Musicales 41
EcologieRéfléchirVie locale

Hydrologie régénérative : repenser nos paysages pour cultiver l’eau

Les futurs professionnels de santé du Loir-et-Cher sont déjà parmi vos proches !

L’eau ne se résume ni à un volume à répartir, ni à un flux à canaliser. Elle est un cycle vivant, que l’on peut réparer. Et même cultiver. C’est cette conviction que défend Samuel Bonvoisin, figure française de l’hydrologie régénérative. À rebours des approches techniciennes de la « gestion de l’eau », il propose de redonner toute sa place au vivant — forêts, sols, haies, bactéries, castors — pour restaurer les équilibres écologiques et climatiques. Non, l’eau ne tombe pas du ciel sans raison. Elle naît des paysages. Et nous savons déjà comment faire pleuvoir. C’est ce qu’il a expliqué lors d’une conférence, à Blois, au CCI Campus Centre, un évènement organisé conjointement par le Lions Club Blois Doyen et le Lions Club Blois Renaissance.

Restaurer les cycles de l’eau verte

« Deux tiers des pluies continentales proviennent de l’évapotranspiration : de l’eau transpirée par les végétaux et évaporée par les sols », rappelle Samuel Bonvoisin. C’est ce qu’on appelle l’eau verte, par opposition à l’eau bleue, visible dans les rivières, les lacs ou les nappes. « L’eau verte est très peu connue du grand public, mais elle est essentielle. On parle ici du recyclage de l’eau sur les continents, avant qu’elle ne reparte vers l’océan. »

Ce cycle de l’eau verte a été « brisé ». À l’origine : le remembrement, l’arrachage des haies, le comblement des mares, la rectification des cours d’eau, l’imperméabilisation des sols. « On a tout fait pour que l’eau s’évacue plus vite. Résultat : elle n’a plus le temps d’infiltrer les sols, de les nourrir, de les rafraîchir. » En parallèle, les sols se sont appauvris. « Le taux de matière organique dans les sols agricoles est passé de 4 % en 1950 à 1,5 % aujourd’hui. Or, un seul pour cent de matière organique permet de retenir 250 m³ d’eau par hectare sur 15 cm de sol. » Derrière ces chiffres, une conséquence directe : les paysages perdent leur capacité à retenir l’eau, donc à réguler la température, à alimenter les nappes, à alimenter l’atmosphère… et à faire pleuvoir.

Changer de paradigme

L’approche que propose Samuel Bonvoisin ne se limite pas à un ensemble de pratiques agricoles. Il s’agit d’un changement complet de perspective. « On est dans un paradigme où, face à une inondation, le réflexe, c’est de curer les fossés, d’évacuer l’eau le plus vite possible. Mais c’est exactement l’inverse qu’il faudrait faire : ralentir l’eau, la faire infiltrer, stocker l’humidité dans le paysage. »

Ce renversement s’incarne dans les quatre piliers de l’hydrologie régénérative : ralentir, infiltrer, stocker, evapotranspirer. C’est tout un art d’aménager les paysages pour qu’ils se comportent comme des éponges vivantes. « On distingue la gestion horizontale — ralentir l’eau de surface — et la gestion verticale — accélérer sa pénétration dans les sols. »

Parmi les techniques évoquées : l’agroforesterie, l’enherbement, l’agriculture de conservation des sols, mais aussi le Keyline design, qui consiste à travailler selon les lignes de niveau. « On peut aussi restaurer les méandres, déconnecter les chemins agricoles du réseau hydrographique naturel, ou créer des bassins d’infiltration. » Mais ce que l’expert appelle de ses vœux, c’est surtout un changement d’échelle. « L’action individuelle est utile pour faire connaître ces approches, mais elle est inefficace sur la ressource elle-même. Il faut des politiques publiques offensives. »

L’exemple du castor, ingénieur hydrologue

Pour illustrer ce changement de regard, Samuel Bonvoisin convoque un animal : le castor. « Il a habité toutes les rivières de l’hémisphère nord pendant huit millions d’années. Et depuis des siècles, on l’a presque totalement éradiqué. » Une erreur historique, selon lui. Le castor, par son mode de vie, ralentit les eaux, recrée des zones humides, recharge les nappes, stocke du carbone, et lutte contre les incendies. « C’est ce qu’a démontré la chercheuse Emily Fairfax. Depuis 2022, le GIEC recommande la préservation et la réintroduction du castor comme solution climatique. » Ce qui a été fait il y a 50 ans à Blois.

Accepter que le vivant sait mieux que nous

Mais cette réintroduction se heurte à une réalité : celle de nos usages. « Le long des rivières, on a mis des routes, des lotissements, des zones d’activité. Le retour du castor questionne : est-ce qu’on continue à vouloir tout contrôler ? Ou est-ce qu’on accepte que le vivant sache mieux que nous ? On commence à construire des barrages analogues à ceux du castor, en s’inspirant de ses techniques. On peut redevenir des artisans de la régénération des cycles. »

Réapprendre à faire pluie

Ce que Samuel Bonvoisin tente de transmettre, ce n’est pas seulement une méthode, c’est une éthique. « Est-ce que notre rôle est d’extraire, de dégrader, de polluer ? Ou est-ce qu’il est de régénérer, de prendre soin, de remettre les cycles en route ? » Selon lui, on n’a pas besoin d’attendre de nouvelles technologies. « On sait déjà comment faire. Avec les connaissances et les outils qu’on a, on peut commencer dès aujourd’hui. »

Ce message, il le porte aussi bien devant des élus que dans les écoles. À Cellettes, à Blois, comme ailleurs, il commence souvent par parler aux enfants. « Je leur présente les huit super-héros des cycles de l’eau : le castor, le lierre, la ronce, la bactérie Pseudomonas syringae, les arbres… et le huitième, c’est nous. Parce que nous aussi, on peut agir. »

Pour les adultes, la conférence devient plus technique, plus philosophique. « Je leur parle de mycorhizes, d’interconnexions entre milieux, mais aussi de posture. Est-ce qu’on veut juste s’adapter, ou est-ce qu’on veut régénérer ? » Selon lui, l’adaptation — aussi nécessaire soit-elle — ne suffit pas. « Elle part du principe qu’on va faire moins pire. La régénération, c’est faire mieux. » Et contrairement aux idées reçues, cela ne prend pas plus de temps. « En Inde, un programme d’hydrologie régénérative a produit des résultats spectaculaires en quatre ans. »

Ce que propose l’hydrologie régénérative, au fond, ce n’est pas une simple gestion de l’eau. C’est un regard renouvelé sur le vivant. « On ne fait pas pleuvoir par magie. Mais on peut créer les conditions où la pluie devient plus probable. Il faut réapprendre à faire pluie. » Ce travail d’explication est exigeant. « Ce cycle de l’eau verte, ce recyclage continental, c’est invisible. Mais chaque fois qu’on remplace un jardin vivant par du gravier et deux palmiers, on fabrique un désert. »

À rebours d’un monde qui accélère et simplifie, Samuel Bonvoisin nous invite à ralentir et à complexifier. Non par nostalgie d’un état de nature, mais pour retrouver, dans nos gestes et nos paysages, une manière de cohabiter. Humble, durable, féconde.

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR