. Elle vivait encore en Algérie. « Petite, je voulais être artiste. Je faisais de la danse depuis toujours. Je créais des spectacles, j’aimais les maquillages, les costumes, tout ça. Mais il n’y avait pas d’école où j’étais. Pas de chemin tout tracé. Et mes parents disaient : ce n’est pas un métier. » Puis un jour, sa mère rencontre un homme passionné par le Japon, qui cultivait des bonsaïs et décorait les grands hôtels d’Alger. Il lui parle d’une école d’horticulture. Elle y va. Elle y reste. Elle y trouve ce qu’elle cherchait sans le savoir : une manière de créer avec le vivant, sans l’arracher, sans le contraindre, en l’accompagnant. « La première fois que je suis allée dans les chambres du Sofitel pour voir les plantes, j’ai ressenti quelque chose de très clair : de l’apaisement. Je n’avais rien à faire d’artistique, mais j’étais bien. Et j’ai compris que ça, cette sensation-là, c’était ma route. » Ce n’était pas une conversion. C’était une confirmation.

La danse — non pas à côté, mais dedans

Beaucoup parleraient ici de reconversion, mais le mot ne convient pas. Il suggère une rupture, un avant, un après. Ce n’est pas ce qui s’est passé. La danse est toujours là. Elle n’a jamais quitté l’histoire. Elle structure même la manière dont les plantes sont placées dans l’espace. « Quand je crée, j’imagine un mouvement. Ce n’est jamais statique. » Elle ne dit pas composition. Elle dit chorégraphie. Elle imagine des trajectoires, des respirations, des suspensions, des reprises. Elle place un kokedama comme on place un danseur dans un espace scénique. Elle interrompt pour laisser place au vide. Car le vide est aussi une forme. Le nom s’est imposé sans hésitation : Danses avec les fleurs. Non pas pour accoler deux passions, mais parce qu’ici, l’une contient l’autre.

Danses avec les fleurs

Le kokedama — un rapport au temps

Keltoum montre comment on les soigne. « On ne l’arrose pas. On le baigne. On le plonge entièrement dans l’eau. Puis on le presse, doucement, comme une éponge. » Ce geste est lent. Il oblige celui qui le fait à faire un pas de côté, à revenir à un rythme plus humain. « C’est un art qui m’a tout de suite parlé. Parce que ça oblige à s’arrêter. » Et elle ajoute : « Et les gens s’y attachent d’une manière incroyable. Quand un kokedama souffre, ils reviennent avec presque de la peine. Comme si c’était un petit être. » On comprend alors. Il ne s’agit pas d’objets. Il s’agit de relations.

Le végétal stabilisé — conserver sans dénaturer

Puis il y a l’autre famille de végétal, celui qu’on appelle stabilisé. La plante n’est plus vivante, mais elle conserve sa forme, sa texture, sa souplesse. « Ce n’est pas artificiel. Ce n’est pas séché. C’est comme une présence maintenue. » La sève est remplacée par de la glycérine. La plante ne demande rien. Elle reste. Cela permet d’habiter des espaces où une plante ne pourrait pas vivre : cabines sans fenêtres, restaurants sombres, plafonds difficiles d’accès. Cela permet aussi de donner une seconde vie aux objets. Une cafetière devient vase. Un livre devient jardin. Un appareil photo retrouve place dans une maison où il n’était plus que souvenir.

fleuriste blois

Zéro déchet — non pas une idée, mais une nécessité

La démarche écologique n’est pas un discours ici. Elle n’est pas brandie. Elle n’est pas morale. Elle est constat. « Dans les jardineries, j’ai vu des bacs entiers de plantes jetées parce qu’elles n’étaient plus ‘vendables’. Une plante peut être moche un moment. Elle peut récupérer. On ne la jette pas. » Ici, rien ne se perd. Les chutes de mousse deviennent mini kokedamas. Les feuilles d’eucalyptus deviennent bijoux.
Les créations non vendues sont démontées, réassemblées, réinventées. « Je ne supporte pas le gaspillage. Même chez moi, je ne fais pas de courses tant que mon frigo n’est pas vide. »

L’économie du végétal — ce qui a changé

Keltoum parle du marché de la fleur comme on parle d’un paysage que l’on a vu se transformer. Elle se souvient des fleuristes d’autrefois, des bouquets que l’on s’offrait chaque semaine, du kiosque d’antan où les fleurs partaient par brassées. « Aujourd’hui, beaucoup de gens n’achètent plus de fleurs. Ou bien ils achètent à la grande surface. Pourquoi se battre contre ça ? Je préfère proposer autre chose. »

La boutique fermera le 31 janvier 2026. « On va passer à un autre format. On fera plus de salons. On aura un site internet. On développera les ateliers. » De la conception sur mesure – toujours – pour de la décoration d’intérieur. Elle ne dit pas : Je quitte. Elle dit : Je continue autrement. La boutique aura été une étape. Un berceau. Un espace de germination. Ce qui commence maintenant est du même ordre que ce qui se passe quand on rempote une plante : on ne l’arrache pas, on lui donne plus d’espace. Rien ne disparaît. Tout se transforme.

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR