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De la Défense à l’illustration : Bubblee, le pari de Marie Tafilet dans le Loir-et-Cher

C’est un parcours que l’on pourrait croire fictionnel tant il semble déjouer les trajectoires toutes tracées. À 25 ans, Marie Tafilet a fondé « Bubblee », une micro-entreprise d’illustration indépendante aux créations colorées, féminines et résolument inclusives. Pourtant, rien, ou presque, ne la destinait à ce choix artistique et entrepreneurial. Ancienne analyste en géopolitique au ministère des Armées, diplômée de l’ILERI et de l’IRIS Sup’, elle a tourné le dos à une carrière prometteuse dans la Défense pour renouer avec une passion d’enfance longtemps mise en veille : le dessin.

Un changement de cap amorcé dans l’intimité du confinement

« J’ai toujours dessiné, depuis que j’étais petite, mais au lycée j’ai un peu arrêté en me disant que c’était un loisir, et que je devais me concentrer sur mon travail… », confie-t-elle avec simplicité. C’est en pleine pandémie, alors qu’elle termine son master 2 à Paris, que le geste graphique refait surface. Cloîtrée chez elle, elle peint, dessine, expérimente : « je me suis dit, tiens, j’aimerais bien une petite déco chez moi. Je me suis fait un dessin pour moi-même. Après j’ai essayé de dessiner mes proches, de faire de la peinture, des choses colorées. Et c’est là que j’ai reconnecté avec le plaisir de dessiner que j’avais perdu pendant plusieurs années ».

Marie Tafilet

Retour dans le Loir-et-Cher

Elle entame alors une brève carrière dans un service ministériel, « le premier emploi où je me projetais à long terme ». Mais très vite, l’évidence s’impose : « j’avais toujours bien aimé la nature, les grands espaces. Paris, c’était le stress, les gens qui font la tête. Au bout de cinq ans, je tirais un peu la langue ». L’éloignement avec son compagnon resté à Vendôme, des problèmes de santé dans leurs familles respectives, et l’arrivée d’un poste à responsabilité pour lui précipitent son retour dans le Loir-et-Cher. À la veille de la fin de sa période d’essai, Marie Tafilet met un terme à son contrat et rentre sans plan de secours : « j’ai fait un peu les choses à l’envers. Je savais ce que je quittais, pas ce que je voulais faire ».

Bubblee : naissance d’un projet artisanal, local et assumé

Son entreprise, elle la crée de manière prudente. Accompagnée par la BGE, elle renonce à l’idée d’investir massivement dans des machines d’impression ou des objets décoratifs : « j’ai juste acheté une tablette graphique et je me suis dit : je vais commencer petit, avec le support le moins cher : le papier ». Elle se fait imprimer localement, à l’ESAT Jean Muriel de Lunay, par choix éthique autant que pratique : « c’est un établissement qui emploie des personnes en situation de handicap. Travailler avec eux, c’était pour moi une manière d’ancrer mon activité dans une logique de territoire et d’inclusion ».

Ce n’est qu’au fil des mois que son catalogue s’étoffe. Les affiches, aux couleurs franches et lumineuses, se déclinent en formats variés. Viendront ensuite les sacs, les T-shirts, les mugs et les fresques murales. Ses créations, nourries par une solide sensibilité esthétique, trouvent leur source dans la vie quotidienne, les émotions personnelles, les saisons, ou encore l’univers des mangas qu’elle affectionne depuis l’adolescence : « au collège, je dessinais pour mes frères, ma mère plastifiait les feuilles et ils les affichaient dans leur chambre ».

Une dimension profondément engagée

Si le style de Marie Tafilet séduit par sa vitalité graphique, il interpelle aussi par ses partis pris. L’illustratrice revendique une approche inclusive, notamment autour des corps féminins : « je voulais mettre en avant les femmes, mais pas que des femmes filiformes. Je connais beaucoup de gens qui se dévalorisent physiquement. Je trouve ça dommage, parce que la plupart du temps, ce sont des femmes que moi je trouve super belles ».

Son trait célèbre aussi les diversités de carnation, avec une prédilection pour les peaux foncées : « Je me dis que si je peux aider à normaliser la représentation de peaux non blanches, je veux le faire ». En artiste, elle aborde aussi des sujets plus douloureux, tels que la maladie ou le deuil. Elle a réalisé plusieurs dessins inspirés du cancer du sein, rendant visibles les corps féminins mutilés mais toujours beaux, dignes et puissants : « j’aimerais bien que des femmes voient ça et se disent : “elle est belle alors qu’elle n’a plus ses seins”. Ça peut redonner un peu confiance ».

Quant à la mort, elle l’évoque plus discrètement, mais avec la même sincérité : « j’ai fait une seule illustration sur le deuil. C’est difficile à rendre beau. Mais je mets beaucoup de moi-même dedans ».

Une activité multiforme et artisanale

Outre les créations en vente sur son site (https://bubblee.fr), Marie Tafilet répond à des commandes de fresques et de portraits personnalisés. Ces derniers, sans traits du visage, jouent sur les ombres, les volumes, les attitudes. « Je me suis dit : et si je retirais les yeux, le nez, la bouche ? Finalement, on reconnaît les gens quand même, et ça me permet de jouer autrement avec l’émotion ». Elle réalise aussi, ponctuellement, des logos, des affiches d’événements, ou des compositions sur mesure, comme récemment un triptyque représentant Nantes pour un client du coin : « on a mené le projet ensemble, de A à Z, c’est très gratifiant ».

Depuis peu, elle se consacre aussi à la réalisation de fresques murales, projetées à l’aide d’un rétroprojecteur pour garantir l’exactitude du trait. Ces fresques, toujours très colorées, commencent à orner des murs chez des particuliers.

Marie identifie de plus en plus précisément son public : amateur de couleur, d’énergie positive, de représentations modernes. Ses dessins colorés, souvent joyeux malgré des thématiques parfois graves, sont perçus avec chaleur : « souvent, ce sont les dessins que je fais dans une optique triste qui sont reçus comme joyeux. Je trouve ça beau, cette réinterprétation ».

Aujourd’hui, Marie Tafilet vit une aventure exigeante, instable, mais porteuse de sens. Elle travaille sans compter ses heures, gère ses stocks, ses impressions, ses expéditions, et multiplie les occasions d’échange : « travailler pour moi, ça ne m’embête pas. Je me dis que là, je peux vraiment mener des projets à terme ». Une démarche singulière qui, en silence, trace son sillon.

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