Ciné’fil : une association qui fait vivre le cinéma d’auteur à Blois

Il y a des structures qui façonnent un paysage. À Blois, Ciné’fil appartient à cette catégorie. Une association née en 1989, ancrée au cinéma Les Lobis, qui a choisi, depuis plus de trois décennies, de prendre le cinéma à rebrousse-mode, par l’exigence des œuvres, par la patience des rencontres, par la constance d’une médiation. Ici, on ne court pas derrière le vacarme — on programme. On discute, on doute, on défend. Et l’on revient, semaine après semaine, « pour que le cinéma vive », comme nous l’expliquent Hervé Capdevielle (président de Ciné’fil) et Godefroy Hirsch (membre du CA/programmation, co-animateur des lundis).
Une ligne : soutenir des films qui le méritent
L’essentiel de l’activité de Ciné’fil se tient aux Lobis — salle d’art et essai blésoise — où l’association apporte une programmation supplémentaire qui assume son risque : jeunes réalisateurs et réalisatrices, cinémas étrangers, documentaires et œuvres « qui n’auraient pas toujours leur chance ». L’échelle dit déjà l’ambition : entre 40 et 50 films par an, six séances chacun. Une grosse programmation, au sens littéral, portée par un collectif.
Cette ligne se prolonge « hors les murs » : plein air l’été, maisons de quartier, partenariats locaux, projections au-delà de Blois, jusqu’aux villes voisines. Dans ces séances, on va « vers » des publics moins connectés à l’offre culturelle, on cherche la rencontre : grand écran dressé au cœur du quartier, retrouvailles à la nuit tombée, une communauté qui se reforme autour d’une image partagée. « C’est quelque chose de très sympathique au niveau du lien », disent-ils. Le cinéma comme prétexte — et comme promesse.
La mécanique interne tient en peu de mots et beaucoup d’heures : un conseil d’administration de 14 bénévoles, un salarié (jusqu’à la fin 2025), plus d’une centaine d’adhérent·es — des soutiens plus que des permanents. La vie associative alterne CA d’organisation (technique, logistique, projets) et CA de programmation. Tous et toutes visionnent un minimum de films. Puis « on débat, on choisit pour les deux mois qui suivent, et l’on édite le bimestriel maison : Travelling. »
Un rendez-vous régulier
Depuis la rentrée, Ciné’fil a retrouvé un rendez-vous régulier avec ses adhérent·es : tous les lundis, 20 h 30, un film d’ouverture présenté en salle par au moins deux membres du CA. « Ce lundi-là, on ne se contente pas d’annoncer un pitch : on déplie les raisons d’aimer, on situe l’œuvre — « qu’est-ce qui nous a plu ? pourquoi cela nous semble important ? qu’apporte ce film comme regard et comme problématique ? ». On ne joue pas à la critique savante ; on partage un choix. »
À cette régularité s’ajoute un dispositif simple et lisible : chaque semaine, le “focus”. Dans la grille des Lobis pilotée par Laëtitia Scherier, Ciné’fil désigne un film qui les a particulièrement touchés. « On publie un texte d’invitation et ce film bénéficie d’un tarif Ciné’fil. Le maître-mot, ici, c’est la complémentarité : il y a des œuvres que l’association aimerait porter et que la direction des Lobis choisit, « et c’est très bien » ; d’autres que la salle ne peut pas intégrer en sortie nationale ; Ciné’fil les accueille alors « avec un décalage qui s’est nettement réduit », souvent de 2 à 3 semaines.
Médiation : du SPIP à la cour d’école, de l’IFSI aux ciné-cafés
La médiation est un autre cap de l’association. À la maison d’arrêt, Ciné’fil intervient en partenariat avec le SPIP et la Ligue de l’enseignement : un thème est proposé, un groupe de détenus volontaires travaille avec le médiateur de l’association, un film est choisi et diffusé. Rien d’ostentatoire ; une manière de travailler le regard là où la culture ne va pas d’elle-même.
La médiation, ce sont aussi ces événements thématiques où la projection s’accompagne d’une rencontre. Ainsi, le 13 novembre, autour du documentaire Sauf qui peut, consacré aux jeux de rôle qui forment les étudiant·es en santé à annoncer une maladie grave ou à conduire une consultation, l’association réunit un ensemble d’intervenants : des enseignants de la faculté de médecine de Tours, un formateur de l’IFSI et des aides-soignants de Blois, ainsi qu’une actrice impliquée dans ces simulations. Une séance pensée comme une articulation entre projection et conférence-débat. Le cinéma, ici, devient levier d’éclairage.
Il faut ajouter les ciné-cafés et ciné-thés, organisés tous les quinze jours, en alternance entre La Quinière et la médiathèque Abbé-Grégoire. Ce sont de petits groupes — quatre à dix personnes — réunis pour de simples discussions « autour du cinéma ». Une convivialité qui se prolonge parfois. Enfin, Ciné’fil soutient l’option cinéma-audiovisuel du lycée Robert-Badinter (anciennement Augustin-Thierry). Cela passe par le financement des intervenant·es, l’accompagnement de films, et la venue de réalisateurs auprès des classes puis en salle.
Programmer : voir beaucoup, choisir peu, assumer
D’où viennent les films proposés en salle ? Des festivals fréquentés par les membres, d’un travail de veille sur les sorties à venir, d’auteurs et d’autrices suivis, et d’un réseau de distributeurs qui connaissent désormais l’association. Ciné’fil est aussi adhérente à l’ACC (Association des Cinémas du Centre), qui organise des prévisionnements tous les deux mois : quatre ou cinq films y sont présentés aux structures de la région, l’occasion de se croiser et parfois de monter des partenariats (venues, débats).
La sélection ne suit aucune thématique imposée : « chacun défend son bifteck », plaisante Hervé Capdevielle. On tend à équilibrer documentaire et fiction, mais on refuse la grille comme contrainte. L’air du moment ? Pour les prochains mois, plusieurs films de lutte — collectives ou individuelles — qui « montrent des combats et de l’espoir ». Parmi eux, Happy End, une une dystopie au Japon située dans un collège-lycée confronté à une surveillance par intelligence artificielle, déjà programmée.
Tout ne rencontre pas son public, observent les deux hommes. Même les films très bien critiqués. La météo joue parfois, l’humeur du temps aussi : « la fréquentation échappe parfois à tout ». Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les séances-événements construites avec des partenaires.
L’objectif pour 2026 est de maintenir la ligne et la programmation. Comme pour les autres acteurs de la Culture, le « passage est délicat ». Côté adhésion, la règle est simple : 20 € par an (compatible Pass Culture), tarif à 5,80 € sur tous les films Ciné’fil. La vérité de l’association est simple : tenir la porte ouverte sur des films « qui n’ont pas forcément leur chance », tenir la conversation avec un public curieux, tenir le rythme d’une salle qui respire encore. C’est peu. C’est beaucoup. Mais c’est tout un paysage.
Pour en savoir plus : cinefil-blois.fr