Vie locale

Tout savoir sur l’illettrisme et « La Dictée du Rotary » organisée à Blois

Le Rotary Club International de Blois – via les clubs Rotary Blois Loire et Châteaux et Blois Sologne -organise – ce samedi 23 mars 2024 à 14h – une nouvelle édition de « La Dictée du Rotary » à l’INSA, à Blois, avec pour objectif de lutter contre l’illettrisme.

La dictée, corrigée par Bertrand Renard, ancien animateur de l’émission « Des chiffres et des lettres » et parrain de l’édition, est ouverte à tous les groupes d’âge et bénéficie du soutien d’Aline Le Guluche, auteure engagée (interview à lire ci-dessous) contre l’illettrisme avec « J’ai appris à lire à 50 ans » et « Mon combat contre l’illettrisme » (Éditions Prisma). Les fonds collectés seront reversés au Centre Ressources Illettrisme Analphabétisme (CRIA 41) du Loir-et-Cher, association loi 1901.

Mais, « c’est une initiative d’envergure nationale axée sur la lutte contre l’illettrisme », explique Jean-Jacques Lambert, président du Rotary Blois Loire et Châteaux. « Elle est caractérisée par l’organisation de dictées, permettant de sensibiliser de manière ludique à cette cause. Cette initiative se distingue par la rencontre d’intervenants clés tels qu’Aline Le Guluche, ou la participation du CRIA 41, qui œuvre spécifiquement contre l’illettrisme. L’aspect convivial de ces dictées est renforcé par la présence de Bertrand Renard, qui non seulement dicte mais corrige également les textes. En outre, c’est une excellente occasion de discuter et de mettre en lumière des statistiques impressionnantes et significatives concernant l’illettrisme en France. Il faut savoir que 7% de la population française est touchée, et 10% des Loir-et-Chériens. Cela représente un poids considérable pour les individus, les entreprises, et la société en général. L’objectif n’est pas de stigmatiser, mais plutôt de créer un élan positif autour de cette cause, incitant ainsi à une prise de conscience et à une action collective. »

Michel Pillefer, Aline Le Guluche et Jean-Jacques Lambert

« En parallèle, nous cherchons à élargir notre champ d’action en collaborant avec les entreprises, ajoute Michel Pillefer. L’idée est de sensibiliser les dirigeants et les DRH à l’importance de s’attaquer à l’illettrisme au sein de leurs équipes. Geneviève Baraban joue un rôle clé dans cette démarche, en poussant les entreprises à reconnaître et à agir face à l’illettrisme. »

Une prise de conscience est nécessaire, car il faut le souligner : un habitant sur dix dans le Loir-et-Cher est illettré. On le côtoie sans connaître les difficultés qu’il ou elle rencontre. « J’avoue humblement ne pas avoir toujours pris le temps de réfléchir aux vraies raisons derrière le comportement de certaines personnes. Peut-être ai-je, à tort, attribué leur réaction à d’autres causes sans jamais penser à l’illettrisme, que je commence seulement à découvrir maintenant, confie Michel Pillefer. Peut-être ai-je rencontré des personnes souffrant d’illettrisme sans le savoir, et ai-je simplement trouvé d’autres explications à leur situation. Cela souligne l’importance de sensibiliser les dirigeants d’entreprise. Si un collaborateur rencontre des difficultés dans l’exercice de ses missions ou refuse de nouvelles responsabilités, cela peut indiquer un blocage, peut-être dû à l’illettrisme. J’aime l’idée d’Aline Le Guluche de proposer des tests simples à la médecine du travail. Soulignons qu’il y a un avantage tant pour l’entreprise que pour le collaborateur. Un employé épanoui contribue davantage à son entreprise, mais au-delà, il s’agit d’améliorer la qualité de vie de chacun.« 

La Dictée du Rotary 2024 Blois

Aline Le Guluche :

