La belle histoire qui s’écrit au château du Guérinet
Dans le Loir-et-Cher, à Orchaise, le château du Guérinet est un site chargé d’histoire, mais il est tout autant le reflet d’une histoire d’amour entre Sylvie et Alain Marc-Estève, une affaire de dévouement et de transmission culturelle.
Sylvie nous raconte son parcours singulier, marqué par une passion intense pour les châteaux et leur histoire. À travers son récit, on découvre une femme investie d’une mission presque spirituelle : sauver, restaurer et transmettre ces monuments chargés de mémoire. Retour sur une vie rythmée par les coïncidences, les défis, et un amour inébranlable pour le patrimoine.
Une fascination née dans l’enfance
L’histoire de Sylvie et des châteaux commence dès son enfance. Pendant les vacances, sa famille se rend régulièrement dans la Loire, près de Roanne, où habite son cousin. Un jour, alors qu’elle court dans les champs, Sylvie, âgée de six ans, aperçoit au loin un château. C’est un véritable choc émotionnel. Elle se souvient encore de cette sidération et de la promesse qu’elle se fait à elle-même : « Quand je serai grande, je veux ça. » De retour à Malakoff, où elle vit au milieu des grandes tours et des immeubles de l’époque, elle joue à la princesse dans le couloir de deux mètres de long de son appartement, drapée dans la robe de chambre de sa mère. Le rêve s’ancre en elle.
Le premier château : une expérience fondatrice
À 28 ans, Sylvie quitte la vie parisienne et réalise une partie de ce rêve en achetant sa première propriété : un ancien hameau des XIIIe et XVe siècles dans les Deux-Sèvres. Ce lieu, mentionné dans les répertoires de Châteaux et demeures, est en ruines, mais Sylvie parvient à financer son acquisition et commence à le restaurer petit à petit. Cette aventure marque un tournant dans sa vie. À cette époque, elle partageait ce projet avec le père de sa fille. Entre ses cours, ses premières expositions artistiques et les travaux de rénovation, Sylvie découvre une profonde satisfaction dans le fait de redonner vie à ce lieu historique. Pendant près de dix ans, elle consacre ses efforts à cette restauration, avant de le vendre pour entamer un nouveau chapitre de sa vie.
La rencontre avec Alain et la quête du Guérinet
Après avoir vendu son premier château, Sylvie décide de reprendre des études d’architecture intérieure à Poitiers. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Alain, qui deviendra rapidement bien plus qu’un compagnon de vie : un véritable partenaire dans ses projets liés au patrimoine. Alain, originaire de la Vienne, a grandi dans une famille passionnée par le karting. Son père consacrait toute son énergie à restaurer et entretenir les véhicules. Cet amour pour la réparation et la préservation semble s’être transmis à Alain, qui, en tant que kinésithérapeute, restaurait les corps, et qui découvre, avec Sylvie, une nouvelle passion : restaurer des bâtiments chargés d’histoire.
Leur connexion est immédiate, portée par une vision commune : celle de ne pas seulement vivre dans des lieux historiques, mais aussi de leur donner une vie nouvelle en les partageant avec les autres. Pour eux, les châteaux ne sont pas seulement des monuments de pierre, mais des gardiens de mémoire qu’il faut préserver et transmettre.
Fort de cette vision commune, Sylvie et Alain décident de partir à la recherche d’un nouveau château, une quête qui va durer près de cinq à six ans. Leur périple les conduit principalement dans le sud de la France, une région qu’ils affectionnent particulièrement. De Pau à Nice, en passant par Toulouse, ils parcourent des kilomètres, visitent des propriétés variées et s’imprègnent de l’histoire des lieux. Durant ces années de recherche, le couple visite une quarantaine de propriétés. Certaines d’entre elles suscitent un véritable coup de cœur, mais des obstacles imprévus les contraignent à renoncer. Parfois, ce sont des travaux bien trop importants à envisager, comme ce château à Laurentie, près de Toulouse, qui les séduisait par sa belle chapelle mais nécessitait des rénovations colossales. D’autres fois, ce sont des déceptions liées à des choix destructeurs de propriétaires. Un exemple marquant est celui d’un château avec un vignoble historique. Lorsqu’ils arrivent sur place, ils découvrent avec stupeur que le vignoble, constitué d’un cépage ancien et rare, avait été arraché.
Chaque visite les rapproche de leur objectif, mais leur impose aussi des ajustements. Sylvie et Alain apprennent à analyser chaque propriété avec soin, combinant l’élan du coup de cœur avec une approche pragmatique. « Avant de signer quoi que ce soit, un papier, un crayon et on fait les plus et les moins », disait toujours le père de Sylvie, un conseil qu’ils appliquent scrupuleusement.
Un jour, alors qu’ils cherchaient encore dans le sud, Alain tombe sur une annonce pour un château dans le Loir-et-Cher. Au premier abord, Sylvie hésite. Habituée aux paysages ensoleillés et aux teintes chaudes du sud, elle n’est pas convaincue. Mais Alain insiste : « Allons-y, juste par curiosité. » Face à sa persévérance, elle accepte.
Lorsqu’ils arrivent sur les lieux, ils empruntent un chemin qui traverse une forêt dense. Au bout, le château du Guérinet se dévoile soudainement. Ce moment reste gravé dans leur mémoire. « C’est mystérieux, et puis d’un coup, le château te saute à la gueule », raconte Sylvie. Ce fut un véritable coup de cœur. Contrairement à de nombreuses autres propriétés qu’ils avaient visitées, le Guérinet était en bon état général. Certes, des travaux étaient nécessaires, mais le potentiel du lieu était évident. Ce 41e château qu’ils visitaient réunissait toutes les conditions qu’ils cherchaient : un lieu avec une âme, chargé d’histoire, et suffisamment préservé pour qu’ils puissent envisager sa restauration sans être submergés par l’ampleur des travaux. Cette fois-ci, l’histoire semblait être de leur côté, et Sylvie et Alain savaient qu’ils venaient de trouver leur nouveau foyer.
