Domaine des Anges : un projet qui a trouvé sa place dans le Loir-et-Cher

Ancienne journaliste dans le Nord de la France, Christèle Dufourg a changé de vie en 2016 pour recréer, avec son compagnon, le Domaine des Anges à Thenay, dans le Loir-et-Cher. Un projet mûri de longue date, à rebours du tourisme de masse, pensé autour de l’espace, de la nature, du respect de l’environnement — et de la convivialité.
Une vocation de journaliste, un besoin de rupture
Pendant vingt-cinq ans, Christèle Dufourg exerce le métier de journaliste au Courrier Picard. « C’était une vraie vocation », dit-elle aujourd’hui sans détour. Elle y gravit les échelons, travaille dans l’exigence, dans le rythme soutenu de la presse quotidienne. Mais un jour, l’impression d’avoir fait le tour s’installe. Son compagnon, lui, travaille dans la logistique, depuis toujours dans la même entreprise. Lui aussi ressent le besoin de tourner la page. « On s’est dit : on arrête tout. Qu’est-ce qu’on fait ? » Cette question marque le point de départ d’une reconversion radicale. Et une réponse : des lodges à visée touristique.
L’idée, au départ, était d’implanter leur projet en Picardie. Mais ils se heurtent au scepticisme des institutions locales : aucune aide, aucune écoute, malgré les encouragements d’une experte indépendante spécialisée dans le tourisme, qui croit au potentiel de leur projet. Ils prennent alors la décision d’élargir leurs recherches, de ne pas s’enfermer dans leur région d’origine. « On savait ce qu’on voulait créer », confie Christèle Dufourg.
Le Loir-et-Cher aligne les atouts
Le concept, déjà mûrement réfléchi, part d’une frustration personnelle : l’impossibilité de trouver, pour leurs propres vacances, un lieu qui conjugue espace, tranquillité, accueil des familles, et possibilité de venir avec un chien. « On ne voulait pas des campings où l’on est ratatinés les uns contre les autres. » L’écologie, pour eux, est une évidence, même si ce n’est pas alors l’argument principal de leur recherche. Ce qu’ils cherchent avant tout, c’est un cadre naturel, spacieux, simple, où les enfants puissent jouer librement, où les animaux soient les bienvenus, loin des offres standardisées.
Le couple explore plusieurs régions. Le Lubéron, « trop clinquant », ne correspond pas à leur vision. L’accueil y est froid, l’ambiance ne leur convient pas. L’Ardèche, séduisante mais trop saisonnière, les pousse à réfléchir à la viabilité économique d’un tel projet sur l’année. Un temps, ils pensent avoir trouvé l’endroit rêvé : Soulac-sur-Mer, à la pointe de la Gironde. Mais les risques liés à l’érosion et aux intempéries les dissuadent d’y investir.
Le choix du Loir-et-Cher s’impose progressivement, par réalisme autant que par goût. La région des châteaux, la présence du zoo de Beauval, la possibilité de travailler avec une clientèle présente toute l’année, même hors saison : tous les éléments sont réunis. « Le déclic, ça a été quand on nous a dit : il faut que vous trouviez un endroit dans le triangle d’or. » Le territoire entre Blois, Amboise et Beauval devient leur objectif. C’est à Thenay qu’ils trouvent le Domaine des Anges : un ancien camping western délabré, vestige d’un élevage de moutons, mal exploité et à l’abandon.

Un projet bâti de A à Z
Ils achètent le terrain, presque six hectares. Pas question de reprendre l’activité existante, qui ne correspond à rien de ce qu’ils envisagent. Il faut tout refaire. La maison familiale est vendue pour financer l’opération. Pas de crédit, pas d’emprunt : un choix assumé qui leur impose d’avancer lentement, mais librement. « On a préféré avancer à notre rythme, sans pression extérieure. »

