La « Bonne Crème » de Saint-Gervais : un patrimoine disparu, une mémoire vivante

Il fut un temps où le nom d’un village tout entier évoquait la douceur et la réputation d’une crème épaisse, onctueuse, prisée bien au-delà des frontières du Blaisois. Ce temps appartient désormais à l’histoire, mais la mémoire de la fameuse Bonne Crème de Saint-Gervais continue de traverser les siècles, attachée à un territoire, à un savoir-faire, et à une identité locale.
Un village qui devint « Bonne‑Crême »
Durant la Révolution française, la commune de Saint-Gervais-la-Forêt, située au sud de Blois, fut brièvement renommée Bonne‑Crême, une exception toponymique remarquable dans le contexte des changements de noms révolutionnaires. Le décret du 25 vendémiaire an II (16 octobre 1793) institua ce nouveau nom, en hommage explicite à la célébrité d’un produit local : la crème fabriquée dans les caves fraîches du village. Cette appellation resta en usage jusqu’au 20 messidor an XII (8 juillet 1804), soit près de onze ans, avant de redevenir « religieuse » sous la Restauration.
Une réputation attestée dès l’Ancien Régime
La renommée de la crème de Saint-Gervais remonte bien avant la Révolution. Dès le XVIIe siècle, le village est mentionné pour ses productions laitières, issues d’un environnement favorable : pâturages riches irrigués par le Cosson, caves profondes creusées dans le calcaire, pratiques agricoles familiales où chaque foyer possédait sa propre vache. Selon un article de Radio France, « on vivait de la vigne et des vaches à Saint-Gervais-la-Forêt, et chaque maison possédait sa cave, fraîche, idéale pour garder la crème. »
Le souvenir d’une crème réputée pour sa douceur et sa consistance persiste également dans les textes anciens. Si l’attribution à Jean Bernier, auteur de l’Histoire de Blois (1682), et au géographe François Ranchin demeure difficile à documenter directement faute de sources numérisées accessibles, leur nom est évoqué dans les bulletins des sociétés savantes locales comme témoins d’une tradition orale attestant de la singularité de la production laitière du site.
L’Exposition universelle de Paris en 1900 fut l’un des temps forts de l’histoire récente de la Bonne Crème. La crémière Madame Augustine Dequoy, dernière détentrice du savoir-faire traditionnel, aurait obtenu le second prix pour la qualité de sa crème, conditionnée en petits pots de grès, couverts d’une feuille de platane.
Une mémoire inscrite dans le paysage
Bien que la crème ait aujourd’hui disparu des pratiques alimentaires locales, son souvenir reste visible dans l’espace public de Saint-Gervais-la-Forêt. La municipalité a valorisé cette histoire par la création d’un parcours patrimonial, ponctué d’un panneau historique évoquant la Bonne Crème, situé en face de la mairie. On y trouve également une laitière stylisée reproduite sur un visuel patrimonial, accessible à l’entrée du village. Ce parcours mémoriel est associé à la candidature au label Unesco pour le patrimoine ligérien.

Le blason de la commune témoigne aussi de cette histoire. Il associe plusieurs éléments emblématiques : une aubépine, rappelant les seigneurs de l’Aubépin, une serpe, outil des vignerons, et des voûtes stylisées, symboles des caves où l’on conservait la crème. Le bleu du champ évoque le Cosson, rivière nourricière, tandis que le rouge rappelle la forêt de Russy.
La qualité unique de la crème de Saint-Gervais semble avoir tenu autant aux vaches qu’à leur environnement. Selon la tradition locale, même en transportant le lait des mêmes bêtes à Paris, la texture et le goût de la crème n’étaient plus les mêmes. La fraîcheur constante des caves, l’herbe humide des pâtures et le savoir-faire domestique en faisaient un produit inimitable.