Aux Lobis, Desplechin, Stewart, Anderson et une pluie de rendez-vous

Chaque semaine, Blois Capitale donne carte blanche à Laëtitia Scherier, directrice du cinéma Les Lobis. Elle présente cette fois une programmation particulièrement dense, riche en signatures prestigieuses et en découvertes attendues. Au programme : Deux pianos d’Arnaud Desplechin, The Chronology of Water, premier film de Kristen Stewart, Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson, l’avant-première de La Petite dernière, ainsi qu’un beau rendez-vous jeune public et plusieurs séances uniques. « On a presque trop de films porteurs cette semaine », sourit Laëtitia Scherier. « J’espère que chacun trouvera son public. »
Deux pianos : la maturité de François Civil sous l’œil de Desplechin
C’est le quinzième film d’Arnaud Desplechin. « Son dernier, Spectateurs, est sorti en début d’année », rappelle Laëtitia Scherier. Mais avec Deux pianos, le cinéaste offre à François Civil une partition inédite.

« François Civil, on a l’impression de l’avoir vu dans tout depuis cinq ou six ans : L’Amour fou, Les Trois Mousquetaires, Bac Nord… Ici, c’est autre chose. Il livre une performance habitée, avec une profondeur et une maturité qui le placent au-dessus de ses rôles précédents. Dans certaines séquences, on le reconnaît à peine. » Pour ce rôle, l’acteur a appris à jouer du piano, travaillant avec un coach. « Bien sûr, certaines scènes sont doublées, mais il a tenu à en interpréter une lui-même. » Face à lui, Nadia Tereszkiewicz, remarquée dans Mon crime d’Ozon et Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi, et Charlotte Rampling.
Le film repose sur la spontanéité des comédiens. « Desplechin n’a pas voulu qu’ils répètent ensemble avant le tournage. Comme leurs personnages ne s’étaient pas vus depuis près de dix ans, il voulait garder cette gêne, ce flottement. » Esthétiquement, le film surprend : pas de caméra fixée, pas de rails, tout a été tourné caméra à l’épaule. « Mais on n’a pas le tournis. On a plutôt l’impression que la caméra danse, ce qui correspond parfaitement à la thématique du film. » L’histoire ? Un drame romanesque autour d’un amour impossible. La femme hésite entre deux hommes. « C’est un film sur les regrets, sur ce qui se joue quand on retrouve quelqu’un après des années, et qu’on a l’impression d’être passé à côté de sa vie. » Pour Laëtitia Scherier, la fidélité de Desplechin à ses obsessions est précieuse : « Mémoire, amour, blessures intimes… Tout ce que j’aime dans son cinéma. »
The Chronology of Water : le choc déroutant de Kristen Stewart
Autre sortie : The Chronology of Water. « C’est un film époustouflant, mais très déroutant », prévient Laëtitia Scherier. C’est le premier long métrage de Kristen Stewart, révélée au grand public par Twilight, mais qui a très vite bifurqué vers le cinéma d’auteur (Olivier Assayas, Woody Allen, Kelly Reichardt). « Et pour ce premier film, elle a Ridley Scott comme producteur. Ça montre à quel point elle est prise au sérieux. »

Adapté librement des mémoires de l’écrivaine américaine Lidia Yuknavitch, le film raconte les abus subis dans l’enfance, et l’errance de la jeunesse marquée par les addictions. L’héroïne, nageuse, cherche un sens à sa vie à travers le sport, mais se débat avec l’alcool, la drogue et les fantômes du passé. « C’est un film de montage, éclaté, où passé et présent se mélangent sans transition. C’est une grande réussite. On ressent l’intrusion constante du traumatisme dans la vie adulte. »
Le résultat est poétique et violent à la fois. « Les abus sont suggérés, jamais montrés frontalement. Kristen Stewart les traite par la métaphore, par la poésie visuelle. C’est comme une poésie filmée. » Jeux de pellicule, travail de la lumière, symbolique du sang : tout concourt à une expérience esthétique. « Pour moi, c’est un des films les plus beaux de l’année. Déroutant, exigeant, mais magnifique. »
Une bataille après l’autre : Paul Thomas Anderson en fresque politique
Troisième rendez-vous : Une bataille après l’autre, le dixième film de Paul Thomas Anderson. Avec Leonardo DiCaprio, Benicio Del Toro, Sean Penn.
« Paul Thomas Anderson est un maître de la mise en scène. On lui doit Magnolia, There Will Be Blood, Licorice Pizza… Ici, il adapte un roman, mais il transpose l’histoire à notre époque. » Le film commence comme un polar, une satire politique, avec beaucoup d’action dans la première partie. « D’où sa sortie initiale en multiplex. Mais c’est aussi une fresque sur la foi révolutionnaire, qui bascule dans une deuxième partie plus intimiste. »
Aux États-Unis, la presse l’a lu comme un film antifasciste, une grande fresque antiterroriste. « Ce n’était pas l’intention du réalisateur, qui a tourné entre les deux tours de l’élection américaine. Mais forcément, on pense à Trump. » On y suit un groupuscule révolutionnaire menant des actions violentes autour de la frontière mexicaine. « Pour moi, c’est avant tout un film politique, même si l’action domine dans la première partie. C’est une œuvre d’auteur, et il me paraissait évident de le proposer aux Lobis. »
Avant-première : La Petite dernière
Cette semaine, l’avant-première est consacrée à La Petite dernière, de Hafsia Herzi, adapté du roman autobiographique de Fatima Daas. Le film a fait grand bruit à Cannes et a valu un prix d’interprétation féminine à son actrice principale, Nadia Melliti. « C’est un récit poignant, qui raconte la jeunesse d’une jeune femme dans une cité, au sein d’une famille musulmane pratiquante mais ouverte, et sa découverte de son homosexualité. » Un récit intime, traversé par les préjugés sociaux, mais sans stigmatisation. « Le film traite avec justesse la difficulté d’accepter d’être soi-même, de se détacher du regard des autres. L’actrice est bluffante. »

Timioche : le jeune public à la fête
Pour le jeune public, cette semaine, un programme de courts-métrages à partir de 4 ans : Timioche. « C’est la dernière adaptation du studio londonien Magic Light, qui a adapté quasiment tous les albums de Julia Donaldson et Axel Scheffler : Le Gruffalo, Le Petit Gruffalo, La Sorcière dans les airs… Ces programmes défendent toujours des valeurs de solidarité, d’amitié, et sont très identifiés par les spectateurs. » Un programme aquatique, tendre et coloré, « parfait pour les 4-6 ans ».

Séances uniques et ciné-débat
Les Lobis proposent aussi une reprise : Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé, film roumain déjà présenté en début d’année et récompensé aux Rendez-vous de l’Histoire. Séance lundi prochain, à 20h15. Autre rendez-vous : le documentaire Les Esprits libres, avec ciné-débat, jeudi 16 octobre à 20h30. En partenariat avec le CIAS, il raconte un projet artistique mené avec des patients atteints d’Alzheimer. « Malgré le sujet, il y a beaucoup d’humour. On suit une troupe qui monte une pièce, et le réalisateur tisse un parallèle entre le flou du théâtre et le flou mémoriel des patients. » Le débat sera animé par Cinéfil, en présence du producteur. L’entrée est gratuite, les places offertes par le CIAS.
Pour en savoir plus : blois-les-lobis.cap-cine.fr