Les défis persistants de l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail

À l’occasion de la 11e édition du cycle économique des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, trois figures majeures de la vie politique et économique locale ont ouvert le débat sur les enjeux de l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail. Marie-Noëlle Amiot, présidente de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Loir-et-Cher, a rappelé que « de tout temps, les femmes ont contribué à l’économie », mais qu’elles ont souvent été reléguées au second plan, avec des inégalités flagrantes dans l’accès aux responsabilités et aux rémunérations. Elle a souligné l’importance d’intégrer pleinement les femmes dans les secteurs économiques, rappelant que « rendre visibles les femmes dans l’économie signifie lever les barrières et débloquer des opportunités à plusieurs niveaux ».
Christophe Degruelle, président d’Agglopolys, a pour sa part mis en lumière les responsabilités des collectivités dans cette lutte pour l’égalité, soulignant que des femmes occupent des postes stratégiques au sein de l’agglomération de Blois (plus de 60% des cadres), dans des domaines comme l’aménagement ou la stratégie économique. Il a toutefois regretté que les écarts de rémunération persistent, particulièrement en raison des temps partiels subis, largement féminisés, qui impactent négativement les carrières et les retraites des femmes.
Enfin, Marc Gricourt, maire de Blois et 1er vice-président de la Région Centre-Val de Loire, a rappelé que « l’inégalité salariale et l’accès aux postes à responsabilité sont des freins majeurs » pour les femmes dans l’économie. Il a souligné que dans la région Centre-Val de Loire, des efforts ont été faits pour promouvoir l’égalité salariale et les conditions de travail des femmes, mais que le chemin restait encore long pour une égalité réelle. À travers ces interventions, le ton était donné : l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail reste un défi majeur, à aborder avec détermination et pragmatisme.

Le monde du travail, sphère la plus inégalitaire de la société
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, a souligné une réalité frappante : selon une étude du Haut Conseil à l’Égalité (HCE), le monde du travail est perçu comme la sphère la plus inégalitaire de la société. « Seuls 20 % des personnes interrogées estiment qu’il existe une véritable égalité sur leur lieu de travail », a-t-elle déclaré, rappelant ainsi l’urgence d’agir.
Les entreprises ne sont qu’un miroir de la société. Elles reproduisent les inégalités systémiques, notamment en matière de violences sexistes et sexuelles, mais aussi en termes de salaires, d’accès aux responsabilités et de conditions de travail. Pour Marylise Léon, il est essentiel de comprendre que ces inégalités ne se limitent pas à quelques aspects isolés du monde du travail, mais qu’elles sont globales, structurées par des biais culturels profondément ancrés.
L’inégalité salariale : le cœur du problème
Si l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes n’est pas une nouveauté, elle reste l’un des principaux défis à relever pour les entreprises et les gouvernements. En France, cet écart persiste encore à hauteur de 15 à 20 % en moyenne, avec des répercussions sur l’ensemble de la carrière des femmes, jusqu’à leur retraite.
Pour Marylise Léon, cette question est centrale : « C’est le cœur du réacteur ». Une carrière féminine est souvent marquée par des temps partiels subis, des contrats courts, et une plus forte représentation dans des secteurs dits « féminins » – comme l’aide à domicile ou les services à la personne – où les compétences des femmes sont systématiquement dévalorisées. Ces secteurs, majoritairement occupés par des femmes, sont moins bien rémunérés que ceux où les hommes sont surreprésentés, comme l’industrie ou la technologie.
Dans ce contexte, le temps partiel, souvent présenté comme une solution pratique pour concilier vie professionnelle et vie familiale, devient en réalité un « non-choix » pour de nombreuses femmes, contribuant à leur précarité. Selon Marylise Léon, il est crucial que les femmes puissent décider elles-mêmes si elles veulent ou non travailler à temps partiel, plutôt que d’y être contraintes.
La sous-représentation des femmes aux postes de direction
Élisabeth Moreno, ancienne ministre et dirigeante dans les secteurs de la technologie et de l’entrepreneuriat, a partagé son expérience dans des milieux « très masculins ». Après avoir débuté sa carrière dans le bâtiment et travaillé dans les nouvelles technologies pendant plus de 20 ans, elle a constaté de manière directe les barrières auxquelles les femmes font face dans des secteurs dominés par les hommes.
« Actuellement, seulement 22 % des entreprises du SBF 120 sont dirigées par des femmes », souligne Moreno. Si des figures telles que Catherine MacGregor à Engie, Estelle Brachlianoff à Veolia et Christel Heydemann à Orange occupent des postes de direction, elles ne sont que directrices générales et non PDG, postes encore largement réservés aux hommes. « Les femmes sont jugées trop fragiles pour porter les deux rôles en même temps », ironise-t-elle, avant de souligner l’injustice flagrante de la situation.
Moreno a également évoqué le manque de femmes dans les secteurs scientifiques et technologiques. Bien qu’un métier sur trois créé dans les cinq prochaines années nécessitera des compétences en science, technologie, ingénierie ou mathématiques (STEM), moins de 20 % des filles se dirigent vers ces filières. « Il faut encourager les jeunes filles à se lancer dans des métiers qui payent ! » a-t-elle insisté, rappelant l’importance de lutter contre les stéréotypes de genre dès l’école et au sein des familles.
La parentalité, un frein à l’égalité des carrières
Le poids de la parentalité constitue un frein majeur à l’évolution professionnelle des femmes. Comme l’a souligné Marylise Léon, « 95 % des congés parentaux sont pris par les femmes », ce qui interrompt souvent leur carrière et les empêche de rattraper leur retard par la suite. Ces pauses professionnelles, combinées à des responsabilités familiales encore largement assumées par les femmes, créent des écarts significatifs dans les trajectoires de carrière, les promotions et, in fine, les salaires.
Élisabeth Moreno a évoqué un exemple frappant, celui de Catherine Guillouard, ancienne dirigeante de la RATP, qui a quitté son poste pour s’occuper de ses parents vieillissants. La réaction ? « Beaucoup ont refusé de croire que c’était la vraie raison, considérant qu’on ne quitte pas un tel poste pour prendre soin de sa famille. » Cet exemple illustre à quel point les préjugés sur les rôles genrés persistent, même au plus haut niveau.
Les métiers féminisés et la reconnaissance des compétences
Rachel Silvera, économiste et spécialiste des questions de genre, a rappelé que les métiers majoritairement féminins sont encore perçus comme des secteurs nécessitant peu de compétences spécifiques. Elle a évoqué des exemples historiques pour montrer à quel point ces stéréotypes sont anciens. Par exemple, dans l’industrie automobile, les femmes qui travaillaient à la couture dans les usines étaient qualifiées pour ce travail, mais leur CAP n’était pas reconnu dans les conventions collectives, ce qui les maintenait toute leur carrière dans des statuts non qualifiés.
Aujourd’hui encore, les secteurs féminisés souffrent d’une dévalorisation systématique. Les métiers du soin, de l’éducation ou des services à la personne, souvent attribués aux femmes, sont mal payés et peu reconnus. Rachel Silvera insiste sur le fait que cette ségrégation professionnelle repose sur des stéréotypes de genre qui assignent aux femmes des compétences dites « naturelles » comme la patience, l’altruisme, ou la minutie – des compétences qui sont rarement reconnues à leur juste valeur dans le monde du travail.
Le partage de la valeur et la reclassification des métiers
Un autre aspect fondamental pour combattre les inégalités est la reclassification des métiers. Certaines conventions collectives n’ont pas été mises à jour depuis les années 1980, ce qui maintient des déséquilibres criants entre les secteurs masculins et féminins. Marylise Léon a insisté sur la nécessité de renégocier ces classifications pour mieux prendre en compte l’évolution des compétences et des métiers, notamment dans les secteurs féminisés.
Elle a également évoqué l’accord de partage de la valeur, signé en 2024, qui oblige les branches professionnelles à ouvrir des négociations sur la mixité des métiers et les classifications. Pour elle, mieux « mixer » les métiers, c’est-à-dire ouvrir les secteurs féminisés aux hommes et vice-versa, est une des clés pour réduire les inégalités salariales et professionnelles.
Si des progrès ont été réalisés, il reste encore un long chemin à parcourir. La lutte pour l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail est un combat quotidien. Comme l’a rappelé Marylise Léon en référence à l’évolution du monde politique, « nous ne sommes jamais à l’abri de reculs ». Il est donc essentiel de continuer à porter cette question au centre des discussions économiques, politiques et sociales.