Ils font construire trois premiers cottages. Le plus grand, de 65 m², peut accueillir onze personnes, et est entièrement accessible aux personnes en situation de handicap. Les deux autres, légèrement plus petits, sont conçus pour dix personnes. L’ensemble est pensé pour garantir confort, intimité et autonomie, sans vis-à-vis, sans nuisance. Le projet prévoit à terme sept cottages. « On s’arrêtera là. Après, il faudrait embaucher, grossir, ce n’est pas ce qu’on veut. » Les réseaux pour les futures constructions sont déjà installés. Mais le couple refuse de franchir la limite qui les contraindrait à changer d’échelle.
Un modèle qui s’affine avec les demandes
Le cœur de l’activité s’est imposé peu à peu : les privatisations pour des groupes. Cousinades, séminaires d’entreprise, groupes d’amis, mais aussi vacances en famille. Une clientèle familiale, intergénérationnelle. La configuration du site, sans route traversante, entièrement clos, permet aux enfants de jouer en liberté, sans danger, pendant que les adultes profitent de la nature. Et puis le domaine séduit également les propriétaires de chiens. « Ça nous ramène un monde fou ! » Une évidence pour eux, qui ont toujours vécu avec des animaux.
Ce positionnement sur la privatisation du site n’était pas prévu dès le départ, mais il s’est imposé naturellement face à la demande. Cette réactivité aux besoins a abouti la création d’une salle commune, un dôme géodésique. Parce que lumineux, plus proche de la nature, et éco-responsable.
Une démarche écologique sans rigidité
Le Domaine des Anges ne revendique pas une écologie militante ou culpabilisante. « On ne veut pas être donneurs de leçons. On met des choses en place, on explique. » Le choix de ne pas installer de climatisation est assumé. Les cottages sont bien isolés, les emplacements ont été pensés en fonction de l’ombre naturelle. Les vacanciers peuvent dormir les fenêtres ouvertes, au cœur d’un environnement sans pollution sonore. Le chauffage, lui, est assuré par des poêles à pellets, les bains nordiques sont chauffés au bois. « Les gens apprécient de pouvoir gérer eux-mêmes leur bain, de mettre l’eau à la température qu’ils souhaitent, de pouvoir se baigner la nuit s’ils veulent. Ça fait partie de l’expérience. »
Le tri des déchets est facilité par des affichettes claires. Les robinets et les douches sont équipés de réducteurs de pression. Des messages incitent à limiter la consommation d’eau et d’électricité. « Ce sont des petites choses, mais elles participent à la démarche », souffle Christèle Dufourg. La majorité des vacanciers jouent le jeu sans difficulté. « Certains ne sont pas du tout écolos, mais ils découvrent le lieu, ils s’y sentent bien, et ça les sensibilise. »

Si le projet s’est construit pas à pas, au fil de l’expérience et des demandes, il s’est aussi nourri de réflexions plus larges sur le sens de l’activité économique. Christèle Dufourg suit une formation longue en économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), initiée par la CPME, à laquelle elle a adhéré. « Une manière d’interroger la cohérence humaine de son entreprise. » L’approche modifie en profondeur sa façon de concevoir la relation avec les clients. « Quand quelqu’un me demande un devis, je ne commence pas par parler d’argent. Je lui demande d’abord ce dont il a besoin, quel est son projet. Et en fonction de ça, je construis ma proposition. » Loin des grilles tarifaires figées, l’offre s’adapte aux usages et aux attentes spécifiques de chaque groupe. Une souplesse qui ne sacrifie pas la clarté, mais qui permet de penser autrement l’échange commercial.
Un accueil local facilitateur
L’installation à Thenay s’est faite sans connaître personne sur place. Pourtant, l’intégration s’est révélée fluide. Dès leur arrivée, le maire les invite à l’inauguration de la salle périscolaire. « J’ai dit à mon compagnon : ça va être long, on va s’ennuyer à écouter les discours, boire un coup de mousseux, manger trois petits fours et rentrer », confie Christèle. Finalement, ils restent quatre heures, donnent un coup de main pour le service, participent au rangement. Rapidement, ils se retrouvent intégrés au comité des fêtes du village.
Ce bel accueil va bien au-delà : la Maison médicale de Montrichard, contactée lors de leur arrivée, trouve sans difficulté un médecin pour la famille. « La secrétaire m’a dit : ‘Mais on ne peut pas vous laisser sans médecin.’ » La recherche d’un dentiste, d’autres professionnels de santé, tout se passe avec simplicité, loin des clichés parfois véhiculés sur la ruralité. « Franchement, ça a été facile. L’accueil a été bon. »
Une aventure cohérente
Christèle Dufourg et son compagnon n’ont pas cherché à réinventer le tourisme. Ils ont simplement pris le temps de concevoir un lieu qui corresponde à ce qu’ils cherchaient eux-mêmes, sans céder aux logiques de standardisation ni à la course au volume. Une dizaine de places par gîte, quelques bâtiments bien espacés, un terrain préservé, et des aménagements pensés avec soin : pas plus, pas moins.
Le succès rencontré depuis trois saisons, avec une clientèle fidèle, des réservations qui se projettent déjà sur plusieurs années, confirme que cette proposition répond à une attente. Non pas celle d’une offre spectaculaire, mais celle d’un cadre simple, fonctionnel, respectueux de l’environnement et des usages, où l’on peut séjourner sans contrainte, à son rythme.
Sans slogans, sans posture, le Domaine des Anges avance ainsi, dans une forme de discrétion assumée, avec une attention continue portée aux détails. Un projet pensé pour durer, mais sans ambition démesurée. Une activité qui, dès le départ, a intégré la question de sa propre transmission, sans urgence mais sans naïveté.
Rester à taille humaine, refuser de grossir à tout prix, écouter les besoins plutôt que plaquer des recettes toutes faites : c’est sans doute ce qui fait la cohérence de l’ensemble. Et ce qui permet au Domaine des Anges de tenir sa place, à sa juste mesure.
Plus d’informations : ledomainedesanges.fr