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Philippe Foussier : « La franc-maçonnerie permet de réfléchir autrement »

« Être Franc-Maçon au Grand Orient de France en 2024″, c’était l’objet d’une conférence publique à l’Hôtel de Ville de Blois, ce jeudi 23 mai 2024. Après divers mots d’introduction, dont un message vidéo de bienvenue du maire de Blois, Marc Gricourt, c’est Philippe Foussier, ancien Grand Maître du Grand Orient de France (de 2017 à 2018), qui devant presque cent personnes développa ce thème autour de la franc-maçonnerie, souvent victime de fantasmes. Au préalable, l’ancien Grand Maître du GODF, nous a accordé un entretien.

Blois Capitale : Le sujet de la conférence est d’être franc-maçon, mais au Grand Orient, quelle est la nuance ?

Philippe Foussier : C’est une obédience maçonnique, et il y en a un certain nombre en France, environ une dizaine de grandes obédiences principales. Le Grand Orient de France est à la fois la plus ancienne des obédiences françaises et la plus importante sur le plan numérique. Né au XVIIIe siècle, ce qui caractérise le Grand Orient, c’est son engagement constant dans le débat public pour le combat républicain, pour la laïcité, pour la justice sociale, pour l’émancipation et contre les discriminations, etc. Il y a donc une tradition d’engagement de la part du Grand Orient qu’on retrouve généralement un peu moins, ou beaucoup moins, dans d’autres obédiences maçonniques.

Blois Capitale : Avec une part spirituelle ?

Philippe Foussier : Oui, bien sûr, elle est présente. C’est le socle. La démarche au Grand Orient repose sur deux aspects. Pour nous, mais aussi dans d’autres obédiences françaises, c’est à la fois une démarche individuelle qui se passe dans un cadre symbolique avec un rituel, etc., et puis il y a une partie qui concerne ce qu’on tire comme leçon de cette démarche là pour agir dans la cité, autour de soi, dans la vie de son quartier, de sa ville, de son pays, voire au-delà. Donc il y a deux dimensions qui sont, nous dirions, indissociables. Il y a évidemment une dimension symbolique, initiatique, qui est préalable.

Blois Capitale : La franc-maçonnerie date du XVIIIe siècle, elle s’est renouvelée pour être contemporaine ?

Philippe Foussier : En fait, la franc-maçonnerie propose une méthode à partir de laquelle on travaille, et donc, évidemment, les sujets qu’on discutait au XVIIIe siècle ont évolué en trois siècles et, au 21e siècle, on ne traite pas évidemment des mêmes choses. Donc cette méthode n’a pas beaucoup évolué, mais le contenu dessus, lui, évidemment, a évolué. Nous n’avons plus tout à fait les mêmes préoccupations, mais la méthode est intemporelle. En réalité, les francs-maçons n’ont pas énormément changé leur méthode depuis trois siècles.

Blois Capitale : Est-ce qu’aujourd’hui, en France et dans le monde, on a spécialement besoin de francs-maçons ?

Philippe Foussier : Écoutez, je pense que oui, parce que les francs-maçons ont une passion pour le débat, pour l’ouverture, pour l’écoute de l’autre, le respect mutuel, dans la prise en compte des opinions des autres. Donc je pense que dans le monde que nous connaissons, qui est un monde de violence, de fracture, de position d’affrontement, la franc-maçonnerie est une institution qui a toujours eu pour ambition, pour objectif de rassembler des hommes, des femmes qui étaient différents, qui venaient d’horizons différents, et donc je pense qu’on a besoin, sinon des francs-maçons, en tout cas de l’exemple qu’ils donnent précisément de la capacité qu’on peut avoir à écouter l’autre, à ne pas massacrer quelqu’un parce qu’il est d’une confession ou d’une opinion différente de soi-même. Je pense que c’est utile dans le monde dans lequel on vit. Oui, c’est très utile.

Philippe Foussier

Blois Capitale : Vous êtes l’auteur de « Combats maçonniques » (Conform Edition), il y a des thématiques qui sont propres à la maçonnerie ?