Aline Le Guluche est une figure inspirante dans la lutte contre l’illettrisme, ayant appris à lire à l’âge de 50 ans après avoir passé sa vie à dissimuler ses difficultés. Née dans une famille modeste d’agriculteurs dans les Yvelines, l’école et la lecture occupaient une place secondaire par rapport au travail à la ferme. Aline a été scolarisée tardivement et a rapidement quitté l’école pour entrer dans la vie active, souffrant de dyslexie dans une époque où cette condition était peu comprise et encore moins soutenue. Son parcours scolaire a été marqué par des débuts difficiles, notamment un enseignant du CP violent, qui a exacerbé sa peur et son rejet de l’école, contrastant avec le soutien d’un enseignant plus bienveillant en CE1​​.

Aline Le Guluche a camouflé son illettrisme toute sa vie, utilisant des stratégies pour éviter d’être découverte, comme mémoriser les menus à l’hôpital où elle travaillait. Cette dissimulation constante lui a coûté en termes de honte et d’anxiété​​.

Sa décision d’apprendre à lire à 50 ans a été motivée par le désir de s’émanciper et de prendre confiance en elle. Aline Le Guluche a participé à une formation sur « les compétences clés » qui lui a permis de reprendre confiance et d’obtenir son CAP d’intendante hôtelière, marquant le début d’une nouvelle vie où elle a finalement pu lire par elle-même​​​​. Son histoire, racontée dans son livre J’ai appris à lire à 50 ans, illustre son parcours d’émancipation et son engagement à partager son expérience pour aider d’autres personnes dans des situations similaires​​.

Devenue porte-parole du programme national de lutte contre l’illettrisme des femmes, Write Her Future, initié par Lancôme, Aline Le Guluche incarne la possibilité de changement et la capacité de surmonter des défis personnels importants, même tard dans la vie​​.

Blois Capitale : L’illettrisme est particulièrement dissimulé en milieu professionnel ?

Aline Le Guluche : Il est vrai que les signaux d’illettrisme peuvent être faibles ou même dissimulés au sein des entreprises. Personnellement, j’ai travaillé dans une usine de pâtisserie où ma capacité à lire et à écrire n’était pas requise. J’étais simplement contente d’être embauchée pour utiliser mes bras, ce qui me convenait parfaitement. Cependant, la vie en entreprise et les changements de situation m’ont montré combien l’illettrisme peut être handicapant. On ne peut pas rester éternellement au même poste; les changements sont inévitables.

Lorsque j’ai dû changer de poste, chaque évolution était une épreuve. Les angoisses, le mal-être, et parfois la colère, m’ont beaucoup affectée. J’ai demandé une remise à niveau à mon chef de cuisine, qui m’a répondu qu’il n’y avait pas de besoin pour cela. Pourtant, il est essentiel que les chefs d’entreprise prennent conscience de l’importance de soutenir leurs employés dans leur développement personnel, pour qu’ils soient éveillés, heureux, et libres dans leur vie professionnelle.

J’ai souvent eu des idées que je ne pouvais pas transmettre par écrit, ce qui m’a empêché de recevoir la reconnaissance méritée. Être illettré ne signifie pas être incapable ou stupide. Souvent, l’échec scolaire est le résultat de divers facteurs, y compris le milieu familial et l’expérience éducative. J’ai dû lutter pour cacher mon illettrisme, utilisant des couleurs et des abréviations pour compenser.

Dans le monde du travail, il est crucial de savoir lire et écrire, car cela affecte non seulement les performances professionnelles mais aussi la gestion des tâches quotidiennes et la sécurité au travail. La remise à niveau et la formation aux outils informatiques devraient être indispensables et obligatoires, sans pour autant constituer un obstacle à l’embauche.

L’illettrisme pose également des risques en termes de sécurité, surtout dans les secteurs manuels où les consignes de sécurité doivent être lues et comprises. Une solution pourrait être de réaliser des tests de dyslexie dès l’école primaire, et pourquoi pas dans les entreprises, pour identifier et prendre en charge les troubles d’apprentissage le plus tôt possible.