Calmann-Lévy
L’histoire du château du Guérinet prend une nouvelle dimension lorsque Sylvie et Alain découvrent ses liens avec l’éditeur Georges Calmann-Lévy (1859-1937). Cette révélation survient lors de la troisième visite du château, quand l’agent immobilier mentionne ce détail historique. Pour Sylvie, grande amatrice de littérature, cette information agit comme un déclic émotionnel. « Mon cœur a fait des bonds. » Elle réalise que ce lieu, au-delà de son architecture et de son charme, porte également une mémoire littéraire riche.
Le nom de Didier de Chousy, ancien propriétaire et membre de la famille ayant fait bâtir le château actuel, apparaît comme un autre point marquant. Écrivain du XIXe siècle, il publie un roman intitulé Ignis en 1870, qui évoque pour la première fois des robots dans la littérature française. Cette découverte fascine Sylvie, qui voit dans ce lien un enrichissement supplémentaire à l’histoire littéraire du Guérinet.
Une coïncidence incroyable : le lien entre le Guérinet et un château de son enfance
Parmi les moments marquants de l’histoire de Sylvie et du Guérinet, une incroyable coïncidence vient renforcer son attachement à ce lieu. Cette révélation découle d’une rencontre fortuite orchestrée par son amie Eliane, une habitante du village où Sylvie passait ses vacances enfant. Eliane, amie avec les propriétaires d’un château proche, propose à Sylvie de lui organiser une visite. Ce château dont elle a oublié les contours n’est autre que celui qui avait bouleversé Sylvie lorsqu’elle était âgée de six ans, celui qu’elle avait aperçu au loin, en courant dans les champs, et qui avait éveillé sa fascination pour les châteaux.
Or, lorsqu’elle arrive sur les lieux, Sylvie est frappée par une étrange sensation de familiarité. En débouchant du chemin qui mène au château, elle s’arrête, stupéfaite : « Ce n’est pas possible, c’est le même que le Guérinet ! Mais ce n’est pas possible. » L’émotion est intense, et la ressemblance entre les deux bâtiments est troublante. Ce château qu’elle voulait « plus grande » est à l’image du Guérinet !
Pendant la visite, Sylvie engage la conversation avec le propriétaire. Celui-ci mentionne alors le nom complet de sa famille : de Nompère de Cadore de Champagny. Ce détail intrigue immédiatement Sylvie, qui lui confie : « Tiens, c’est marrant, parce que nous avons une allée de Cadore au Guérinet. » Cependant, le propriétaire reste sceptique et répond : « Cela me paraît impossible, c’est sûrement une déformation du nom, car nous sommes la seule famille de Champagny. »
Cette rencontre marque un point de départ. Quelques semaines plus tard, Alain, en consultant les actes notariés liés à l’histoire du Guérinet, fait une découverte majeure. Il réalise que la mère de celui qui a fait construire le Guérinet portait effectivement le nom de Nompère de Cadore de Champagny. Cela établit un lien direct entre les deux châteaux, confirmant une connexion historique et familiale que Sylvie n’aurait jamais imaginée.
Pour Sylvie, cette découverte prend une dimension presque métaphysique. Elle confie : « Je devais vraiment être ici. Une chance sur combien de millions ? » Ce lien inattendu entre le Guérinet et le château de son enfance renforce son sentiment d’avoir trouvé sa place, comme si toutes les pièces du puzzle de sa vie s’assemblaient enfin. Cette synchronicité, qui dépasse la simple coïncidence, illustre parfaitement l’idée que certains lieux sont faits pour rencontrer certaines personnes. Pour Sylvie, ce moment n’a fait que confirmer sa mission : restaurer et préserver ces bâtiments, porteurs de mémoire et d’histoires, pour les transmettre aux générations futures.
Un lieu vivant : des chambres d’hôtes et des événements culturels
Depuis leur arrivée, Sylvie et Alain ont transformé le château du Guérinet en un lieu de partage. Ils proposent trois chambres d’hôtes, chacune portant le nom de personnalités liées à l’histoire du château : Anatole France, Sarah Bernhardt et Marguerite de Lariboisière. Ce projet n’a rien de commercial : les prix sont abordables, dans l’espoir d’attirer de jeunes passionnés de patrimoine.
En parallèle, le château est devenu un centre d’activités culturelles. Sylvie et Alain accueillent des artistes durant la Promenade Artistique de Molineuf, des conférences et autres événements dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire, proposent un concert de musique classique avec Sébastien Gresse et les Douves d’Onzain, ou encore des lectures et même des tournages de films, comme une version revisitée de La Princesse de Clèves, où tous les rôles étaient tenus par des femmes.
En visitant le Guérinet, on ne peut qu’être frappé par l’énergie et la passion qui animent Sylvie et Alain. En ouvrant les portes du château, ils offrent aux visiteurs un espace où la mémoire et la créativité se rencontrent.
Malgré tout, Sylvie exprime une certaine frustration : « Des châteaux, moi, j’aurais voulu en sauver dix, et je ne peux pas. » Cette mission dépasse les raisons pratiques ou rationnelles : « C’est quelque chose de l’ordre du cœur. » Quoi qu’il en soit, c’est un véritable héritage vivant qui s’offre au château du Guérinet.