Réinventer les bords de Loire : le projet REGARDS et ses nouvelles façons d’habiter le paysage

De mars à octobre 2024, un projet inédit a animé les rives sud de la Loire à Blois, entre les ponts Jacques Gabriel et François Mitterrand. Baptisée REGARDS, cette initiative collective et expérimentale a réuni des étudiant.es, des enseignant.es, des professionnel.les et des élus pour repenser l’usage de cet espace emblématique. Porté par la Mission Val de Loire UNESCO et les collectivités locales, le projet a mobilisé* trois écoles créatives locales : l’École de la Nature et du Paysage (INSA Centre-Val de Loire), l’École ETIC et le pôle supérieur Design et Métiers d’Art du lycée Camille Claudel. Il était à l’honneur mardi soir à la Halle au grains en clôture du festival Génération Climat.
Un processus aussi important que le résultat
Pour Nicolas Orgelet, élu en charge du projet, REGARDS va au-delà d’objectifs esthétiques ou fonctionnels : « L’enjeu, c’était de redonner aux gens le pouvoir d’agir. Pour moi, la réappropriation passe par la création d’un processus qui permet de questionner et d’interagir avec l’espace, et non par l’imposition d’un belvédère ou d’un mobilier figé. »
Cet objectif s’est traduit par la mise en place d’un comité citoyen, culturel et scientifique, qui a interrogé les habitants sur leur rapport à la Loire. Ninon Bardet, coordinatrice, explique : « On a voulu donner aux citoyens un regard différent sur la Loire, en associant des artistes, des scientifiques et des habitant.es à la réflexion. La Halle aux grains nous a aidés à organiser des ateliers et des programmations culturelles pour explorer ces questions. »
La richesse de l’expérimentation collective
Le projet a impliqué une collaboration entre disciplines, une démarche parfois complexe mais enrichissante. Christophe Le Tonquin, enseignant à l’École du paysage, souligne : « Nos étudiants, surtout en première année, découvrent souvent le travail manuel pour la première fois. Construire des structures sur le terrain, manipuler des matériaux comme le bois et la pierre, ce n’est pas évident. Mais c’est une pédagogie du terrain qui leur permet de comprendre comment un paysage répond à une intervention. »

De leur côté, les étudiant.es en design graphique ont dû adapter leurs pratiques à des contraintes inédites. Catherine Douvalet, responsable pédagogique de l’École ETIC, reconnaît : « Ils sont partis sur des projets très ambitieux, parfois déconnectés des réalités du terrain. Mais cette confrontation leur a permis d’apprendre et de trouver des solutions adaptées. »

Des défis climatiques et techniques
Le caractère vivant et mouvant de la Loire a ajouté une dimension imprévisible au projet. Sophie Guillet, étudiante en design d’objets, témoigne : « Le cône d’écoute que nous avions conçu a été malmené par les crues et les intempéries. Il s’est retrouvé incliné, retourné… Cela nous a appris à adapter nos créations aux réalités du terrain. » Pour Jérôme Gaucher, enseignant au lycée Camille Claudel, ces imprévus sont une richesse pédagogique : « Jusqu’à la livraison des projets, il y a eu des surprises. Nous avons appris à revenir constamment sur le site, à ajuster nos idées et à faire face à des défis imprévus. »

Les créations réalisées dans le cadre de REGARDS reflètent une grande diversité d’approches. On peut citer des textes disposés le long des chemins, un cône d’écoute pour capter les sons de la nature, ou encore un fanzine graphique inspiré des noms des rues du quartier Vienne. Alexis Raymond, designer et accompagnateur des étudiants, note : « Ce projet a permis de développer une colonne vertébrale solide, grâce aux retours d’expérience et aux échanges entre disciplines. C’est une approche qui s’enrichit. »
Pour les habitant.es, ces installations ont offert un nouveau regard sur leur environnement. Certains ont découvert des aspects insoupçonnés des bords de Loire. Nicolas Orgelet souligne l’importance de cet impact : « Ce que je trouve intéressant, c’est que ces projets sont éphémères, tout comme la Loire est vivante et en perpétuel mouvement. Cela nous oblige à réfléchir différemment. »

Un projet valorisé et pérennisé
Le projet REGARDS ne s’arrête pas là. L’initiative revient en 2025 en bord de Loire. Elle sera renouvelée en 2026, cette fois sur un nouveau site : La Vacquerie, un espace maraîcher à Blois. « L’idée est de travailler sur l’appropriation de ce lieu par les habitants, avec des conceptions graphiques et du mobilier urbain », explique Nicolas Orgelet. « Contrairement aux bords de Loire, La Vacquerie est moins soumise aux aléas naturels, ce qui permettra de penser des aménagements pérennes. »

Au-delà des installations, REGARDS a marqué ses participants par sa richesse humaine et pédagogique. Ingrid Carrel, étudiante en graphisme, résume : « Ce projet nous a permis de sortir de l’école et de découvrir une grande liberté dans nos créations, tout en apprenant à composer avec des contraintes réelles. » Pour Ninon Bardet, le succès de cette initiative repose sur la capacité des enseignant.es, des étudiant.es et des partenaires à s’approprier le projet : « Cela montre que, lorsqu’on donne un cadre, mais qu’on laisse aussi une grande part à l’expérimentation et à l’adaptation, on peut faire émerger des projets réellement innovants et contemporains. »
Avec REGARDS, Blois cherche à réinventer ses relations avec la Loire, en mêlant innovation, pédagogie et participation citoyenne. Ce projet démontre que la créativité, lorsqu’elle s’appuie sur la collaboration et l’expérimentation, peut transformer durablement nos paysages naturels… et culturels.

*Coordination générale : Nicolas Orgelet, Jane Dumont, Ninon Bardet. Encadrement professionnel et pédagogique : Alexis Raymond, Hector Moritch, Jérôme Gaucher, Vanessa Bourdier, Ambre Habeau, Catherine Beauvallet, Julio Gallegos. Soutien technique : L’équipe du Centre Technique Municipal de Blois (Richard, Patrick, Yacine). Partenariat avec La Ralingue : Association en charge de la veille et de la maintenance des prototypes sur site.
Crédits photographiques : Christophe Le Tonquin, Nicolas Lenartowski, Jérôme Gaucher, Alexis Raymond.