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Le Grand Orient, la vie, la mort

Les Rendez-vous de l’Histoire permettent d’aller sur tous les terrains. Et en 2023, la vie et la mort s’étaient invitées au programme. Dans cette veine, Culture et Patrimoine Maçonnique en Région Centre (CPMRC), qui cherche à faire connaître la Franc-maçonnerie dans toute sa diversité au travers de manifestations culturelles et patrimoniales, proposait un rendez-vous intitulé « Vivre et mourir en franc-maçon ». Et l’amphithéâtre rouge du Campus CCI, à Blois, était copieusement garni pour écouter les conférenciers, Christophe Devillers et Mireille Quivy, deux membres du Grand Orient de France. En marge de cette présentation orchestrée par la journaliste Corinne Prezelj, nous avons pu poser quelques questions aux intervenants.

Est-ce que la maçonnerie permet de dépasser l’angoisse de sa mortalité ? « J’aimerais bien, mais je suis franc maçon depuis 30 ans, j’ai toujours aussi peur de la mort. Bon pour autant, il y a quand même une réalité, c’est d’essayer de l’apprivoiser, et de l’apprivoiser par une évidence : nous sommes des membres, des maillons d’une grande chaîne qui nous vient du passé, qui tend vers l’avenir. On ne peut pas résister à cela, mais ce qui est passionnant, c’est justement d’être intimement accroché au passé et intimement lié au futur », répond Christophe Devillers. « On essaie de penser à la mort, c’est-à-dire qu’on en fait un sujet de réflexion, rebondit Mireille Quivy. Même si c’est impensable, car on n’en fera l’expérience qu’au moment de passer le seuil. Il est intéressant de s’interroger sur ce qu’en pensaient nos prédécesseurs. Assister aux cérémonies en mémoire des frères et sœurs disparus récemment nous offre également l’opportunité de remplir ce dernier engagement d’espérer. Gémir, c’est pleurer la perte d’un être cher, un être en chair et en os. Mais en tant que franc-maçon, nous devons aussi embrasser la dimension de la transmission. Il est essentiel de conserver ce que cette personne nous a légué et de réfléchir à ce que nous pourrions transmettre à notre tour, renforçant ainsi ce lien intemporel qui nous unit tous. Ce n’est donc pas seulement un mot, c’est aussi un acte. »

On peut penser qu’entrer en franc-maçonnerie correspond a un âge, un stade de la vie durant lequel une quête de sens surgit, et possiblement que la question de la mort se pose… « Je ne suis pas sûr que l’on entre en franc-maçonnerie pour ces raisons précises, corrige Christophe Devillers. Je crois qu’on se tourne vers la franc-maçonnerie parce qu’on est mû par une très forte envie de vivre, une puissante aspiration à la rencontre et à la sociabilité. On a une immense envie de discuter avec les autres, d’apprendre et d’échanger. C’est une fois à l’intérieur qu’on réalise à quel point elle influence notre réflexion et notre philosophie. On comprend alors combien il est nécessaire de la considérer comme une amie et d’y réfléchir régulièrement. » Mireille Quivy valide cette affirmation, et ajoute : « Personnellement, cela fait 40 ans que je suis en franc-maçonnerie, et la mort ne m’a jamais hanté en tant que franc-maçon. Elle est devenue un élément de mon quotidien. C’est-à-dire que lorsqu’elle se manifeste lors d’un rituel, je la ressens désormais comme quelque chose que j’ai assimilé. En y réfléchissant constamment, on finit par l’apprivoiser, et une fois apprivoisée, elle ne nous effraie plus. J’espère donc qu’au moment ultime, cette absence de peur se confirmera. »

En franc-maçonnerie, il y a une affaire de testament philosophique. Quel est le votre aujourd’hui ? « En une minute de réponse, il est impossible d’appréhender le sujet pleinement, objecte Christophe Devillers. Ce n’est pas seulement une question philosophique : elle intègre la projection sur notre propre devenir, le devenir de notre corps, ce qu’il en restera, ainsi que la projection sur ceux qui nous survivront et qui nous sont chers. Et enfin, la projection pour l’ensemble de l’humanité. Ces trois niveaux de réflexion rendent ma réponse rapide compliquée. Quelle serait ma trace ? Personnellement, je suis un brin cynique à ce sujet. En observant nos propres familles, on réalise que si se souvenir de nos arrière-grands-parents est déjà un défi, au-delà de cinq générations, presque tout est effacé. Peut-être subsiste-t-il une trace dans ce que l’on appelle la sociogénéalogie, mais elle est difficile à identifier. Les noms, les personnes, les visages finissent par disparaître. Gardons une certaine humilité. Vanitas vanitatis. » De son côté, Mireille Quivy s’est souvenue de ce qu’elle avait écrit dans son testament philosophique avant l’initiation : « J’avais inscrit : « Je souhaiterais avoir été, durant ma vie, comme la flamme d’une bougie éclairant le chemin d’un enfant dans la nuit. » Aujourd’hui, je maintiens cette pensée. »

Dans une société où le tabou de la mort persiste, ces discussions rappellent l’importance de l’aborder, de la comprendre et, finalement, de l’accepter.

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