Dans la vitrine, un peuple en clairière : la Tribu des Lutins de Sologne

On pourrait croire, en s’arrêtant devant la vitrine de l’herboriste rue Saint-Lubin, Herbacadabra, qu’un morceau de forêt a été délicatement déposé là, au cœur de Blois. Les écorces de bouleau dessinent des sentiers, les pommes de pin s’alignent comme des huttes primitives, et les feuilles séchées, encore veinées de lumière, bruissent au moindre mouvement du regard. Au milieu de ce paysage miniature, un peuple entier se déploie : des silhouettes en bonnet rouge, des créatures à plumes, des Nez-Risson au long museau, de petits hiboux turquoise, des géants assis, des maisons-champignons, des terriers, des lanternes. Tout est habité.

Patricia Barthélémy, qui signe ces créations, raconte leur apparition avec une logique presque désarmante. « Ils m’ont demandé de les créer », dit-elle. Et ce n’est pas une formule, elle insiste, répète que « rien n’est inventé ». Lorsqu’elle parle de la Tribu des Lutins de Sologne, elle ne décrit pas un artisanat mais un monde : des familles entières, chacune avec sa mission, son histoire, son énergie. « Leur mission de vie principale, c’est d’apporter la joie de vivre et de faire retrouver aux adultes leur âme d’enfant. Et il y a du boulot », sourit-elle.
Ainsi, les premiers à être venus — les Géants — ouvrent le récit. On voit Sim dans la vitrine, accroché à son morceau de bois, « la tête dans les nuages et les pieds sur terre ». Son histoire, consignée par Patricia Barthélémy, le présente comme celui qui, autrefois, a tant vanté la Sologne à ses amis de Laponie qu’ils ont décidé de venir s’y installer. À côté de lui, Perle veille sur son huître ouverte, découverte après qu’il a ramené de Granville un rocher immaculé qui s’est révélé plein de surprise ; il chuchote que la beauté se cache parfois sous ce qui paraît rugueux. Non loin, Papy Russ tient entre ses mains une écorce gravée de runes, gardien des mots anciens, passionné de lettres et de vibrations. Et un peu plus loin encore, Hang Pan écoute la symphonie invisible de la forêt, inspiré par une pomme de pin en forme de rose : maître de l’harmonie, de la créativité et du calme retrouvé.
Tout autour, comme une végétation qui respire, les Lutins des Bois apparaissent. Ceux-là avancent avec des plumes de Sologne et l’allure discrète des êtres qui vivent au pied des arbres. Le Sage garde son grimoire, non pour y conserver des formules mais les mystères du monde ; il écoute les questions qu’on lui confie et renvoie les réponses dans le murmure des jours. Le Simple porte en lui une rune, une vibration invisible qui agit quand on le place dans un lieu traversé souvent. Le Motivateur, lui, brandit sur son petit panneau un mot ou une intention qui se reflète chaque fois que le regard le croise. Le Tomte protège le foyer et veille à ce que la maison respire la sérénité ; son cousin miniature, le Mini-Tomte, accompagne les enfants, absorbe les chagrins avant qu’ils ne s’endorment, veille sur les bébés lors des nuits difficiles. Et puis il y a le Guerlet, que Patricia décrit d’une expression qui éclaire tout : « Guerlet, ça veut dire merle en solognot. » Lutin des transitions, il chante les changements comme le merle annonce l’aube. À leurs côtés, les Zi-Boux sont les doudous des adultes, ces petits hiboux qui nous enveloppent de leurs ailes invisibles lorsqu’on avance vers un lieu où l’on n’a « pas trop envie d’être ». Quant aux Nez-Risson, ils se tiennent fièrement alignés, avec leur museau effilé : « Attention à ne pas confondre avec l’hérisson ! » prévient Patricia Barthélémy. Le retour de karma serait immédiat ! Eux portent l’intuition, protègent des fausses pistes, indiquent la direction juste.
Les maisons qui ponctuent la vitrine donnent l’impression d’être des portes vers un ailleurs. Patricia les appelle des portails magiques, « un peu comme les tentes d’Harry Potter » : minuscules à l’extérieur, vastes à l’intérieur. Les champignons-maison diffusent la joie de vivre et la vision colorée des lutins, tandis que les maisons-terriers invitent au refuge, à l’ancrage, au silence intérieur — une mousse secrète en absorberait même les bruits du monde.
Ce qui frappe, en parlant avec Patricia Barthélémy, c’est la manière dont cet univers a émergé. Non pas par construction intellectuelle, mais par nécessité intérieure après deux burn-out. Quand on lui demande comment les visiteurs s’orientent dans ce foisonnement, elle répond avec un calme amusé : « Les personnes viennent, elles sont attirées par un. Généralement, ça correspond à leur situation actuelle. »
La vitrine, ainsi peuplée, ne ressemble pas seulement à une exposition-vente. Elle prend la forme d’un conte vivant, d’un monde miniature où chaque personnage possède un rôle précis. La Sologne y devient matrice : les plumes, les feuilles, la mousse, les couleurs chaudes, l’odeur presque visible de sous-bois. Les lutins se tiennent là comme s’ils avaient toujours été présents, attendant simplement d’être remarqués.