Philippe Foussier : Oui, bien sûr, parce que nous considérons que la vie est un combat permanent. Dans la démarche maçonnique, il y a en effet une part de combat parce que pour accomplir cette démarche, il y a l’idée qu’il faut combattre contre soi-même, contre ses propres préjugés, contre ses idées reçues, etc., pour essayer de s’améliorer, de mieux comprendre les choses et donc pour être mieux à l’écoute de l’autre, il faut aussi soi-même se mettre un peu en retrait. Donc ça demande un effort que j’appelle combat, c’est un peu imagé, et puis il y a une autre dimension de combat, c’est celui que l’on mène à l’extérieur contre des forces, contre des courants qui sont intolérants, qui soient religieux, politique, qui sont parfois fanatiques, et bien il y a nécessité de les combattre. Eux, de toute façon, ils veulent combattre, ils mènent un combat et donc si on ne leur résiste pas, si on les laisse faire, ils finiront par l’emporter, donc il y a nécessité de les combattre d’abord pour les contenir et puis ensuite pour proposer une autre vision de l’humanité, une vision humaniste, respectueuse de l’autre, une vision un peu idéaliste certes, mais les utopies d’aujourd’hui sont souvent des rêves qui se réalisent dans quelques décennies. Il y a eu des combattants qui pendant des décennies, voire des siècles, ont mené des combats, pour le vote des femmes, contre l’esclavage, contre la colonisation, etc. Il y a eu un certain nombre de combats qu’il a fallu mener pour faire en sorte que, en effet, on puisse conquérir de nouveaux droits, aller vers l’émancipation humaine. Voilà, ça demande des efforts, ça demande de se bagarrer contre des forces qui elles, veulent toujours asservir le genre humain, veulent toujours discriminer, veulent toujours différencier les gens et les soumettre à l’arbitraire, à l’aliénation.

Blois Capitale : La franc-maçonnerie n’est pas secrète, mais elle est discrète. Doit-elle être moins discrète pour mener des combats dans ce monde ?

Philippe Foussier : Elle est discrète dans sa manière d’agir, les francs-maçons se réunissent entre eux, ils se mettent à l’écart pour tenir leurs réunions, mais sinon la franc-maçonnerie est ouverte, c’est-à-dire que le Grand Orient de France, en particulier, organise souvent des conférences, ce qu’on appelle des tenues blanches ouvertes. On a un musée qui est à Paris, et puis on organise des expositions en province régulièrement pour montrer ce qu’est la franc-maçonnerie. Donc oui, discrétion, mais en même temps ouverture, parce que je dirais qu’on n’a pas grand-chose à cacher. Ce qu’il y a à cacher, c’est ce qu’on appelle l’initiation, la démarche maçonnique, mais elle est intime donc ça appartient à chacun. Sinon, si vous voulez percer les mystères de la franc-maçonnerie, les soi-disant mystères, tous les livres sur la franc-maçonnerie sont disponibles dans le commerce, et donc vous allez trouver dans les livres tous les prétendus secrets. Après, ce qui est donc de l’ordre du secret, c’est le vécu de chaque franc-maçon.

Philippe Foussier GODF

Blois Capitale : La franc-maçonnerie est donc humaniste. Face à la montée des populismes, sa parole doit-elle prendre plus de place dans le débat public ?

Philippe Foussier : On l’amène, on l’amène cette parole publique justement en organisant des conférences comme ce soir, il y en a toutes les semaines, il y a des conférences qui sont organisées partout en France. Nous, on pense qu’on parle mieux en ayant un contact direct avec les gens plutôt que de recourir à des moyens modernes de communication qui peuvent avoir un impact plus fort sur le plan numérique, sur le plan quantitatif, mais à mon avis moins fort, moins intense sur le plan qualitatif, parce que je pense que c’est important qu’on puisse préserver un contact humain, et donc s’expliquer, rencontrer des gens, avoir des humains en face de soi et pas simplement des machines.

Blois Capitale : Et toujours expliquer ce qu’est réellement la franc-maçonnerie ?

