Jean-Pierre Milesi : « La roche a la vertu d’amener les gens près de la nature »
En ce mois de juillet 2024, Jean-Pierre Milesi est doublement en lumière à Blois. Que ce soit à la Galerie d’art Wilson ou à Fleur de Loire, établissement dans lequel le sculpteur expose son travail en duo avec Madeleine Besson. Une occasion de mieux connaître son œuvre.
Sculpteur et géologue dont le parcours atypique mêle science et art, Jean-Pierre Milesi est né dans une commune riche en marbres gris-bleu de Savoie, Aime-la-Plagne. Son enfance passée dans les bois et les montagnes l’a imprégné d’une fascination pour les roches et les formes qu’elles peuvent prendre sous l’influence de la nature. « A Aime, il y a un rocher qui contient de grands blocs de marbre utilisés bien au-delà de nos frontières, même à New York », nous confirme Jean-Pierre Milesi. Mais sa passion pour la géologie vient d’ailleurs. « Je viens d’une famille de mineurs, donc je dirais que la passion était déjà dans les chromosomes (rires). »
Après une carrière de quarante ans en géologie, explorant plus de cinquante pays et se spécialisant dans les métaux précieux, notamment en Afrique, Jean-Pierre Milesi s’est tourné vers la sculpture en 2014. « Au BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), j’ai vite orienté ma carrière vers la gitologie, qui est l’étude des gisements, explique-t-il. Quand on est géologue, on s’intéresse au milieu dans lequel on est. Nous étudions la roche environnante, souvent en sciant des carottes de sondage, nous polissons aussi de fines sections que nous examinons sous microscope. Pratiquement, les techniques de sculpture, le géologue les a. Il sait trancher, il sait polir. Donc, la transition n’était pas très difficile. En tant que géologue, il faut se mettre en face de la nature, dessiner, peindre…, et je fais les deux, je fais beaucoup de peinture, surtout à l’aquarelle et à l’encre, un peu moins d’huile. Mais comme j’entrepose déjà beaucoup de sculptures, je ne vais pas rajouter plein de tableaux ! (rires) »
Amener à rêver
Ses sculptures sont faites de diverses roches, qu’il collecte en Europe, incluant des marbres, des basaltes, des granites et des serpentinites, qu’il choisit pour leur structure interne et leurs coloris uniques. « Les roches viennent de mes randonnées. Les cartes géologiques sont d’une grande qualité en France, en Italie aussi. Il y a des indications sur des roches un peu particulières. Il y également des ouvrages sur le patrimoine et les pierres qui ont été utilisées. Cela permet de faire de belles ballades. Après, c’est simple, il y a soit des murets ou des bouts de falaises effondrés, soit d’anciennes carrières ou mines où l’on peut trouver des raretés, confie l’artiste-géologue. En retirant les parties altérées et en polissant la pierre, on révèle une géométrie et une forme, ce qui permet d’éviter le syndrome de la page blanche typique de l’écrivain ! C’est juste de la rêverie ensuite. Mais sans aller dans le figuratif. Car il en existe de haute qualité depuis l’Antiquité. Se mesurer à ces maîtres, ce n’est pas si simple. Il faut être modeste. Par contre, amener les gens qui sont actuellement plutôt dans une morosité à rêver devant un objet, oui, cela apporte quelque chose au monde actuel. »
En effet, les œuvres de Jean-Pierre Milesi sont particulièrement influencées par la paréidolie, une illusion qui permet de voir des formes familières dans des objets inanimés. Cette approche l’amène à créer des sculptures de roches aux formes imaginaires, souvent inspirées de chimères ou de figures anthropomorphiques.
Sa démarche artistique vise à partager la beauté cachée de roches parfois oubliées, en magnifiant leur potentiel esthétique à travers la sculpture. « Des marbres ne sont plus utilisés car on préfère acheter en Chine, au Portugal, ou ailleurs. On est maintenant dans une économie industrielle, observe Jean-Pierre Milesi. On a des carrières de marbre blanc magnifique en Haute-Garonne (Saint-Béat) où l’on place de l’explosif pour le transformer en gravillons… Alors que c’était un marbre exploité depuis les Romains, qui a fait la fortune d’une des vallées… Nous sommes dans une époque de pauvreté de la sculpture. J’essaie de valoriser des roches locales, montrant la diversité des marbres français, des Pyrénées au Mans, et en sensibilisant à l’importance de la sculpture et de l’appréciation des matériaux naturels. »
Il y a donc une forme de pédagogie dans ce que propose artistiquement Jean-Pierre Milesi. A ses yeux, enseigner la géologie, notamment aux jeunes, en leur faisant découvrir les roches, leur formation et leur importance, est essentiel. « La roche a la vertu d’amener les gens près de la nature », souligne l’homme.
Il encourage également une interaction tactile avec ses œuvres, cherchant à procurer une expérience sensorielle joyeuse et imaginative pour les visiteurs. « C’est indispensable de toucher la sculpture, si vous ne la touchez pas, vous perdez l’essentiel, assure l’artiste. La fin du travail d’un sculpteur, c’est souvent de toucher la sculpture et de sentir du bout des doigts si, oui ou non, le poli est bien fait, si la forme y est, si la table offre une espèce de stabilité. C’est un peu le diapason de la sculpture, si on n’a pas atteint la note juste, on n’est pas encore arrivé. »
A Fleur de Loire, c’est avec l’artiste peintre Madeleine Besson que Jean-Pierre Milesi expose. A sa grande joie. « On s’entend bien parce qu’elle utilise des pigments naturels, elle travaille ses peintures à partir de plantes qu’elle a elle-même semées dans son jardin, de terre qu’elle a récupérée, d’argile qu’elle va chercher, et donc moi, je mets des pierres que je suis allé récupérer en montagne, remarque l’artiste. C’est important parce qu’on peut arriver à faire finalement des expositions et à présenter une forme d’art simple à partir de roche et à partir de plantes et de matériaux qu’on collecte. C’est bien d’amener les gens à se dire qu’on peut faire nous-mêmes. » Comme un encouragement à redécouvrir et à valoriser les ressources naturelles et culturelles qui nous entourent.