Enfin, les entreprises pourraient jouer un rôle crucial dans la détection de l’illettrisme et la mise en place de formations adaptées. Mon expérience personnelle, où mon entreprise m’a offert une formation clé, illustre bien l’importance de telles initiatives. Malgré les difficultés, il est possible de surmonter l’illettrisme avec le soutien adéquat, ouvrant la voie à de nouvelles opportunités d’apprentissage et d’évolution professionnelle.

Blois Capitale : Votre déclic à l’âge de 50 ans correspond une situation d’urgence conjugale et à une recherche d’autonomie…

Aline Le Guluche : Beaucoup de motivations personnelles m’ont poussée à évoluer. Cependant, il y a eu également des éléments extérieurs qui m’ont incitée à agir. Au travail, par exemple, le regard et les insultes des autres, me disant que je n’étais pas bonne à grand-chose et qu’on ne pouvait rien me confier, ont été des facteurs décisifs. Voir de nouvelles personnes avancer alors que nous restions au bas de l’échelle, malgré des années d’expérience et la capacité de faire mieux, a été difficile à accepter. Cela a souligné mon absence de compétences en écriture et lecture comme un frein à ma progression, alors même que je me sentais avoir une réelle valeur pour l’entreprise.

« J’étais épuisée tant physiquement que moralement »

À cette époque, je n’avais reçu aucun soutien extérieur. Malgré l’aide de mes enfants, qui ont écrit des lettres à ma DRH pour moi, ces efforts ont été ignorés sous prétexte que les lettres étaient bien écrites et sans fautes d’orthographe. Face à cette situation, j’ai dû moi-même demander une remise à niveau, car j’étais épuisée tant physiquement que moralement, et j’avais perdu foi en mon travail et en moi-même. L’estime de soi est cruciale, car sans elle, il est difficile de s’intégrer, de participer pleinement à la vie professionnelle et personnelle.

Ma vie personnelle a également été un déclencheur. Mon premier mariage s’est mal passé, marqué par des abus physiques et un sentiment de dépendance. Après mon divorce, j’ai rencontré une personne qui a abusé de moi financièrement, entraînant des dettes considérables. Cela m’a menée à un point où j’ai dû choisir entre surmonter mes difficultés ou me laisser submerger par elles, ayant même envisagé le suicide. Cependant, l’amour pour mes enfants et la volonté de vivre une vie pleine à 50 ans m’ont poussée à chercher de l’aide et à retourner à l’école.

Grâce à cette expérience, je suis désormais capable de détecter chez d’autres personnes les signes d’illettrisme, qu’il s’agisse de leur comportement ou de leur parcours de vie. J’ai rencontré des individus de tous horizons, y compris des chefs d’entreprise qui, comme moi, ont dû surmonter l’illettrisme avec l’aide de leur famille ou d’autres soutiens pour réussir.

Mon combat contre l’illettrisme m’a également conduit à utiliser des outils comme l’ordinateur, qui sont devenus mes alliés. Après avoir repris des études et obtenu un CAP en hôtellerie, j’ai réalisé l’importance de la connaissance et de la formation continue. Cela m’a motivée à devenir porte-parole dans la lutte contre l’illettrisme et à écrire un livre sur mon expérience, avec le soutien de partenaires comme Lancôme et d’autres organisations.

Aujourd’hui, je suis une femme libre, capable de gérer ma vie sans dépendre de personne. Si je pouvais adresser un message à ceux qui, à 20, 30 ou 40 ans, hésitent encore à chercher de l’aide, je leur dirais que l’éducation est une arme puissante. Il n’est jamais trop tard pour apprendre et changer de direction dans la vie. Mon histoire est la preuve que, malgré les obstacles, il est possible de surmonter l’illettrisme et de vivre une vie épanouie et autonome.

Blois Capitale : Dans le contexte actuel, marqué par une omniprésence de l’électronique et du numérique, les difficultés s’amplifient pour les personnes illettrées ?