Philippe Foussier : Nous expliquons en quoi cela consiste, même si il n’y a pas de doctrine. La franc-maçonnerie, c’est un cadre émancipateur qui propose donc une méthode. On est ni un parti politique, ni une église, donc on n’impose pas la pensée, les gens sont libres de penser ce qu’ils veulent. Évidemment, on bannit chez nous tout ce qui est intolérance, donc les extrêmes politiques ou religieux, notamment l’extrême droite avec laquelle on a un très vieux contentieux, et les intégristes religieux. Mais sinon, tout le monde est bienvenu et donc on a chez nous des gens qui pensent très différemment les uns des autres sur le plan politique, sur le plan spirituel. On a chez nous des gens qui ne croient pas en Dieu mais on a des gens qui croient en Dieu, qui pratiquent, on peut même avoir des gens qui sont très très engagés sur le plan religieux. Mais évidemment, pas d’intégriste, on est bien d’accord. Donc voilà, on a des profils extrêmement différents et ces gens justement se réunissent autour d’un idéal commun, cet idéal humaniste de liberté, égalité, fraternité, cette sorte d’utopie d’une société idéale qui serait débarrassée des fléaux des affrontements, des guerres, des inégalités criantes, etc. Voilà ce qu’on essaye de faire modestement parce que les francs-maçons ne sont pas très nombreux à l’échelle de la France, environ 150 à 160.000 francs-maçons, 52.000 au Grand Orient. Notre impact est limité à cette dimension-là. Mais voilà, on essaye de faire en sorte que le monde aille mieux et que l’on puisse fournir une sorte d’exemple, c’est un peu présomptueux, mais une sorte d’exemple de la manière dont on peut se conduire pour encore une fois mieux se respecter les uns les autres, écouter, être ouvert, essayer toujours de trouver des convergences plutôt que d’insister sur les divergences.

Blois Capitale : Rassembler ce qui est épars mais aussi « résister » comme c’est écrit sur l’affiche de la conférence. Mais « résister » à quoi ?

Philippe Foussier : « Résister », c’est la thématique qui a été proposée cette année à l’ensemble des loges du Grand Orient de France, afin de travailler, de réfléchir autour de cette idée de résister. Je dirais que l’actualité nous en fournit la démonstration, malheureusement chaque jour. C’est d’abord résister à cette spirale du fanatisme, cette spirale des affrontements, à cette spirale de la guerre, à cette spirale des régimes totalitaires, du retour des totalitarismes, donc c’est déjà résister d’abord. Et puis ensuite, il y a évidemment d’autres choses qui sont plus d’ordre spirituel mais déjà éviter que le monde ne bascule dans des logiques dans lesquelles il a déjà démontré qu’il pouvait aller très loin dans la destruction d’humanité par la guerre, par l’extermination massive, etc. Donc c’est déjà résister à cela, et faire en sorte qu’on puisse aller vers un idéal humain qui soit autre que celui qu’on nous prépare ou qui nous menace.

Blois Capitale : Enfin, voyez-vous ici à Blois une franc-maçonnerie dynamique ?

Philippe Foussier : Oui, je la vois assez dynamique, ça fait maintenant une demi-douzaine de fois que je viens à Blois depuis la dernière décennie dans des cadres différents. Il y a aussi des cartes blanches qui sont proposées au moment des Rendez-vous de l’histoire et donc à chaque fois j’ai pu apprécier le fait que, en effet, à Blois il y avait une maçonnerie vivace, dynamique, ouverte, qui a l’envie justement de montrer ce qu’elle fait et de démontrer qu’elle n’est pas fermée sur elle-même, ce n’est pas une secte, et elle propose des débats. Mais les francs-maçons ne font pas de prosélytisme, on n’est pas là pour recruter, faire du chiffre, ce n’est pas ce qui nous motive. On agrège des gens en loge maçonnique, les gens qui sont motivés, qui ont envie de s’engager dans cette démarche et on n’est pas là pour dire « venez par ici ». Voilà, on est ouvert, on explique. Dans un monde dans lequel tout va vite, la franc-maçonnerie est une école de la patience qui offre des moments d’oxygénation pour s’extraire des injonctions qui pèsent sur nous. Elle permet de réfléchir autrement. Nous croyons en l’unité du genre humain. Quand quelqu’un veut entrer en maçonnerie, on ne lui demande pas d’où il vient, mais où il veut aller.

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