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À Blois, les apiculteurs mobilisés contre le retour des néonicotinoïdes

Sur la place de la Résistance, à Blois, en ce samedi matin partiellement pluvieux, elles et ils sont venu·es nombreux·ses, vêtu·es de leurs blouses blanches, les visages graves. Apiculteur·rices, militant·es écologistes et citoyen·nes inquiet·es se sont rassemblé·es pour alerter sur ce qui est considéré comme une régression majeure dans la protection de l’environnement. La proposition de loi portée par le sénateur Laurent Duplomb, adoptée par le Sénat le 27 janvier, prévoit la réintroduction de trois substances dont l’une au moins, l’acétamipride, est destinée aux vergers. « Ces trois substances-là, il y en a deux qui ne sont pas officiellement classées comme néonicotinoïdes, mais c’est une affaire de terminologie. Ce sont les fabricants qui les ont auto-évaluées et les présentent comme des néonicotinoïdes de quatrième génération », explique Éric Souvent, président du Syndicat des Apiculteurs de Loir-et-Cher.

apiculteurs mobilisés à Blois

Dans les faits, leur mode d’action reste identique. « C’est de l’enrobage de graines, un neurotoxique qui empêche les abeilles de retrouver leurs ruches », poursuit-il. Depuis leur interdiction en 2018, il était redevenu possible d’installer des ruches près des cultures de tournesol. Avant cela, l’exposition aux néonicotinoïdes était synonyme d’hécatombe. « On perdait 100 % des colonies », rappelle-t-il. Ce combat, mené depuis vingt-cinq ans par les apiculteurs, avait abouti à une victoire fragile. Aujourd’hui, ils redoutent que la réintroduction de ces substances ne relance la spirale infernale de la mortalité massive des pollinisateurs.

Le constat est accablant. Les pertes annuelles dans les ruchers sont devenues un phénomène récurrent. « Il n’y a pas un secteur d’élevage qui s’est habitué à perdre 30 % de ses effectifs chaque année », constate Éric Souvent. Certaines années, la situation est encore pire. « Cet hiver, c’est vraiment catastrophique. Tous les apiculteurs, les gros comme les petits, comptent leurs cadavres », ajoute-t-il. Les conditions climatiques n’ont pas permis d’effectuer les traitements dans les délais habituels. « Normalement, au 15 août, la saison est terminée. Cette année, on a récolté en septembre, voire en octobre, et les traitements appliqués trop tard ont été beaucoup moins efficaces. »

À cela s’ajoute la menace du varroa, un acarien parasite qui affaiblit les colonies et les rend plus vulnérables aux maladies. « Il prend le dessus, et au printemps, quand les abeilles d’hiver doivent passer le relais à celles d’été, elles sont déjà mortes », explique-t-il. Les frelons asiatiques, eux aussi, aggravent la situation. Depuis douze ans, la lutte contre cette espèce invasive repose essentiellement sur les collectivités territoriales. « Ici, à l’Agglo, on a la chance d’avoir un dispositif efficace, avec une prise en charge totale de la destruction des nids. Mais il a fallu attendre 2025 pour que l’État prenne enfin ses responsabilités », souligne-t-il.

Au-delà de la question environnementale, c’est l’avenir même de la filière apicole qui est en jeu. De nombreux jeunes apiculteurs, installés ces dernières années, risquent de devoir mettre la clé sous la porte. « Quand on a des gros emprunts à rembourser et qu’on traverse une année sans récolte, c’est insurmontable », déplore Éric Souvent. La commercialisation du miel est devenue un véritable casse-tête. En cause, une concurrence déloyale avec des miels importés à bas coût. « On voit arriver en France du miel à 2 euros le kilo, en conteneurs de 300 kilos. Comment voulez-vous qu’on s’aligne ? » s’insurge-t-il.

Les importations de miels frelatés se multiplient. « Le Mercosur prévoit l’arrivée de 40 000 tonnes de miel sans aucune taxe, alors qu’en France, on consomme 38 000 tonnes par an. Et cette année, la production nationale est tombée à 12 000 tonnes seulement », explique-t-il. Résultat : de nombreux apiculteurs se retrouvent avec des stocks invendus. « Les grossistes ont déjà rempli leurs commandes avec de l’importation plus récente. L’hiver dernier et celui d’avant, les grosses structures apicoles n’ont pas vendu un gramme de leur miel », déplore-t-il.

La colère des apiculteurs ne se limite pas à la question des pesticides. Elle s’étend à un modèle agricole qu’ils jugent dépassé, guidé par des impératifs productivistes au détriment de la biodiversité et des exploitants eux-mêmes. Dans une lettre ouverte adressée aux députés du Loir-et-Cher, ils dénoncent l’influence des lobbies agrochimiques et de la FNSEA sur les décisions politiques. « Où est la liberté des jeunes agriculteurs quand on les incite à s’endetter toujours plus, à produire toujours plus, à traiter toujours plus ? » s’interrogent-ils. Ils dénoncent également l’absence de véritables alternatives aux néonicotinoïdes, alors que des financements considérables ont été alloués à la recherche de solutions.

Les scientifiques alertent depuis des décennies sur les risques des pesticides pour l’environnement et la santé humaine. « Depuis 1990, on a constaté une surmortalité massive des ruches et une baisse des rendements : 300 000 ruches meurent chaque année, avec une surmortalité en hausse de 25 % », rappellent les apiculteurs dans leur courrier. Ils pointent du doigt les incohérences des politiques publiques. « On légifère pour la qualité de l’eau, mais on autorise les produits toxiques qui s’y déversent », dénoncent-ils.

apiculteurs mobilisés à Blois

Pourtant, des alternatives aux néonicotinoïdes existent. L’ANSES a publié plusieurs solutions, tout comme l’IPBES, plateforme scientifique intergouvernementale sur la biodiversité. Mais selon les apiculteurs, les gouvernements successifs ont systématiquement privilégié les rendements financiers à court terme au détriment de la préservation de l’environnement.

Face à cet état de fait, les manifestants en appellent aux élus. « Vous avez choisi la politique pour agir. Si vous croyez en l’avenir durable de l’agriculture en France et êtes attachés à son éthique, prenez vos responsabilités », écrivent-ils aux députés du département. Ils espèrent que leur mobilisation fera pression sur l’Assemblée nationale, où la proposition de loi sera examinée en mars.

En attendant, le combat continue. Sur la place de la Résistance, certains signaient la lettre ouverte, d’autres échangaient sur la situation de leurs ruchers. La mobilisation est déterminée. L’heure n’est plus aux promesses ni aux demi-mesures. Les apiculteurs, résignés à lutter, savent qu’ils jouent ici leur avenir, mais aussi celui de la biodiversité tout entière.

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