Protection judiciaire de la jeunesse : ce qui se joue actuellement

La décision de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de ne pas renouveler 500 contractuels à partir du 1er septembre 2024 (239 postes selon le ministère de la Justice) a provoqué une vive mobilisation à l’échelle nationale ce jeudi. En réponse à cette mesure, qui fait suite aux coupes budgétaires exigées par Bercy, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le tribunal de Blois pour exprimer leur opposition. La suppression de ces postes, qui impacte directement la prise en charge des mineurs en difficulté, a suscité la colère des syndicats et des professionnels du secteur.
Des suppressions qui menacent l’accompagnement des jeunes en difficulté
Dans le Loir-et-Cher, la situation est préoccupante : quatre contractuels ne seront pas renouvelés, laissant 75 jeunes sans suivi adéquat. Le contrat d’une psychologue est également menacé.

Lors de la manifestation, les témoignages des professionnels de la PJJ ont souligné les conséquences directes de ces suppressions sur l’accompagnement des jeunes. Gaëlle, éducatrice PJJ titulaire et gréviste, a pris la parole pour dénoncer les effets de cette mesure sur le terrain. « Aujourd’hui, on a beaucoup plus de travail, beaucoup plus d’écrits, et moins de moyens », a-t-elle déclaré. « Le mineur qu’on accompagne aujourd’hui, c’est l’adulte de demain. On ne peut pas les négliger. Réduire les postes, c’est nous éloigner du travail de terrain que l’on fait, et c’est aussi favoriser la récidive. »
Gaëlle a également évoqué la réalité de l’accompagnement des jeunes multirécidivistes : « Il y a des jeunes avec des parcours chaotiques, sans scolarité, sans soins, et des familles en difficulté. Si on leur retire cet accompagnement, on ferme des portes pour leur avenir. »
Des soutiens affirmés
Le soutien aux professionnels de la PJJ est partagé par les magistrats et avocats. Xavier Lacasa, juge des enfants, a insisté sur l’importance du rôle des éducateurs dans le processus judiciaire : « Les décisions que nous prenons n’ont pas de sens si vous [les éducateurs] n’êtes pas là pour les accompagner. Si les moyens ne sont pas présents, on prend le risque de voir ces jeunes récidiver et de compromettre leur insertion dans la société. »

