Cathy Beauvallet : la vie à main levée

Parfois, il suffit d’un crayon pour choisir la vie. Dans le cas de Cathy Beauvallet, c’est une évidence patiemment tracée, gravée même, entre les lignes du temps et les corps en mouvement. Son parcours d’artiste, de pédagogue et de femme se raconte comme elle dessine : sans esbroufe, sans pose inutile, mais avec cette intensité soyeuse des êtres qui avancent coûte que coûte, par besoin de dire et d’être là.
Cathy Beauvallet n’a pas attendu de savoir lire pour savoir voir. « Je pense que j’ai toujours dessiné », confie-t-elle. Il y a cette image fondatrice : une petite fille dans la classe de sa mère, institutrice à Onzain. Cette année-là, l’enseignante décide de développer le dessin dans sa pédagogie. L’enfant y trouve une grammaire intime. Dès lors, elle ne lâchera plus le fil.

La suite est une succession de marches, plus ou moins escarpées, jusqu’aux Arts déco (ENSAD) à Paris. Mais la vie, cette autre maîtresse exigeante, lui impose assez tôt des choix drastiques. Les ressources sont comptées. Il faut travailler. « J’ai commencé à faire du dessin pour la pub, je suis devenue roughwoman. Je dessinais pour les directeurs artistiques, pour les agences. J’avais vingt et un ans. » La publicité, pourtant, ne sera jamais un port d’attache. Elle permet de vivre, oui. De vivre matériellement. Mais pas de respirer. « C’était un milieu qui me convenait moyennement… même si je gagnais bien ma vie », confie Cathy Beauvallet.
Alors surgit une première bifurcation. L’envie de « revenir en province ». Un stage, une intuition, une rencontre : celle de la transmission. « D’un stage, l’école est née. C’est vraiment né par hasard. J’avais 24-25 ans. J’étais rough woman en freelance, mon compagnon travaillait en agence. On a fait un stage, ça a marché, les gens étaient hyper contents. On s’est dit : pourquoi pas. »
Pourquoi pas, en effet. La nouvelle génération devine que les logos vont façonner les mondes. De fil en aiguille, un atelier devient une école : ETIC (École de design graphique & arts appliqués). Naïveté fondatrice. « On ne savait pas ce qu’était une école, on ne savait pas enseigner, on ne savait pas diriger. C’était une association. Mais les jeunes qui étaient là ont dit : on reste avec vous. » Si l’école tient, si elle grandit, c’est parce que les élèves sont là, vivants, exigeants, brillants. « Si on était tombés sur des jeunes complètement stupides et mauvais, l’école n’aurait pas grandi, ça n’aurait pas duré. » Contexte favorable aussi : Blois devient plus attractif sous la municipalité de Jack Lang, certains élèves viennent du lycée Choiseul à Tours, bac appliqué en poche, déjà passionnés, déjà impliqués. « On était dans un appartement, tout petit. Puis on a cassé notre tirelire, acheté des locaux rue Franciade. L’école est restée là douze ans. »
Mais Cathy Beauvallet ne tient pas en place. Elle enseigne, elle élève, et dessine toujours. Elle continue son métier, garde des clients à Paris. Et puis, au mitan de la trentaine, la pub devient insupportable. « J’en avais marre. Je faisais des illustrations absolument inintéressantes. »
Le hasard — encore lui, mais est-ce bien du hasard ? — l’emmène à l’hôpital de Blois. Reportage. Révélation. « Je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait, c’était le reportage. » Depuis, elle n’a plus cessé. « J’ai commencé à travailler pour des journaux gratuits, puis je me suis intéressée au mouvement, à la danse contemporaine, au cirque. J’ai suivi un cirque pendant trois ans. Ils tournaient entre la Bretagne, l’Autriche… J’y allais, je revenais. Jusqu’à la fin de leur tournée. » Ce sera Carnet de cirque, publié chez Gallimard. « Ma chance. Ça m’a donné une caution pour la suite. »

