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« Replacer l’humain au centre » : témoignages sur l’accueil des migrants dans le Loir-et-Cher

À l’occasion de la Journée internationale des migrants, une table ronde organisée à l’Espace Jorge Semprún à Blois a réuni des acteurs engagés dans l’accueil des demandeurs d’asile et des déboutés du droit d’asile. Initiée par la Ligue des Droits de l’Homme et le Collectif de soutien aux sans-papiers et demandeurs d’asile du Loir-et-Cher, cette rencontre a permis de faire entendre les voix des bénévoles, des associations et des migrants eux-mêmes. Parmi les intervenants, Dominique Bailleul, président de l’association Accueil Solidaire des Migrants en Val-de-Cher, Michel Augé, membre actif de l’ASMVC, et Zainabou, demandeuse d’asile mauritanienne, ont témoigné des réalités humaines et administratives qui entourent leur engagement ou leur parcours.

Une mobilisation née d’une crise internationale

Dominique Bailleul a rappelé les origines de l’association Accueil Solidaire des Migrants en Val-de-Cher, créée en fin 2021 dans le contexte de la chute de Kaboul : « L’association est née pour répondre aux besoins des jeunes Afghans qui arrivaient traumatisés après des parcours chaotiques. Leur accueil ne pouvait se limiter à un logement à minima. Il fallait replacer l’humain au centre. » Avec un siège à Saint-Aignan et des logements répartis sur les communes de Selles, Noyers, Saint-Aignan et Montrichard, l’association intervient dans la vallée du Cher. « Les structures existantes, comme le CADA (Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile), étaient sous-dimensionnées. Nous avons dû rapidement nous organiser pour combler les lacunes, jusqu’à mobiliser les autorités pour que le CADA fonctionne correctement », explique-t-il.

Accueil Solidaire des Migrants en Val-de-Cher
Dominique Bailleul et Michel Augé

Des initiatives concrètes pour un accueil digne

Une fois le CADA renforcé, l’association a recentré ses efforts sur des actions visant à humaniser l’accueil via des cours de français langue étrangère (FLE), pour surmonter la barrière linguistique, et des moments conviviaux, comme des échanges culinaires ou des visites, pour créer des ponts entre les cultures. Ces initiatives répondent à un besoin fondamental : « Nous ne pouvions pas laisser les demandeurs d’asile isolés. Il fallait leur donner les moyens de comprendre et de s’adapter à leur nouvel environnement », souligne Dominique.

L’expérience humaine des exilés

Zainabou, demandeuse d’asile, a partagé son parcours et son quotidien : « Je vis ici avec trois autres jeunes femmes venues d’Afrique. Nous apprenons à cohabiter malgré nos différences de langues, de cultures et de religions. Mais nos parcours sont marqués par des blessures profondes. Certaines ont traversé six ou sept pays, parfois enceintes, parfois victimes d’esclavage ou de violences. » Elle évoque également les jugements qu’elle ressent dans la société : « En plus de ces traumatismes, il faut affronter des regards pesants et des remarques blessantes. Heureusement, les bénévoles nous soutiennent et nous permettent d’espérer un avenir meilleur. »

Des déboutés confrontés à un vide juridique

Pour les déboutés du droit d’asile, la situation est encore plus complexe. Michel Augé explique : « Nous avons mis en place un système d’hébergement tournant. Chaque foyer accueille une personne pendant 15 jours ou plus. Cela leur permet de réfléchir et de trouver des solutions. Mais le cadre légal reste flou, et beaucoup préfèrent partir par peur ou désespoir. » Michel insiste sur la nécessité de déconstruire les stéréotypes : « On parle souvent de migrants, mais ce sont des exilés. Ils n’ont pas choisi de partir. Cette distinction est essentielle. »

L’intégration par le travail et la langue

L’accompagnement ne s’arrête pas aux premiers mois d’accueil. Dominique Bailleul raconte : « Certains demandeurs d’asile ont obtenu le statut de bénéficiaire de la protection internationale (BPI). Grâce à des opportunités locales, comme au zoo de Beauval ou avec l’association Inter’val, ils trouvent un emploi et s’intègrent progressivement. » Des réussites individuelles témoignent de l’efficacité de cet accompagnement : « Un jeune a intégré l’université de Tours pour perfectionner son français, et trois autres ont obtenu leur permis de conduire », précise Dominique.

Un discours d’humanité face aux défis

Michel Augé a conclu en rappelant l’importance de l’humanité dans ce travail : « Les exilés nous humanisent. Ils nous obligent à réfléchir sur notre propre condition. En travaillant avec eux, nous redécouvrons ce que signifie être humain. » Zainabou partage cette réflexion : « Grâce aux associations, je réapprends à vivre et à espérer. Ces bénévoles ne redonnent pas seulement de l’aide matérielle, ils nous permettent de retrouver notre dignité. »

Par des actions simples mais significatives, comme l’installation de tirelires dans les commerces, les bénévoles cherchent aussi à normaliser l’idée de soutenir les étrangers : « Ces tirelires rappellent qu’aider est naturel. Elles montrent qu’il existe des gens qui soutiennent la présence d’exilés parmi nous », explique Michel.

