Vodoun Paillettes, la création d’Aurore-Caroline Marty bientôt à Blois

L’art ne cherche pas à plaire, il convoque. Il n’apaise pas, il trouble. La performance imaginée par Aurore-Caroline Marty, présentée à Blois, dans le cadre de la Nuit européenne des musées, le vendredi 16 mai 2025 (19h) à la Fondation du doute (entrée gratuite sur réservation ici) dans le prolongement de l’exposition collective Mascara·des !, relève précisément de cette exigence : faire surgir le désordre, y mettre des paillettes, inventer un monde. « Ce n’est pas pour moi forcément un spectacle », précise-t-elle d’emblée. « On est vraiment dans un concert-performance, une sorte de cérémonie, un rituel plutôt festif et en même temps très sombre. »
C’est un projet dont les racines plongent dans le silence du confinement. Tandis que la planète s’arrêtait, Aurore-Caroline Marty se mettait à fabriquer des instruments de musique en polystyrène, « des instruments à cordes mais complètement silencieux, parce qu’on est vraiment dans l’ordre du décor », raconte-t-elle. Le mutisme forcé des temps pandémiques appelait déjà, en creux, la pulsation. « Ça m’a donné l’envie de réaliser une pièce qui pourrait justement s’activer, retentir, avec une mélodie, une musicalité. » À cette envie première succède bientôt un autre désir : « faire plus une sorte d’orchestre à percussions ».

Pour nourrir cette aspiration, l’artiste part trois mois au Bénin, « pour aller aux sources de la percussion, apprendre l’artisanat, jouer de la percussion, apprendre à les fabriquer, etc. » De cette immersion, elle revient avec plus qu’un savoir-faire : un imaginaire ouvert, démultiplié, prêt à accueillir la métamorphose. Car ce qui aurait pu demeurer folklore ou ethnographie s’efface très vite au profit d’une fabrique plus singulière. Elle commence à « créer des costumes, à créer tout un univers ». Le projet change alors de nature. « Mon idée de départ, autour des percussions, a évolué vers des instruments encore plus contemporains, dans le sens où chaque sculpture que j’ai fabriquée devient un instrument, mais qui est relié électroniquement au chef d’orchestre, au musicien, au compositeur. » Il s’agit de sculptures-objets, non de simples accessoires. Chacune est conçue pour s’activer, s’incarner dans le geste. « Ce sont des instruments que nous, les danseurs, allons activer. Quand je dis « nous, les danseurs », c’est parce que moi, je fais partie de la performance en tant que danseuse aussi. » Ils sont donc trois danseurs, un chef d’orchestre. À la tête de cet orchestre pas comme les autres : Gabriel Afathi, compositeur dijonnais, ami de longue date de l’artiste.
L’œuvre d’une trentaine de minutes porte un titre : « Vodoun Paillettes ». Le mot « Vodoun » vient du patois de « vaudou », signifiant littéralement « esprit » ou « divinité ». « Et « paillettes »… parce que les paillettes, je crois que c’est un truc qui me définit bien. C’est une forme assez récurrente dans mon travail », affirme Aurore-Caroline Marty. Ce choix, loin d’être ornemental, traduit un rapport ambivalent au spectaculaire. « Déjà, ça invite au spectacle, à la rêverie, etc. Puis j’aime ce côté séducteur, brillant, qui, en réalité, s’avère être extrêmement cheap — c’est juste du pétrole. Et j’aime bien cette poudre aux yeux, justement. » La formule est lâchée : poudre aux yeux. Mais la poudre explose sur des corps en mouvement, électrisés par les sons, dans un espace où tout reflète, où tout attire, où tout peut aussi trahir. « Ça peut être du sequin, ça peut être de la paillette, ça peut être du miroir, du brillant… Qui reflète tout à fait, qui étincelle, qui attire, qui séduit. »
La première version de cette performance a vu le jour il y a un an et demi au Consortium Museum de Dijon. « J’ai eu le sentiment de créer une sorte d’opéra à ce moment-là. » Mais rien n’est figé. « L’idée, ce n’était pas juste de faire un one-shot. J’ai eu vraiment l’envie de faire évoluer ce projet. » C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’invitation à Blois : « Par chance, la Fondation m’a invitée pour une nouvelle vision, une nouvelle version de Vodoun Paillettes. Et moi, j’ai dit : oui, mais pas de copier-coller. L’idée, c’est de la faire évoluer, de la pousser. »
Une évolution nourrie de nouveaux dialogues, de nouvelles matières. Pour les costumes, elle a bénéficié d’une résidence Excellence des métiers d’art. « J’ai vraiment pu dessiner mes costumes et les faire réaliser avec des élèves, parce que moi et la couture, ce n’est pas trop mon domaine… Je ne suis pas pro. » Une collaboration fertile, fidèle à l’esprit d’hybridation qui irrigue tout le projet. Sculpture, musique, danse, théâtre, lumière…
Il y a aussi les voyages. Le Bénin, certes, mais pas seulement. « J’ai aussi fait, l’année dernière, une résidence de trois mois au Brésil, où il y a également quelque chose d’important autour du vaudou, tout comme au Bénin. Et c’est comme ça que je vais me nourrir, faire évoluer ma pensée, mixer ce que je vois, mes visions, mes fantasmes, pour créer de nouvelles formes. »
D’où vient alors cette pulsion, ce besoin d’agencer polystyrène et tambours, percussions et bois, vaudou et paillettes ? Comment bascule-t-on de la sculpture muette vers le rituel sonore, de l’objet figé vers la cérémonie vivante ? La réponse de l’artiste est sans appel : « Je ne sais pas. C’est mon esprit un peu zinzin qui a envie de voir des choses exister. »
Peut-être est-ce là le cœur battant de Vodoun Paillettes : un monde parallèle, un univers fantasmé, que l’artiste s’acharne à faire advenir. « Je crois que c’est une suite d’idées, d’envies, le désir de faire exister des fantasmes d’un monde un peu parallèle, imaginaire, que j’ai envie d’accoucher. »
Accoucher d’un monde. Avec ses paillettes discrètes, ses percussions reliées, ses danseurs possédés par la musique, ses éclats de miroir, ses reflets, ses séductions fragiles. Rien n’est laissé au hasard, tout est écrit, pensé, articulé. Et pourtant, de cette maîtrise rigoureuse jaillit autre chose : un vertige, une transe, un appel.
On n’assiste pas à une simple performance : on entre dans une mythologie neuve. Une religion d’aujourd’hui. Où les dieux sont de bois, les offrandes de polystyrène, les prêtres danseurs, et les fidèles — nous, les spectateurs — pris à témoin, complices d’un opéra où la musique fait trembler les sculptures, où la lumière caresse les paillettes. Et où, sous le masque, derrière le rituel, il ne reste qu’une question : de quoi avons-nous besoin pour croire ? Rendez-vous le 16 mai…