Chaïmaa Mellouki et la transmission de l’héritage amazigh par l’art

À Blois, Chaïmaa Mellouki, artiste peintre franco-marocaine, explore la mémoire culturelle et la transmission de l’identité amazighe à travers son exposition Imazighen, présentée à Escale et Habitat. Lors du vernissage et de sa conférence, samedi 18 janvier 2025, elle a partagé un regard sur son parcours, ses inspirations, et son engagement artistique en faveur de la préservation d’un patrimoine en constante évolution.
Un art au service de la mémoire amazighe
L’exposition Imazighen, qui signifie « les hommes libres » en langue amazighe, est un hommage aux racines et à l’histoire d’un peuple. Chaïmaa Mellouki explique que son travail s’inscrit dans une démarche de transmission et de réappropriation culturelle. Son objectif ? Montrer que l’art ne se limite pas à l’expression personnelle : il est aussi un moyen puissant de préserver l’âme d’un peuple et de créer un pont entre les générations.

Elle souligne que l’histoire amazighe repose principalement sur la transmission orale, laissant peu de traces écrites. C’est pourquoi l’art visuel, omniprésent dans les bijoux, les tatouages et les tapis, joue un rôle central dans la préservation de cette mémoire collective. « Les bijoux amazighs, par leur complexité et leur richesse symbolique, faisaient partie des tenues traditionnelles. Les tatouages portés par les femmes représentaient la beauté, le tempérament et les caractéristiques personnelles. Quant aux tapis, ils étaient bien plus que des objets décoratifs : ils portaient en eux des valeurs et des symboles propres à la culture amazighe », explique-t-elle lors de sa conférence.

Un voyage initiatique à 15 ans
Le lien entre Chaïmaa Mellouki et son héritage amazigh s’est renforcé lors d’un voyage marquant à l’âge de 15 ans. Elle raconte s’être rendue dans le village de sa grand-mère, situé dans la région de Marrakech. Ce lieu isolé, dépourvu à l’époque de réseau, d’électricité et d’eau courante, lui a permis de découvrir la culture amazighe et de nouer des liens avec ses racines. « Malgré la barrière linguistique – je ne parle pas amazigh – ils m’ont accueillie comme si j’avais toujours fait partie d’eux. Nous communiquions avec un langage non verbal, et ils m’ont ouvert leur cœur et leur maison. Ce voyage a été le point de départ de ma quête pour comprendre mes origines et leur donner une place dans mon travail artistique », confie-t-elle.
La série Imazighen : une réappropriation culturelle
La collection Imazighen, au cœur de son exposition, se compose de photos prises entre 1900 et 1920, représentant des hommes, des femmes et des enfants amazighs. Ces images, initialement réalisées par des colons, ont été retravaillées par l’artiste avec des techniques de digital art. « À l’époque, les Amazighs n’avaient pas accès à la photographie. Ce projet est une forme de réappropriation culturelle. En redonnant vie à ces photos à travers les couleurs, les textures et les volumes, je rends hommage à mon peuple et à sa richesse culturelle », explique Chaïmaa Mellouki.
Certaines photographies présentent des visages non identifiés, mais les vêtements permettent de situer leurs origines, comme les tribus marocaines ou algériennes. Une œuvre marquante est celle d’une femme de la tribu des Aït Atta, enrichie de motifs contemporains qui symbolisent le lien entre tradition et modernité.

Un processus créatif en quête de sens
Le travail de Chaïmaa Mellouki commence par une phase de recherche et d’immersion, au cours de laquelle elle échange avec des personnes âgées, collecte leurs récits de vie et étudie les symboles amazighs. « Ces rencontres m’inspirent et me permettent de retranscrire des histoires dans mon art. Je réalise ensuite des esquisses, travaille sur des palettes de couleurs et laisse libre cours à mon imagination », précise-t-elle.
L’artiste souligne l’importance de s’adresser aux jeunes générations en utilisant des supports modernes et accessibles. « La transmission culturelle passe aussi par les nouvelles technologies, comme les NFT (Non-Fungible Tokens), la réalité augmentée ou l’art interactif. Par exemple, imaginer une immersion dans un village amazigh grâce à un casque de réalité virtuelle peut rendre la culture vivante et attrayante pour les jeunes », suggère-t-elle. « Mon objectif est de promouvoir la culture amazighe à travers le monde. Cette série a été présentée au Maroc, elle est exposée ici à Blois, et bientôt, je l’emmènerai à Dubaï », annonce-t-elle.
La transmission culturelle : un devoir collectif
Pour l’artiste, chacun peut devenir acteur de la transmission culturelle, à son échelle. « Nous sommes comme des arbres : sans racines, nous n’existons pas. Je vous invite à explorer vos origines, à développer votre créativité et à partager ce que vous créez. Ce que vous faites peut résonner avec bien plus de personnes que vous ne l’imaginez », conclut-elle.
La transmission commence à la maison
Un autre conférencier est intervenu sur le thème de la transmission, samedi : Fahim Messaoudene a insisté sur un point fondamental : la transmission de la langue et des traditions amazighes commence à la maison. C’est là, selon lui, que se joue l’avenir de la culture, car l’enfant y construit ses premières bases identitaires et culturelles. « Si on ne parle pas la langue à la maison, les enfants seront influencés par d’autres langues, celles de leur environnement extérieur, et finiront par perdre le lien avec leurs racines », a-t-il affirmé. Il a notamment rappelé que l’imprégnation culturelle passe par l’exemple quotidien donné par les parents.
Il évoque des souvenirs personnels marquants, comme ceux de sa grand-mère et de sa mère préparant des repas traditionnels pour Yennayer. « Je garde encore en mémoire ma mère préparant le couscous avec la sauce, et le rituel d’égorger un poulet pour célébrer la fête. Ces gestes simples, mais chargés de sens, m’ont marqué profondément. Aujourd’hui, je les perpétue avec ma famille, en expliquant à mes enfants ce qu’est Yennayer et son importance historique et festive », a-t-il confié. Fahim souligne que ces pratiques ne doivent pas être vues comme de simples routines, mais comme des opportunités de transmettre un héritage vivant.