Les actions menées dans le Loir-et-Cher montrent qu’il est possible de concilier solidarité, humanité et intégration. Pourtant, les défis restent nombreux, notamment sur le plan administratif. Michel plaide pour la création d’un pôle ou pool dédié à l’accompagnement des démarches administratives : « Si nous n’aidons pas, beaucoup de dossiers restent bloqués. Les employeurs, comme les exilés, ont besoin d’un soutien pour simplifier les procédures. »

Dominique Bailleul conclut sur la nécessité d’une mobilisation collective : « Nous ne faisons pas seulement preuve de solidarité. Nous construisons des ponts entre les cultures et renforçons la cohésion sociale. » Dans un contexte où les tensions politiques sur l’immigration restent vives, ces acteurs locaux montrent qu’un accueil digne et respectueux est possible, à condition de replacer l’humain au cœur de chaque action. Michel Augé le résume ainsi : « Les exilés ne nous demandent pas seulement de l’aide. Ils nous apprennent à redevenir humains. »


Le témoignage de Zainabou, demandeuse d’asile

À l’Institut du Travail Social (ITS) de Tours, il y a environ 150 étudiants en première année. Ce sont des futurs travailleurs sociaux en formation, prêts à intervenir dans divers domaines. Ce qui m’a le plus étonnée, c’est qu’ils ignoraient qu’il existait des demandeurs d’asile en France. Pour eux, nous étions tous simplement des migrants ou des étrangers. Ils ne savaient pas qu’il y avait des personnes obligées de quitter leur famille, leur emploi, tout ce qu’elles avaient construit, pour venir se réfugier ici. Ils ne connaissaient pas cette réalité.

Cela m’a fait réfléchir à la manière dont nous, les demandeurs d’asile, sommes perçus par la société dans certains milieux. Il manque clairement une sensibilisation, une vulgarisation des réalités migratoires. Tout le monde n’est pas informé de manière égale, et cela explique pourquoi, en tant que demandeurs d’asile, nous avançons souvent avec prudence, en essayant de ne pas nous faire remarquer.

Concernant les déboutés – un terme qu’on me conseille souvent d’éviter – c’est une triste réalité à laquelle beaucoup de nos frères et sœurs sont confrontés. À Saint-Aignan, des Africains cohabitent avec des Afghans qui, entre-temps, ont obtenu leur titre de séjour, se sont intégrés, travaillent et participent pleinement à la société française. On peut dire qu’ils sont devenus de véritables Français.

Moi-même, je partage un logement avec trois autres jeunes femmes : une Sénégalaise, une Sierra-Léonaise et une Ivoirienne. C’est un brassage culturel incroyable. On dit souvent que « tous les Africains se ressemblent », mais c’est faux. Nous avons des langues, des cultures, des religions différentes : certaines sont musulmanes, d’autres chrétiennes, d’autres athées. Malgré nos différences, nous apprenons à vivre ensemble, à nous découvrir et à nous entraider. Nous sommes quatre dans un appartement. Juste à côté, il y a quatre autres femmes, toutes de nationalités différentes. Cela fait huit jeunes femmes venues de toute l’Afrique. Ce brassage est enrichissant, mais aussi un défi quotidien.

Cependant, nous faisons face à de nombreuses difficultés. Les regards, les remarques blessantes, le poids de l’administration… Heureusement, les associations sont là. À Saint-Aignan, l’ASMVC et les hébergeurs bénévoles jouent un rôle essentiel. Ils nous accompagnent et facilitent notre intégration dans la société française. Comme Michel l’a dit, ils nous rendent plus humains. Mais pour moi, c’est un échange. Nous venons avec nos blessures et nos histoires.

Certains, comme moi, sont venus par avion. D’autres ont traversé la mer, marché pendant des mois ou même vécu des expériences traumatisantes comme l’esclavage, les viols ou les tortures. Ces voyages laissent des traces profondes. Parfois, vous voyez une personne qui parle, mais son esprit est ailleurs, figé dans des souvenirs douloureux. Et malgré cela, elle doit encore trouver la force de s’intégrer dans une nouvelle société.

Je me souviens de ma première visite à une banque alimentaire. J’ai pleuré ce jour-là. J’ai aussi pleuré la semaine suivante. C’était un choc pour moi. Aujourd’hui, je dépends de l’aide des bénévoles. Même pour des besoins simples comme une couette, il faut demander aux associations. C’est une situation difficile à accepter.

Récemment, nous avons participé à un atelier artistique intitulé « MUSE », une thérapie par l’art. Nous devions tracer sur une carte du monde nos parcours pour arriver en France. Les chemins étaient marqués par des flèches passant par la mer, le désert, de nombreux pays. Certaines jeunes filles avaient traversé six ou sept pays. Imaginez une fille de 25 ans enceinte traversant la mer pour se réfugier ici. Ces histoires montrent à quel point nous avons besoin de compréhension et de soutien.

Malgré tout, je crois en un avenir meilleur. Les associations et les bénévoles nous permettent de reconstruire nos vies. Grâce à leur soutien, j’ai tourné une page. Certes, mes blessures ne sont pas totalement guéries, mais j’avance. Il y a quelques mois encore, je ne quittais pas ma chambre. Aujourd’hui, je parle devant vous (larmes). Ces associations ne nous redonnent pas seulement notre dignité, elles nous redonnent aussi l’humanité que nous pensions avoir perdue.

Je tiens à remercier vivement toutes les associations, les bénévoles, les juristes, les psychologues et toutes les personnes qui travaillent dans ce domaine. Leur aide est essentielle. Sans eux, les demandeurs d’asile ne pourraient pas s’en sortir. C’est grâce à eux que nous pouvons espérer et nous reconstruire. Merci.

L'amour qui s'éprouve par Marc Alvarez

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