Le temps du vivant dans l’objectif d’Audrey Lange

Il y a quatre ans, au Parc floral de Paris, Audrey Lange, encore marquée par le confinement et la perte récente de son père, se plonge dans un projet photographique intime et poétique, mettant en lumière le monde fascinant des bonsaïs. Aujourd’hui, elle expose cette série singulière à la Galerie Wilson, à Blois, jusqu’au 28 septembre 2024, comme une invitation aux mystères.
Artiste polymorphe, Audrey Lange allie ses expériences de comédienne et de cinéaste à sa pratique photographique, créant ainsi un pont entre la mise en scène, le vivant et la matière. Avec cette série dédiée aux bonsaïs, elle expose comment son œil a découvert ces êtres végétaux tout en cherchant un sens à l’enfermement du confinement et à son deuil personnel.
La nature comme refuge, les bonsaïs comme miroir
Après avoir passé des mois cloîtrée dans un appartement parisien exigu avec sa fille, la photographe a trouvé refuge dans la nature, plus précisément au pavillon des bonsaïs du parc floral. Ces arbres, miniatures mais monumentaux par leur présence, ont éveillé en elle un sentiment de liberté retrouvé. La différence d’échelle entre ces petits arbres et les grands cieux qu’elle redécouvrait après des mois d’enfermement faisait écho à sa propre aspiration à s’échapper du quotidien.
« J’ai vu une corrélation avec ce que nous étions en train de vivre avec le Covid. Ces arbres sont contraints, rabougris dans leurs petits chaussons, et cela résonnait avec notre propre situation », confie Audrey Lange. « Et puis, c’était comme s’ils portaient en eux le secret d’un monde parallèle, une porte ouverte sur un autre espace-temps. »
Dans ses photographies, on retrouve cette impression presque fantastique. Les bonsaïs, loin d’être de simples sujets inertes, sont vivants. À travers son objectif, les torsions tortueuses des bonsaïs deviennent des entités à part entière, des créatures qui échappent aux regards distraits.
Un échange de regards
Ce qui distingue véritablement cette série, c’est l’approche intime et sensible qu’Audrey Lange adopte. Plutôt que de simplement observer ces arbres miniatures, elle a cherché à capturer un échange. « À un moment, je me suis sentie regardée », se souvient-elle. « C’est ce regard-là que j’ai voulu capter : le regard du bonsaï sur notre monde. »
Une œuvre née du deuil et de la renaissance
Cet échange de regards donne toute la profondeur à ses clichés, où les bonsaïs semblent avoir une âme. « Ce monochrome permet de rendre les créatures plus visibles. Cela invite à la contemplation et à atteindre une autre temporalité. Avec ma fille, nous avons vraiment fait un travail d’introspection, en nous perdant dans tous ces détails et en nous demandant : ce ne sont pas des créatures qui nous regardent, qui nous contemplent ? Il faut ralentir pour comprendre. » Pour Audrey Lange, la photographie devient un dialogue, une conversation silencieuse entre le photographe et son sujet. « D’une certaine façon, cette série, c’est un échange de regards, un dialogue », explique-t-elle. « Comment nous voyons le monde des bonsaïs, et comment, peut-être, eux nous voient. »
Un projet sur le cancer : accompagner la transformation du corps
En parallèle de la série « Bonsaïs », Audrey Lange présente Shalima un projet réalisé en collaboration avec Catherine Blanchet, en lutte contre un cancer du sein. Ce projet, fait de propositions et de rebonds entre les deux femmes, est né d’une volonté initiale d’accompagner son amie à travers les transformations que son corps allait subir, avant et après l’opération.
« Quand Shalima m’a annoncé son cancer, je me suis dit qu’il fallait que l’on trouve une manière de l’accompagner à traverser cela. Je lui ai proposé de faire une séance photo avant l’opération et une autre après, puis de continuer à son rythme, selon ses besoins. » Deux photographies sont exposées Galerie Wilson, dont « La Madone au voile noir »
La première séance a lieu chez Shalima, avec un simple téléphone portable. « Elle m’a demandé si j’avais pris mon appareil photo. Comme je ne voulais pas m’imposer, je ne l’avais pas pris. Mais nous avons fait les premières photos avec un téléphone. » À travers ces images, Shalima réapproprie son corps en mutation.
Après l’opération, elles continuent le projet ensemble, réalisant des séances régulières. « Nous avons cherché à capturer les transformations, les métamorphoses. Il y a notamment une photo où elle est nue, maquillée par son compagnon, et nous avons exploré l’idée de son animal totem, de la guérisseuse en elle. »
Audrey Lange décrit aussi un triptyque particulièrement émouvant qui montre la perte des cheveux, des sourcils et des cils de Catherine pendant la chimiothérapie. « Nous avons réalisé un triptyque où elle disparaît progressivement dans l’espace, adoptant une position fœtale. Elle se sentait tout diminuer, disparaître. »
La question de la féminité et de la maternité
Le projet sur Shalima soulève également des questions plus larges sur la féminité et la maternité. « Les oncologues lui ont dit : On vous sauve la vie, mais pour la maternité, faites le deuil. »
Audrey Lange évoque la photo particulièrement marquante où Shalima est représentée en madone. « Elle n’a plus de sein, elle n’a pas d’enfant dans les bras. C’est une madone sans bébé. Cela soulève des questions sur la maternité, la féminité, et sur ce que cela signifie d’être une femme dans notre société. »
Audrey Lange souligne que, malgré les progrès de la société, cette question reste souvent posée aux femmes, même en 2024. « On interroge encore souvent les femmes qui n’ont pas d’enfant par choix
ou pas. C’est impudique ou culpabilisant. Il y a cette attente implicite que la maternité est la finalité de toute femme. Or, ce n’est pas forcément le cas. Chaque femme doit pouvoir choisir ce qui la définit, en dehors de ce rôle social. »

Une invitation à l’imaginaire
Audrey Lange conclut en expliquant comment ses œuvres, qu’il s’agisse des bonsaïs ou de la série sur le cancer, laissent une grande place à l’imaginaire du public. Lors de ses expositions, elle a constaté que chacun.e interprète les images à sa manière. « Des personnes me disent qu’elles voient des escargots dans mes photos, d’autres voient des personnages ou des créatures. C’est fascinant de voir comment l’imaginaire des gens s’empare des images. »
C’est pourquoi elle a décidé de ne pas donner de titres à certaines de ses photos, afin de permettre à chacun de projeter sa propre histoire sur ce qu’il voit. « Je veux que chaque personne puisse s’asseoir face à mes photos et raconter son propre film, sa propre histoire. »
Audrey Lange expose ses photographies en ce mois de septembre Galerie Wilson aux côtés de Marie Frost et Valéry Trillaud. L’entrée est libre et accessible aux personnes à mobilité réduite, avec des horaires d’ouverture du mercredi au vendredi de 14h à 19h, et le samedi de 10h à 19h.