Maud Lhommédé, avocate au barreau de Blois, a souligné les difficultés croissantes liées à la réduction des moyens humains : « Le travail effectué par les éducateurs est essentiel, car ils rencontrent les jeunes et échangent avec nous, avocats, dans un véritable partenariat. Mais depuis plusieurs mois, on constate que certains mineurs ne sont même plus rencontrés avant l’audience, ce qui va entraîner des renvois et aggraver la situation de ces jeunes. C’est pourquoi aujourd’hui le Barreau de Blois est réuni pour soutenir la PJJ. »
Du côté du parquet, la substitut du procureur a rappelé le rôle crucial des éducateurs dans la détermination des peines et l’accompagnement des jeunes. « Même si je suis en charge des poursuites, j’ai besoin de l’éclairage des éducateurs pour déterminer la peine à requérir. Au-delà du suivi des mineurs au pénal, il y a toutes les missions pluridisciplinaires confiées à la PJJ, notamment la prise en charge des mineurs radicalisés. Leur accompagnement est essentiel dans des situations aussi sensibles », a-t-elle expliqué.
Elle a également souligné l’importance du travail éducatif en amont pour éviter la récidive et permettre aux jeunes de ne pas se retrouver en prison à leur majorité. « Le tribunal pour enfants, c’est avant tout un travail éducatif. L’objectif est de faire en sorte que ces jeunes, même s’ils ont commis des infractions, ne se retrouvent pas devant le tribunal correctionnel à leur majorité. Si on leur retire ces moyens, on compromet leur avenir. »
Le choix de la répression
Les grévistes ont également dénoncé l’orientation politique actuelle, qu’ils jugent trop axée sur l’enfermement et la répression. « On voit bien que les budgets sont alloués à la création de centres éducatifs fermés, alors qu’on supprime les éducateurs de rue et la prévention spécialisée, » déplore Gaëlle.
Cette journée de grève et de manifestation marque un tournant dans la mobilisation des professionnels de la PJJ, qui entendent continuer leur lutte pour éviter que les coupes budgétaires ne compromettent l’avenir des jeunes pris en charge par ces services essentiels.
Pour aller plus loin sur ce qui se joue, nous vous proposons un entretien avec Gaëlle, éducatrice PJJ titulaire.
Votre vocation, votre mission, comment ça se passe factuellement ? Est-ce que vous êtes surchargée ?
— Alors, moi, je sais que j’ai choisi ce métier parce que je crois en ce qui disait le général de Gaulle, qui a un peu fondé la justice des mineurs : on ne peut pas négliger tous ceux qui peuvent devenir des êtres sains. Aujourd’hui, nous sommes un peu les prémices d’un accompagnement pour un futur citoyen. Le mineur qu’on accompagne aujourd’hui, c’est l’adulte de demain, donc on ne peut pas le négliger. Et effectivement, notre accompagnement se base vraiment sur cette idée : nous croyons aux jeunes que nous suivons. Il y a des accidents de parcours, car il ne faut pas se leurrer, il y a des jeunes qui vont commettre des actes transgressifs, mais ce sera un accident de parcours, et on ne les reverra plus jamais devant la justice.
Les jeunes multirécidivistes que nous accompagnons ont souvent des parcours chaotiques et très déstructurés. En général, il n’y a pas de scolarité, pas de soins, et leur contexte familial est chaotique. Ce sont des jeunes parfois livrés à eux-mêmes, qui n’ont pas les repères nécessaires et qui ne sont pris en charge par aucun dispositif de droit commun. On constate que ces jeunes, qui n’ont pas l’accompagnement adéquat, sont ceux que l’on retrouve le plus souvent sur la scène judiciaire.
Notre métier consiste donc à apporter de la structure, à intervenir sur l’orientation professionnelle, les soins, et à soutenir le cadre familial. Nous jouons un rôle essentiel, car nous aidons ces jeunes à comprendre qu’ils vivent dans une société et qu’ils ne peuvent pas s’en prendre à elle. Notre mission est de les préparer à devenir les adultes de demain et d’éviter qu’ils récidivent et se retrouvent en détention après leur majorité.
Les jeunes en détresse, par exemple dans le Loir-et-Cher, cela représente combien de personnes ?
— Je n’ai pas les chiffres exacts, mais dans notre service, par exemple, 206 jeunes sont pris en charge. Nous sommes 7 éducateurs titulaires, avec une psychologue à temps plein et une autre à temps partiel, qui est contractuelle et venue en renfort. Nous assurons aussi des missions dans le cadre de l’enfance en danger. Aujourd’hui, notre métier est très diversifié, car nous sommes un service public. Nous nous occupons d’une multitude de profils, pas seulement de mineurs délinquants, mais aussi d’enfants en danger dans leur sphère familiale.
Lorsqu’un mineur passe à l’acte, ce n’est pas anodin. En remettant les choses en perspective, on se rend compte qu’avant d’être des enfants délinquants, ils sont souvent des enfants en danger. C’est pourquoi l’accompagnement que nous proposons est très structurant.
Est-ce que vous pensez que l’orientation actuelle est plus tournée vers l’enfermement, le répressif, plutôt que vers l’éducatif ?
— Effectivement, les budgets ont été alloués à la création de centres éducatifs fermés (CEF), qui sont des alternatives à l’incarcération. Politiquement, on propose de plus en plus l’incarcération comme solution. Un jeune placé en CEF a une alternative à l’incarcération, mais s’il ne respecte pas les conditions de son placement, il peut se retrouver en détention. Pourtant, on sait très bien que la prison ne résout pas les problèmes, que ce soit pour les jeunes ou pour les adultes. Si la détention fonctionnait, on le saurait.
L’éducatif doit se faire en amont, et il peut y avoir du répressif, mais cela doit intervenir dans un parcours encadré. On ne va pas mettre un jeune en détention ou en CEF dès ses premiers faits, car c’est déjà une peine lourde pour eux. Si on ne met pas en place un accompagnement éducatif, le passage par la détention risque de ne pas apporter les résultats escomptés. Attention, il y a de l’éducatif dans les CEF, mais il s’agit aussi d’un enfermement, ce qui n’est pas anodin et mérite réflexion.
Nous allons avoir plus de jeunes dans des CEF que de jeunes suivis de manière classique. L’idée est clairement de faire moins de suivi de prévention et plus de répression et d’enfermement.
On voit une réduction des moyens pour la prévention ?
— Oui, ils ont supprimé les éducateurs de rue, la prévention spécialisée en amont. Il y a eu une destruction de la prévention spécialisée, de la justice de proximité, où l’on pouvait faire de la prévention dans les quartiers sensibles. Les éducateurs n’ont pas été renouvelés. On ne met pas les moyens budgétaires pour l’accompagnement et la prévention, mais on trouve des budgets pour la répression, pour créer de nouveaux CEF. C’est un réel problème.
Quel message cela envoie-t-il aux jeunes ? Est-ce que cela a un impact sur eux de voir moins d’éducateurs disponibles ?
— Les jeunes reconnaissent heureusement l’importance de notre rôle. Quand ils viennent dans le service, ils comprennent l’intérêt d’avoir un éducateur. Ils peuvent l’exprimer lors des audiences, et même si certains jeunes en difficulté sont en marge, la plupart d’entre eux reconnaissent la valeur de notre travail. Ils voient ce que nous mettons en place pour les aider, les accompagner et les sortir de leur spirale d’échec.