
Dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire 2025 et ses 700 événements, à l’initiative de CPMRC une question s’est posée comme une interpellation : « France, qu’as-tu fait de ton idéal républicain ? ». Une question posée à Philippe Foussier, journaliste, essayiste, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, et Nathalie Zenou, consultante consacrant une part importante de ses travaux à la réflexion sur la laïcité et les valeurs républicaines.
Un cap républicain remis en question
La question posée par la Carte Blanche engage d’abord une mise à nu : où en est l’idéal républicain aujourd’hui ? Nathalie Zenou choisit d’entrer « par le sujet lui-même » pour « interroger cet idéal républicain ». Elle prend appui sur les quatre piliers qui structurent la définition juridique et politique de la République — « indivisible, laïque, démocratique et sociale » — pour établir un état des lieux sans complaisance. « La France, ce sont ses citoyens. Nous sommes toutes et tous comptables de ce qui s’y passe. » Ce déplacement — du pays à ses citoyen·nes — dessine la responsabilité commune : un idéal ne se conserve pas par inertie mais par effort et exigence. À rebours des euphémismes, Nathalie Zenou « met les pieds dans le plat » : les fondements sont attaqués.
Les points de rupture
Indivisibilité. Elle est « au centre de tout » parce qu’elle garantit « l’égalité en droit sur l’ensemble du territoire national ». Or, « elle est battue en brèche », notamment par des poussées régionalistes perçues comme « un autre séparatisme », juge Nathalie Zenou.
Démocratie. La plainte rituelle sur l’abstention dit peu, selon la consultante en communication, de la vie démocratique au quotidien : syndicats, associations, participation réelle. « La démocratie, ce n’est pas que le vote. » Là, son alerte ne porte pas que sur l’urne, mais sur la texture civique qui se défait.
Laïcité. Réduite ou « instrumentalisée », « dévoyée », tantôt au service d’idéologies politiques, tantôt ramenée à une simple liberté religieuse, elle perd son sens émancipateur. Nathalie Zenou rappelle qu’elle est d’abord un idéal philosophique, avant de devenir principe juridique : une logique d’égalité entre citoyen·nes, pensée « dès 1795 ».
Social. Le diagnostic est tranchant : malgré un haut niveau de prélèvements et de redistribution, une part significative de la population demeure sous le seuil de pauvreté, peinant « à se nourrir, à se loger ». Et puis, l’école : « le creuset de la République » où se forment les futurs citoyen·nes. Selon elle, le brassage social est affaibli, la transmission en peine, le rôle émancipateur entravé. L’alerte est claire : si l’école chancelle, l’idéal chancelle.
« Affaissement », « défiance », « autorité contestée » : le constat de Philippe Foussier
Philippe Foussier s’inscrit dans la même grammaire d’urgence. Si ses travaux récents portent sur Marianne (livre aux éditions Dervy) et sur le drapeau tricolore (ouvrage en cours), il refuse de réduire la réflexion à la seule symbolique. Les emblèmes orientent, mais ne suffisent pas ; il s’agit d’aller au cœur de l’idéal. « On constate un affaissement de l’idéal républicain, de la foi laïque dans la République, un délitement du lien social. Ce qui faisait les caractéristiques de la République est au mieux affadi, au pire affaissé. »
À cet affaissement s’ajoute la montée de courants adverses : on voit des modèles moins respectueux de la séparation des pouvoirs et de l’État de droit, des logiques autoritaires qui gagnent du terrain. Sur l’échiquier politique, il pointe deux polarités qui fragilisent le rassemblement républicain : « À l’extrême droite — dont la matrice n’est pas républicaine —, et du côté d’une gauche radicale qui, sur un autre registre, s’oppose frontalement au projet de rassembler. Ces deux courants insistent sur ce qui nous différencie, plutôt que de rassembler. »
À cette polarisation s’ajoutent des offensives réactionnaires religieuses dans les monothéismes, avec un raidissement général. Ainsi, Philippe Foussier distingue un cas particulier : l’islamisme, dans ses déclinaisons fréristes ou salafistes, qui « affirme très clairement » vouloir un régime théocratique, où Dieu détermine le destin collectif.
Pourquoi cela prend-il ?
La globalisation expose la société française à des logiques mondiales. Des nationalismes, des populismes prospèrent. Et « nous ne sommes pas à l’abri » de ces influences. Mais, selon l’ancien Grand Maître du GO, un autre mouvement notable agit de l’intérieur : un affaiblissement de la foi dans l’idéal républicain au sein même du peuple français. La convergence de ces deux dynamiques fragilise l’édifice : « La République est davantage sur la défensive que dans une posture d’affirmation. » Les symptômes, un ordre républicain contesté, une autorité publique remise en cause. Pompiers, maires, élus locaux. la légitimité ne s’exerce plus comme avant. « C’est la faillite, d’une certaine manière, des politiques incapables d’avoir une prise sur la réalité […] Ceci nourrit la défiance. Des gouvernements se succèdent, mais donnent le sentiment de ne plus être connectés aux préoccupations des citoyens. » Les phénomènes s’auto-alimentent et conduisent au paysage que nous observons.
La bataille culturelle
Pour Nathalie Zenou, la jeunesse s’éloigne « de la laïcité » et, plus largement, de la République. Elle cite l’analyse de l’historien Iannis Roder : si la République n’apparaît plus comme un bouclier — notamment social —, comment adhérer à des principes dont on ne voit plus l’incarnation dans le quotidien ?
Deux influences pèsent : un modèle anglo-saxon d’un côté, et une instrumentalisation politique ou religieuse via les réseaux sociaux de l’autre. « Si on mettait les mêmes moyens pour la promotion de la laïcité et des valeurs de la République que pour la lutte contre le harcèlement scolaire, il n’y aurait pas de sujet. On a vu ce qu’on a su faire en deux ou trois ans », observe Nathalie Zenou. La bataille est culturelle et pédagogique. Elle se mène à l’école — enseignement du français, transmission des valeurs —, dans la clarification de la laïcité, dans la justice sociale, et dans la préservation de l’indivisibilité (« je pense à la Corse, territoire auquel je suis très attachée »). À l’arrière-plan : réassurance, cap, destin commun.
Les emblèmes (Marianne, drapeau) orientent l’imaginaire et rappellent l’histoire, mais l’idéal exige des institutions qui tiennent et des pratiques qui vivent. Nathalie Zenou et Philippe Foussier replacent l’interrogation au niveau de la responsabilité : citoyenne, politique, collective.
Le défi tient en quelques verbes : regarder la situation en face, se retrousser les manches, clarifier les principes, assurer la transmission, redonner foi en un avenir commun. L’idéal républicain n’est ni une icône figée ni une rhétorique : c’est un travail — un combat, dit Nathalie Zenou — dont l’école est la pierre d’angle et dont l’exemplarité publique demeure la condition.