Hors Lits à Blois : l’art sans scène, sans distance, sans mur

À Blois, pendant deux soirées, le spectacle est entré chez les gens. Littéralement. Les 26 et 27 mars 2025, la troisième édition du parcours Hors Lits a permis à une centaine de spectateurs de découvrir, en quarte sessions, dans quatre maisons privées, autant de propositions artistiques aussi denses que dépouillées, portées par des artistes venus de Blois, de Paris ou d’Amiens. Une forme citoyenne et poétique de rencontre entre des œuvres, des artistes, des lieux et le public.
À l’origine de cette édition blésoise, un duo : Marie et Dani. Ancienne danseuse et musicien en activité, tous deux ont vécu à Marseille pendant douze ans, où ils ont découvert le concept de Hors Lits en tant que spectateurs, hôtes, puis artistes invités. Marie y a présenté l’une de ses pièces de danse, tandis que Dani et elle accueillaient d’autres artistes dans leur salon. L’expérience les a marqués au point qu’ils ont décidé, en quittant Marseille pour s’installer à Blois, de prolonger l’aventure dans leur nouvelle ville. « On s’était toujours dit que quand on quitterait Marseille, on organiserait Hors Lits là où on s’installerait », raconte Marie. Ce sera donc Blois. Ils y vivent depuis quatre ans. Hors Lits y existe depuis un an et demi.
Ils ne sont liés à aucune structure, mais inscrivent leur démarche dans un réseau informel. Hors Lits est né en 2005 à Montpellier, sous l’impulsion de Leonardo Montecchia, danseur et chorégraphe. C’est un projet sans statut, sans subvention, sans billetterie, sans paperasse, mais pas sans exigence : « On est toujours en contact avec Leonardo qui a créé le concept. On respecte une charte qui donne le ton, les principes. On a signé un contrat avec lui au début de l’aventure. C’est très libre, mais pas flou », précise Marie.
Les représentations se tiennent dans des foyers choisis pour leur disponibilité, leur accueil, mais aussi leur localisation. Les distances entre les lieux doivent permettre au public de circuler à pied, sans que ce soit ni trop proche, ni trop éloigné. La première édition s’est tenue chez des amis. Aujourd’hui, les hôtes viennent spontanément proposer leur salon ou leur salle à manger. L’équipe d’organisation reste réduite : Marie et Dani assurent toute la coordination.

La sélection des artistes repose sur des affinités, des rencontres, parfois anciennes. Ingrid Soler, clown venue d’Amiens, est dirigée par Aurélien Quentin. Marie et Dani avaient croisé ce dernier lors de la toute première édition blésoise, à l’occasion d’un spectacle partagé avec Amélia Bréchet. Pour cette nouvelle édition, Quentin n’avait pas de création personnelle à proposer, mais a choisi de mettre en scène « La Vie en Rouille », un solo où l’extravagante Edyth de Lafosse, chanteuse à plumes et à mémoire décalée, se souvient de sa gloire passée dans un petit théâtre improvisé.

Romain De Mesmay, violoniste parisien, est un proche de Dani, avec qui il joue régulièrement. À Blois, il a proposé un concert-lecture inspiré des fantômes d’une maison imaginaire, intitulé La Bibliothèque de la maison aux volets rouges. Quant à Christophe Faure, comédien blésois, il est arrivé par le biais d’une amitié commune. Il a présenté Reconversation et autres balbutiements légers et techniques, portrait doux-amer d’un certain Jean-Claude, personnage oscillant entre confidences et digressions absurdes, dans une tentative d’offrir « lumières et émotions positives dans un petit marathon de 1200 secondes et des poussières ».
Enfin, Angélique Cormier, artiste blésoise (son portrait ici), est entrée dans l’aventure grâce à un article lu par Marie. « Je me suis dit : c’est génial ce qu’elle fait, cette femme, je vais l’appeler », se souvient-elle. Après quelques échanges sur Facebook, puis un coup de fil, Angélique rejoint le programme. Sa performance mêlant musique, mouvement et origami, intitulée Il faut savoir dire au revoir, avait des allures de rituel fragile, entre repli du papier et effacement du geste.

Dans « Hors lits », les organisateurs sont bénévoles. Aucun financement extérieur n’intervient. « C’est un acte fort pour s’affranchir des subventions, des contrats, de la paperasse, de l’administration, et dire : maintenant c’est sans intermédiaire », affirme Marie.
Elle insiste sur ce qui fait, pour elle, la singularité et la force de cette forme : la proximité radicale entre l’artiste et son public. « Il n’y a vraiment pas de quatrième mur. Jouer à deux centimètres du public dans un petit espace, ça crée quelque chose d’hyper intime, hyper spécifique. C’est très spécial. » Elle évoque aussi le plaisir, pour les artistes, de présenter des formes courtes et légères, loin des lourds processus de production habituels. « Dès qu’on rentre dans une maison, je trouve que c’est déjà hyper narratif. Le lieu raconte déjà quelque chose. »
En tant que spectatrice, elle dit aimer traverser quatre univers différents au cours d’une même soirée, avec un sentiment de contraste et de découverte rare. Elle n’oppose pas leur démarche à celle des institutions culturelles, mais la situe à côté, dans une logique parallèle, plus spontanée, plus directe. C’est d’ailleurs ainsi que Leonardo Montecchia l’a pensé dès le départ. « Il disait : je voulais jouer, j’en avais marre d’attendre que les théâtres m’appellent. » Car « Hors Lits » est un évènement créé par Leonardo Montecchia et la Cie La Mentira.
A Blois, le public répond largement présent. Une centaine de personnes (le maximum) ont assisté à l’édition de mars 2025, réparties sur deux soirées. La communication, les réservations se font par mail (horslits.blois@gmail.com), par téléphone, par des échanges directs, et une page Facebook (ici). « Chacun ramène un peu des gens déjà. Et petit à petit, les gens viennent nous rejoindre », observe Marie. Le bouche-à-oreille reste la sève de ce théâtre sans affiche, sans rideau, mais plein de présence.
L’avenir ? Continuer. Pour l’instant, deux éditions par an : l’une à l’automne, l’autre au printemps. Si la dynamique le permet, une troisième pourrait s’ajouter. Rien n’est figé. Tout est ouvert, comme les portes des maisons qui, l’espace d’une soirée, deviennent scène sans rideau, loge sans coulisse, refuge pour des formes éphémères et des liens durables.