Entre l’école et les voyages, entre les corps qui apprennent et ceux qui dansent, Cathy Beauvallet maintient le fil tendu. Reportage, toujours. Reportage dessiné. Elle refuse le terme d’illustration. « L’illustration, c’est un exercice de contrainte totale, dont je n’ai pas envie. »
Elle dessine aux Assises. Elle observe, discrète, presque invisible. « Noëlle Herrenschmidt, qui est pour moi une grande référence, m’avait dit : ‘Tu sais, il faut vraiment se faire discrète.’ Quand on est aux assises, il faut s’habiller en noir, disparaître. On est juste un œil. »
Être un œil, mais pas une caméra. Là est toute la nuance. Le dessin capte ce que la photo rate : la lenteur, le tremblement, l’attente, les plis du réel. « Il y a un petit décalage. Mais je fais toujours tout en direct. J’assume. Quand je dessine de la danse, la question, c’est : comment raconter quelqu’un qui danse, alors que le trait est plus lent que le mouvement ? Parfois, le dessin devient presque abstrait, c’est le mouvement plus que l’anatomie que je raconte. »

Avec la gravure, elle explore une autre vitesse. « Je travaille avec une technique qui était celle de Rembrandt, qui permet d’avoir le même dynamisme que dans les croquis. Mais en monotype. Je joue avec la peinture. La matière ressort par le vernis et l’aquatinte. »
Puis vient l’envie d’animation. Faire danser, littéralement. Pas seulement fixer l’instant, mais entrer dans le mouvement. Un premier film. Puis un second, plus expérimental. Puis ce projet colossal : 634 dessins, réalisés entre mai et novembre, eau-forte, aquatinte, peinture, gravure. « Je jouais gros. Je ne savais pas si ça allait marcher. Une semaine avant l’expo à Bourges, j’ai donné les dessins à Mano, le motion designer, et il me l’a monté. Par chance, ça a marché. » Pour cette aventure sous-marine, elle s’est inspirée des gestes de Julie Gautier, danseuse aquatique. « Elle est vraiment une star dans la danse sous l’eau. J’ai observé ses mouvements. »

L’eau. Toujours l’eau. Une passion. « Je vais trois ou quatre fois par semaine à la piscine. J’ai été élevée autour de l’eau. À Onzain, mes parents avaient décidé que tous les enfants du village devaient apprendre à nager. Après, j’ai fait du kayak, puis de l’aviron. C’est essentiel pour moi. »
Essentiel, et matrice. Chaque boîte qu’elle compose (voir ci-dessus) est une capsule de mémoire, un écrin pour les couleurs des fleuves et des mers. « Le Var, le Tarn, les Antilles… Chaque eau a sa couleur. C’est dans ma mémoire. Et je ne me trompe pas. Le Tarn, je l’ai suffisamment descendu pour savoir que la terre y est proche. Les Antilles, c’est ce bleu clair… » L’eau est immersion. L’eau est mise en danger. L’eau est mouvement. Et Cathy Beauvallet, toujours, choisit d’ouvrir les yeux sous l’eau.
Elle aurait pu s’en tenir là. Mais les reportages continuent. La prison de Villepinte. Un projet d’écriture de chansons avec les détenus. Juste avant que le gouvernement ne coupe les budgets culturels en milieu carcéral. « On est passés ric-rac. On a pu aller au bout. Maintenant, je monte un petit document, qui sera donné aux prisonniers. Pour qu’il reste une trace. » Trace, témoignage, empreinte. Toujours cette idée de la mémoire, du moment qui ne passe pas tout à fait. Elle le dit sans détour : « Quand j’ai écrit Vivante, je l’ai dit au début du livre : j’ai eu un cancer du sein. J’ai eu beaucoup de morts dans ma vie. Et puis la maladie, ça te ramène à ta propre finitude. Moi, je pensais que j’étais immortelle… mais non. »

Il y a de la militance chez Cathy Beauvallet. Mais une militance sans drapeau, sans slogan. Elle participera à « La semaine de la diversité » qui se déroulera à Saint-Aignan du 23 au 28 juin 2025 sur les luttes LGBTI+. L’écologie aussi, bien sûr.
Dans ses carnets, dans ses gravures, dans ses films, dans ses boîtes, une seule chose revient : la vie. Celle qu’on choisit, qu’on invente, qu’on dessine pour ne pas sombrer. « J’ai envie de me renouveler. J’ai épuisé des techniques. J’ai épuisé certaines expériences. Alors j’ouvre des portes. J’ouvre les yeux. Et je plonge. »
Pour en savoir plus : cathybeauvallet.com