Yvonne Rudellat, une femme dans l’ombre de l’histoire : de Londres à Blois, un destin brisé par la guerre

A Blois, à l’Hôtel du Département, dans le cadre de la double exposition intitulée « 1945 – Libération de Blois & 80 ans de la libération des camps », on trouve ce panneau dédié à Yvonne Rudellat. Qui était-elle ? Première femme agent du Special Operations Executive (SOE) parachutée en France en 1942, Yvonne Rudellat a joué un rôle déterminant dans la Résistance. Arrêtée dans le Loir-et-Cher en 1943, elle a été soignée à Blois avant d’être déportée en Allemagne. Son engagement et son sacrifice ont marqué l’histoire du combat clandestin contre l’occupant nazi.
Une femme ordinaire au destin exceptionnel
Lorsque la guerre éclate, rien ne prédestine Yvonne Rudellat, née Claire Yvonne Cerneau le 11 janvier 1897 à Maisons-Laffitte, à devenir une figure de la Résistance. Issue d’une famille franco-anglaise, elle s’installe à Londres, où elle travaille aux Galeries Lafayette de Regent Street. En 1920, elle épouse Alex Rudellat, un ancien agent de renseignement italien, mais leur mariage prend fin en 1929. À la veille du conflit mondial, elle mène une vie ordinaire jusqu’à ce qu’un événement change son destin : en avril 1941, sa maison est détruite par un bombardement allemand.

Ce choc la pousse à s’engager. En mai 1942, elle rejoint le Special Operations Executive (SOE), organisation secrète britannique créée pour soutenir la Résistance en Europe. Elle est la première femme recrutée et envoyée en France pour participer aux opérations clandestines. Après un entraînement intensif – maniement des explosifs, télécommunications, techniques de survie – elle est parachutée en juillet 1942 sous le pseudonyme « Jacqueline », missionnée pour renforcer le réseau Prosper, l’un des plus importants du SOE en France.
Une combattante de l’ombre en Loir-et-Cher
De Touraine à la Sarthe, Yvonne Rudellat est en première ligne des parachutages d’armes et de matériel destinés à la Résistance. Elle prend part à plusieurs actions de sabotage majeures, dont la destruction de deux locomotives au Mans en mars 1943.
Mais le réseau Prosper est infiltré. La Gestapo et l’Abwehr (renseignement militaire allemand) traquent ses membres. Le 21 juin 1943, près de Dhuizon (Loir-et-Cher), un piège se referme sur elle et Pierre Culioli, autre agent du SOE. Repérés lors d’un déplacement en voiture, ils sont pris en chasse par les Allemands. Yvonne tente de fuir mais est atteinte d’une balle en pleine tête. Elle s’effondre, inconsciente.
Blois, dernier espoir avant la captivité
Transportée d’urgence à l’hôpital de Blois, elle est prise en charge par le chirurgien Dr Luzuy. La balle, logée à un point critique, n’est pas extraite pour éviter des lésions irréversibles. Yvonne Rudellat survit mais reste gravement affaiblie. Sa blessure lui cause des troubles neurologiques et une confusion mentale, ce qui rend difficiles les interrogatoires de la Gestapo. Pour la Résistance, c’est un soulagement : incapable de livrer des informations précises, elle ne compromet pas ses camarades. Mais pour elle, le cauchemar commence.
Après sa convalescence à Blois, elle est envoyée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, avant d’être incarcérée à Fresnes. La Gestapo la classe sous le statut « Nacht und Nebel » (« Nuit et Brouillard »), destiné aux prisonniers appelés à disparaître sans laisser de trace.
L’enfer des camps et une fin tragique
En juillet 1944, Yvonne est transférée au Fort de Romainville, puis déportée en Allemagne, d’abord au camp de Ravensbrück, puis à Bergen-Belsen en mars 1945. Ce dernier est déjà ravagé par la famine et les épidémies.
Le 5 avril 1945, l’armée britannique libère Bergen-Belsen. Mais pour Yvonne, il est trop tard. Affaiblie, souffrant du typhus et de la dysenterie, elle meurt quelques jours plus tard, le 23 avril 1945. Son corps est inhumé dans une fosse commune du camp.
Yvonne Rudellat sera honorée à titre posthume : membre de l’Ordre de l’Empire britannique (MBE), Croix de guerre 1939-1945, médaille de la Résistance française. Son nom est inscrit sur plusieurs monuments : l’obélisque de Romorantin-Lanthenay, le Mémorial du SOE à Valençay, où figurent 91 hommes et 13 femmes du SOE morts pour la France et le Brookwood Memorial au Royaume-Uni.
Si son parcours est méconnu du grand public, son passage par Blois et le Loir-et-Cher reste un chapitre déterminant de sa lutte. C’est ici qu’elle a survécu à sa blessure, protégé les siens en gardant le silence et amorcé son ultime combat contre l’oppression.
Sources et références :
- Commonwealth War Graves Commission (CWGC)
- Mémorial du SOE à Valençay
- Alan Malcher, spécialiste du SOE
- « Des Anglais dans la Résistance » (Cairn.info)
- Archives du département du Loir-et-Cher