Urgence à Blois : Pas d’enfant à la rue tire la sonnette d’alarme

Par un lundi de fin mars à la Maison des syndicats de Blois, l’indignation était vive et la parole précise. Face à une situation jugée intenable, l’association “Pas d’enfant à la rue” réunissait la presse pour une conférence d’urgence. Objectif : alerter, une nouvelle fois, sur la mise à la rue imminente de dizaines de personnes, dont des enfants, dénoncer l’inaction des autorités compétentes et proposer des solutions concrètes, locales, applicables dès demain. Julien Colin, Stéphane Ricordeau, Didier Richefeux, Anne-Marie González, Annie Conti, Odile Garnier, Laure Guillaume, au nom des membres engagés de ce réseau citoyen ont mis en lumière les défaillances institutionnelles et les ressources de solidarité sur lesquelles repose aujourd’hui l’hébergement de 70 personnes et bientôt 100) dans l’agglomération blésoise — sans financement public.
« Pas d’enfant à la rue, c’est d’abord le rappel d’un principe simple, fondé sur le droit : aucun enfant ne devrait dormir dehors en France, lance Julien Collin en préambule. Or à Blois, comme ailleurs, ce principe n’est plus respecté. » L’association, soutenue par un tissu d’organisations partenaires — la Ligue des droits de l’Homme, la CIMADE, le Planning familial, le collectif de soutien aux sans-papiers —, gère actuellement l’hébergement de 70 personnes, dont de nombreux enfants. Elle s’appuie pour cela sur sept logements mis à disposition par la ville de Blois, Vineuil, Saint-Gervais-la-Forêt et le CIAS du Blaisois, ainsi qu’une salle municipale ouverte de manière provisoire depuis le 11 février.
Chaque jour, cette salle voit défiler des familles. Le flux est constant, et le dispositif repose sur une stabilité plus que précaire. Stéphane Ricordeau souligne qu’aucun euro public ne finance à ce jour les mises à l’abri assurées par l’association, rendues possibles uniquement par la mobilisation locale. « On tient, mais jusqu’à quand ? Fin avril, c’est le bout du bout. »
Car la situation s’est aggravée. Plusieurs familles, hébergées jusqu’ici dans des structures relevant du Conseil départemental, sont menacées de mise à la rue immédiate. Une mère de quatre enfants se retrouve déjà dehors, avec des enfants scolarisés. Une autre famille, composée de six enfants, devra quitter son logement dès lundi prochain. Selon les recoupements de terrain réalisés par les bénévoles, ce sont près de 30 personnes supplémentaires qui seront privées de toute solution d’ici le lundi suivant. « On va donc se retrouver avec 100 personnes sur les bras, et aucune solution institutionnelle », constate Julien Colin. « Il va falloir que les autorités se réveillent. »

Les demandes de rendez-vous adressées à la préfecture, à la SLD, au Conseil départemental, à l’OFII, restent lettre morte, ou se voient renvoyées à des échéances incompatibles avec l’urgence. Le préfet aurait promis une rencontre le 7 mai 2025. Trop tard, juge l’association, qui prévoit dès maintenant un point de bascule. D’autant que certaines décisions administratives aggravent la précarité des familles. Un enfant est né la semaine précédente dans la Salle Jean-Cros, dans un contexte d’extrême vulnérabilité. Sa mère, déjà isolée avec un autre enfant, se voit proposer une semaine d’hôtel par le 115. Passé ce délai, aucune garantie. Une autre femme, enceinte, sur le point d’accoucher, attend un rendez-vous à l’OFII prévu le 10 avril. Pour elle non plus, aucune solution d’hébergement pérenne.
Pas d’enfant à la rue rappelle que ces situations se déroulent en complète infraction avec la législation. Le Code de l’action sociale et des familles impose une inconditionnalité de l’hébergement d’urgence, et la loi ELAN de 2018 permet à l’État de mettre à disposition des logements vacants. « Cet outil existe. Mais ici, à Blois, le préfet refuse de s’en saisir. »
L’exemple de Tours, tout proche, montre pourtant que des solutions existent. Dans les anciens locaux du Tours FC, 90 personnes sont hébergées pour une durée d’un an, grâce à une convention entre la Ville, la métropole, la préfecture et une association. Le bâtiment appartient à la ville, les charges sont prises en charge par les collectivités, l’accompagnement social est financé par l’État. À Blois, rien de comparable. Pourtant, des logements vacants ont été identifiés : logements de fonction dans les collèges, lycées, établissements publics. Certains sont inhabitables sans travaux, d’autres immédiatement mobilisables. « Il suffirait que le préfet appelle le Conseil départemental et demande la liste des logements de fonction vacants. On pourrait les occuper dans un cadre légal, en lien avec l’Éducation nationale et les équipes pédagogiques. »
Stéphane Ricordeau insiste sur un point fondamental : tous les enfants en question sont scolarisés. À Blois, certaines écoles accueillent des enfants de moins de trois ans, avec le concours des directeurs, de la Ville et de l’inspection académique. C’est, dit-il, un des seuls éléments stables du parcours de ces familles. « Et ça fonctionne, sans qu’il soit besoin de téléphoner trois fois. L’Éducation nationale, dans ce département, tient son rôle. »
Mais les institutions sociales ne suivent pas. Le SIAO et l’ASLD chercheraient, selon l’association, à obtenir la liste des personnes hébergées afin de les exclure du dispositif du 115. Pas d’enfant à la rue parle d’une stratégie cynique, où la prise en charge bénévole sert de prétexte au désengagement de l’État. Des familles aux droits complexes se retrouvent ainsi exclues du système. Des décisions judiciaires enjoignent l’OFII à héberger des personnes, mais les décisions restent inappliquées. Même les injonctions venues de la cour d’appel de Versailles, comme dans le cas d’une mère concernée depuis octobre 2024, ne reçoivent aucune exécution.
L’association rejette avec force les discours évoquant un « appel d’air ». Aucune étude ne démontre un afflux massif, ni à Blois, ni dans la région. Les bénévoles dénoncent la rhétorique anxiogène et les fantasmes véhiculés par certains élus. « On entend encore parler de billets de train donnés aux mamans pour venir à Blois. Mais il n’y a pas d’envahissement, pas de pression migratoire. Il faut être sérieux », rage Didier Richefeux.
Derrière la stigmatisation, ce sont des vies qui basculent. Un élève accueilli dans un collège privé de Blois grâce à un élan de solidarité risque l’expulsion, alors même qu’il est brillant et intégré. Sa mère, ancienne principale adjointe dans son pays, son père, ancien avocat, doivent présenter leur passeport deux à trois fois par semaine au commissariat. La communauté éducative, en apprenant leur situation, tombe des nues.
Pour les bénévoles, les limites sont atteintes. « On ne pourra pas absorber 30 personnes de plus. » Des actions sont envisagées. Les détails ne sont pas encore publics. Mais un message est clair : l’association refuse d’assumer seule ce qui relève de la responsabilité de l’État. « On n’a pas vocation à se substituer aux pouvoirs publics. On ne demande pas de subventions. On demande à être inclus dans un vrai travail de co-construction. » Rendez-vous est pris pour le 7 mai avec le préfet. Mais à cette date, des familles (très peu sous OQTF), des enfants auront peut-être déjà dormi dehors. Et cela ne devrait pas être possible. D’autant plus qu’il n’y a pas de logique économique dans cette stratégie de l’Etat. « C’est une gabegie ! Nos solutions représentent une source d’économies gigantesques. »