Isabel da Rocha dévoile « Les tabous voyageurs »
Isabel da Rocha, artiste et auteure installée dans la vallée de la Cisse, a récemment publié son premier roman, Les tabous voyageurs. Elle sera en rencontre-dédicace samedi 11 janvier 2025, a partir de 15h, à la librairie Labbé. Ce projet littéraire est l’aboutissement d’un parcours riche et atypique, mêlant art, édition et engagement associatif. Entre confidences sur sa vie professionnelle et exploration de son processus créatif, Isabel da Rocha revient sur ses multiples vies, marquées par une quête constante de création et de partage.
Une artiste aux multiples vies
« Je dis souvent que je suis comme les chats : j’ai neuf vies. J’en suis à la septième », confie Isabel. Dès l’âge de 11 ans, elle fréquente l’École d’arts Maurice-Quentin de La Tour, en Picardie, où elle découvre l’univers des Beaux-Arts. Pourtant, son ambition première n’était pas de devenir artiste, mais médecin. Elle ne suit pas cette voie, et s’oriente alors vers les Beaux-Arts d’Amiens avant d’intégrer l’école Duperré à Paris, où elle se spécialise en stylisme.
« Mon père travaillait dans la mode, alors cela m’a influencée, même si ce n’était pas ma vocation première. » Styliste chez Givenchy, elle se réoriente rapidement et devient la fondatrice du service de visual merchandising aux Galeries Lafayette. Ce poste novateur consistait à créer une identité visuelle forte pour les produits en magasin. Mais après cinq ans, elle quitte cette fonction : « Même si je savais très bien faire, ça m’ennuyait. » En 1986, Isabel rejoint Christian Dior en tant que décoratrice et scénographe. « Là, j’ai eu carte blanche, et j’ai adoré ça. Dès qu’il y avait de la peinture à faire dans une vitrine, c’était moi. » En parallèle, elle continue à dessiner et à peindre.
Un engagement constant pour les femmes
Tout au long de sa vie, Isabel da Rocha a mené un combat acharné pour les droits des femmes, à la fois dans sa carrière et dans son engagement personnel. « Je suis d’une génération où il fallait se battre pour s’imposer, surtout dans des milieux dominés par les hommes. Dans les années 70 et 80, pour une femme, se faire une place dans des secteurs comme la mode, la scénographie ou l’édition était extrêmement compliqué », explique-t-elle. « Pour moi, la nature et les femmes sont les deux grands sujets de ma vie, qu’il s’agisse de mon art ou de mes engagements. J’ai grandi dans un environnement où on me disait souvent « Non, ce n’est pas pour toi ». Mais moi, je répondais toujours « Si, c’est pour moi ». »
L’édition et la création du festival « Démocratiquement Croqués »
En 2002, alors qu’elle a sa galerie à Paris, Isabel se lance dans l’édition en fondant sa propre maison pour soutenir le festival qu’elle venait de créer, Démocratiquement Croqués. « C’était le premier festival de dessin de presse exclusivement politique en France. Je ne savais pas que c’était une première, je l’ai appris le soir du vernissage quand les dessinateurs m’ont remerciée. » Elle raconte comment l’idée lui est venue, presque par hasard : « Pendant les présidentielles de 2002, on parlait d’un taux d’abstention record. Cela m’a révoltée. À 4 heures du matin, je me suis réveillée en me disant : « Ça y est, je sais, je vais monter une exposition de dessin de presse politique. » » Le projet voit le jour en trois semaines. « Je ne connaissais aucun dessinateur. J’ai contacté Cabu par fax, et il m’a répondu tout de suite. Ensuite, Morchoisne m’a aussi répondu rapidement. Tout s’est fait comme ça. » Le festival dure trois mois et attire une attention notable. Pourtant, Isabel doit mettre fin à l’aventure en 2006 : « L’édition traversait une période de crise après 2001. Les grandes maisons d’édition se restructuraient, et pour une petite structure comme la mienne, ce n’était pas tenable. »
Nature et engagement associatif
En 2009, Isabel quitte Paris et s’installe à Molineuf, près de Blois, en quête de nature. Elle y trouve un lieu d’inspiration et de sérénité : « La vallée de la Cisse est l’endroit où je me suis vraiment sentie chez moi. » Son déménagement n’altère pas son engagement associatif fort. En 2016, elle crée ArteCisse, une association dédiée à la promotion de l’art et de la culture locale, et le Festival H²O.
Le processus créatif : entre écriture et dessin
Isabel da Rocha est une artiste aux multiples facettes. Dessin, peinture, scénographie : ses disciplines se croisent et s’alimentent mutuellement. Elle a longtemps gardé sur elle un carnet, véritable extension de sa créativité. « J’y notais des idées, des croquis, des bribes de conversations. Parfois, je dessinais dans des cafés ou lors de concerts. » Certains de ces croquis et notes ont nourri son roman. Cependant, elle précise que l’écriture reste distincte du dessin : « Je n’ai jamais pensé rendre mon roman graphique. »
Les origines de Les tabous voyageurs
Le roman, publié en 2024, est le fruit de près de neuf ans de travail. « J’ai commencé à l’écrire en 2009, mais comme je peignais et m’occupais d’ArteCisse, je l’ai laissé de côté pendant longtemps. » Ce projet a d’abord vu le jour sous forme de nouvelles. « J’écrivais déjà des textes quand j’étais à Paris, et beaucoup d’amis me disaient : « Tu devrais te lancer dans un roman. » »
Les tabous voyageurs est une fiction, mais elle puise dans des expériences réelles. « Les lieux – Paris, New York, la vallée de la Cisse – sont des endroits que j’aime. Mais les personnages sont purement fictifs. » Le roman aborde des thèmes forts, tels que les mystères familiaux, l’emprise, l’expression artistique, la liberté, mais aussi les invisibles ou la précarité. « Je voulais mettre en lumière ces personnes que l’on ne regarde pas. J’ai rencontré des gens issus de milieux aisés qui se sont retrouvés à la rue du jour au lendemain. »
Un art de l’émotion et du partage
Pour Isabel, toute création naît d’une émotion. « Qu’il s’agisse d’un dessin, d’un texte ou d’un décor, tout part d’une sensation. » Cette sensibilité traverse l’ensemble de son travail, que ce soit dans l’art ou dans la littérature. Elle conclut : « Tout ce que je fais, c’est pour le partage. L’écriture, comme tout art, permet de créer des liens, de transmettre des émotions. Et c’est ça, pour moi, le plus important. »