Aline Le Guluche : Et pas seulement elles… Ces technologies, censées faciliter la vie, deviennent un obstacle quand elles introduisent de nouveaux usages numériques. Par exemple, avant, tout était plus simple : les chiffres et les informations nécessaires étaient directement accessibles. Maintenant, il faut naviguer dans des menus, cliquer sur des icônes, et gérer des problèmes administratifs de manière digitale, ce qui représente un véritable défi.

Il m’a été dit que chercher de l’aide auprès d’un orthophoniste pourrait bouleverser mes méthodes d’apprentissage habituelles. J’ai développé mes propres stratégies pour compenser mes difficultés. J’écris lentement à la main, ce qui me permet de réfléchir et de m’engager dans des activités comme les dictées, qui, malgré les erreurs, me sont bénéfiques et stimulantes. Cependant, la crainte de perdre mes repères en changeant ces stratégies est réelle. C’est pourquoi l’intervention d’orthophonistes dès le CP est cruciale. Détecter et adresser ces difficultés dès l’enfance pourrait prévenir l’illettrisme, évitant ainsi de perpétuer ce cycle.

Blois Capitale : Pouvez-vous partager votre expérience personnelle et professionnelle en matière de lutte contre l’illettrisme, notamment en ce qui concerne l’impact positif de l’engagement des entreprises dans ce domaine ?

Aline Le Guluche : Une entreprise qui aide un ouvrier à sortir de cette misère, car oui, il s’agit bien de misère, s’assure non seulement sa gratitude mais aussi son dévouement accru. C’est une évidence pour moi, notamment grâce à ma DRH qui a été un véritable rayon de soleil dans ma vie, simplement en prenant le temps de m’écouter. Cela montre combien il est valorisant pour les entreprises de porter un regard bienveillant sur les ouvriers en difficulté et de les aider à s’en sortir. Au final, l’entreprise y gagne aussi : moins d’accidents, moins de problèmes liés au travail, et une meilleure compréhension entre les employés, par exemple, dans la gestion des changements de poste, la lecture des contrats de travail ou des fiches de paie. Les relations humaines en seraient grandement améliorées.

La honte et l’incompréhension sont souvent les sentiments prédominants chez ceux qui sont touchés par l’illettrisme. Ils se sentent à l’écart, incapables de partager ou de comprendre des informations essentielles, comme les modifications réglementaires au sein de l’entreprise. L’illettrisme affecte également la vie familiale. Les enfants découvrent souvent la situation de leurs parents tardivement. Personnellement, au lieu de lire des histoires, je créais des récits avec mes enfants en utilisant un dictionnaire, car même si je connaissais les lettres de l’alphabet, je ne pouvais pas vraiment lire.

Après mon divorce, mes enfants, alors adolescents, ont été d’un grand soutien, surtout pour remplir les lacunes que leur père comblait avant. Malgré ma solitude, je n’étais pas vraiment seule. J’avais mes enfants, une assistante sociale, et la chance de travailler, ce qui me permettait de prendre des décisions importantes, comme trouver un logement.

L’engagement de Lancôme dans la lutte contre l’illettrisme est notable, notamment par son soutien financier à l’ouverture d’écoles dédiées à l’alphabétisation des femmes, et la fourniture de moyens pour leur autonomie, comme apprendre à utiliser des services numériques indispensables au quotidien. En 2023, ils ont étendu leur action contre l’illettrisme dans les DOM-TOM, soulignant l’importance de cette initiative dans des régions où les besoins sont criants, surtout pour les jeunes mères souvent isolées et sans ressources.

Blois Capitale : Que pensez-vous de la dictée ?

Aline Le Guluche : Commettre des fautes est humain, et ce n’est pas grave. Le véritable enjeu, c’est d’encourager continuellement les enfants à écrire. C’est par l’écriture qu’ils s’arment pour l’avenir, qu’ils accèdent à une forme de liberté. Les voir s’interroger, poser des questions et montrer de l’intérêt à chaque session me remplit d’émotion. C’est très encourageant.

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