Si le simple est vertueux, le banal mène-t-il inévitablement à l’ennui ?

Lorsque la simplicité est considérée comme une vertu, elle porte en elle une promesse de paix, d’équilibre et d’authenticité. Pourtant, face à la banalité – cette répétition routinière, ce manque de relief – surgit une autre question : le banal mène-t-il inévitablement à l’ennui, voire à une forme d’érosion subtile de soi ?
La simplicité : une aspiration profonde
La simplicité, lorsqu’elle est choisie, élève l’esprit. Henry David Thoreau, dans Walden, prône un retour à l’essentiel, où chaque geste, chaque choix devient un écho de notre nature authentique. La simplicité, loin d’être une privation, devient une richesse intérieure. Dans les relations, elle peut signifier une connexion vraie, une fluidité naturelle où chacun est à sa place, où rien n’est superflu.
Simone Weil, dans La Pesanteur et la Grâce, rappelle que la simplicité est aussi une exigence. Elle demande une attention absolue à ce qui est, une lucidité face aux illusions. Une relation fondée sur une simplicité véritable ne tolère ni faux-semblants ni concessions démesurées à ce qui n’alimente pas l’âme.
Mais la simplicité peut être trompeuse. Ce qui semble simple n’est pas toujours vertueux ; parfois, c’est simplement ce qui est à portée de main, ce qui demande le moins d’effort. La vraie simplicité exige un discernement : est-elle choisie par conviction ou acceptée par paresse ou peur ?
La banalité comme ombre de la simplicité
La banalité est l’ombre de la simplicité. Là où cette dernière inspire, la banalité érode doucement. Martin Heidegger, dans Être et Temps, parle du « On » comme d’une dilution de l’individu dans un conformisme quotidien. Dans une relation, la banalité peut s’installer sournoisement : des conversations prévisibles, des gestes mécaniques, un horizon limité. Ce qui semblait initialement rassurant devient une prison silencieuse.
Hannah Arendt, dans La Condition de l’homme moderne, avertit que la banalité, lorsqu’elle n’est pas interrogée, engendre une forme de stagnation. Dans une vie partagée, elle peut signifier l’acceptation d’un compromis sans saveur, où l’on se contente de peu, non par vertu, mais par habitude. Dans le contexte d’une relation, la banalité peut être confondue avec la stabilité. Mais est-elle vraiment un terreau fertile, ou simplement un terrain où l’on s’installe parce qu’il est moins risqué que d’explorer d’autres paysages ?
Et seuil de l’ennui
L’ennui est le murmure discret de l’âme face à un désaccord entre ce qu’elle vit et ce qu’elle désire. Søren Kierkegaard, dans Ou bien… ou bien…, explore cette tension. Pour lui, l’ennui profond n’est pas une faute, mais une alarme existentielle. Dans une relation où la banalité domine, l’ennui peut être le premier signe d’une déconnexion, non pas avec l’autre, mais avec soi-même.
Walter Benjamin voit dans l’ennui une force ambivalente. Il est à la fois paralysant et libérateur, une invitation à s’arrêter et à réfléchir. Dans une vie amoureuse, l’ennui peut révéler des vérités que l’on tente d’éviter : des rêves étouffés, des aspirations trahies. Ignorer l’ennui, c’est souvent choisir de rester dans l’illusion que « ça ira ».
Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, propose un remède radical à l’ennui : la création. L’ennui ne doit pas être enduré, mais transcendé. Dans une relation, cela peut signifier un effort conscient pour redécouvrir ce qui inspire, pour ne pas se contenter de l’ordinaire.
La simplicité, lorsqu’elle est authentique, offre un épanouissement. Mais lorsque ce qui est simple n’est pas choisi mais accepté par résignation, elle devient une fausse vertu, une façade derrière laquelle s’installe la banalité. Dans une relation, cela peut signifier un choix qui, bien qu’il semble raisonnable ou pratique, ne nourrit pas l’âme.
Une invitation à l’éveil
Le philosophe contemporain Byung-Chul Han, dans La Société de la fatigue, rappelle que l’époque moderne valorise souvent la facilité au détriment de l’intensité. Une relation qui semble confortable mais manque de profondeur peut refléter cette tendance : éviter le risque, éviter l’effort, au prix de l’authenticité.
La simplicité, pour être vertueuse, doit être le fruit d’un choix conscient, éclairé par une connaissance de soi et de ses besoins. Dans une relation, cela signifie reconnaître si ce qui semble simple et rassurant est véritablement nourrissant ou s’il masque une banalité qui, à terme, étouffera l’élan vital.